L’ORDRE DES GÉOMÈTRES
Je ne vais pas vous parler de l’ordre professionnel des géomètres experts ou topographes. Mais d’un ordre qui mène à l’idée de l’unique, de l’harmonie de la béatitude, de la joie d’une vie bonne. Cet ordre est en rapport avec l’Ordre Initiatique et fraternel qu’est la franc-maçonnerie de tradition qui se réfère au Grand Architecte de l’Univers, aussi qualifié de Grand Géomètre, ou de Maître des horloges.
Il s’agit de l’Éthique selon Baruch Spinoza, nommée également Ethica Ordine Geometrico Demonstrata. Œuvre majeure du Philosophe. Qui trace un chemin qui va de Dieu à la liberté, et réfute la notion de libre arbitre. Un programme mathématique, pour une construction personnelle. Géométrie, construction, architecture voilà des mots qui ont leur place dans le glossaire maçonnique, et souvent entendus lors des travaux de loge.
Nombreux sont les sœurs et les frères qui prennent dans leurs filets, des mots, des citations de Spinoza pour étayer et expliquer leurs travaux de loge. Spinoza dans sa philosophie s’est inspiré de la géométrie, les francs-maçons du mythe d’Hiram architecte du temple de Salomon. Spinoza s’inspira de la géométrie pour définir le concept de Dieu, Grand Architecte pour le rendre moins abstrait, en rechercher l’essence.
Spinoza n’est pas un moraliste, il distingue bien son Éthique de la morale ordinaire. Il ne se pose pas en juge du bien et du mal, sa recherche est tournée vers l’être, et sa capacité de se diriger vers la vie bonne.
La philosophie de Spinoza renoue avec les philosophes de l’antiquité, c’est-à-dire avec la philosophie qui est à la fois théoria et praxis. Une méthode qui se traduit par des exercices de réflexion spirituels, une méthode pratique de la philosophie éloignée des dogmes, c’est en cela sans doute qu’il séduit les francs-maçons.
Spinoza propose au sage une action sur lui et ensuite dans la cité. Pour son époque, il est né en 1632, il est un esprit libre dans une société où le poids des religions sur les pensées est énorme. D’origine espagnole ou portugaise, il vit au milieu des protestants d’Amsterdam, il fait des études pour devenir Rabin, il apprend l’Hébreu, il renoncera la religion juive, il se rapproche des jésuites et des chrétiens libéraux, finalement il ne sera accepté par aucune communauté religieuse, il subit même des persécutions pour ses écrits. Son Éthique, sera son testament philosophique.
L’architecture de l’Éthique se décline en cinq livres. Dans le premier, il étudie ‘la substance divine’. Pour lui c’est une substance unique d’où tout provient. Nous n’existons que parce que Dieu nous donne une réalité, il agit à travers nous.
Dans son second livre, il traite de la Connaissance. Pour lui nous existons parce que nous sommes des idées que Dieu a de lui-même, notre esprit se doit donc de conserver les idées qui viennent de Dieu. Notre élévation vers la sagesse nous mène à la véritable essence des choses. Et nous atteignons alors la joie. Il y a différents degrés pour accéder à la connaissance. Pour Spinoza nous ne pouvons pas agir de façon libre et indépendante ‘pas de libre arbitre’. Nous ne pouvons être heureux que dans l’acceptation des lois divines. La liberté n’est donc pas une tolérance totale, qui ferait que nous ne puissions dépendre de rien ou de personne.
Dans son troisième livre il est question ‘des passions et des affections’. Tout au long de notre vie nous sommes affectés par des passions qui nous détournent de la connaissance. La médecine de Spinoza part de ce constat, il propose de nous montrer comment utiliser nos passions pour raffermir notre être.
Considérant qu’aucune passion n’est bonne ni mauvaise. Ce qui est bon est utile pour nous, ce qui est mauvais nous empêche d’agir et nous rend tristes, et ce qui est bon nous met en joie. ‘Maçonniquement parlant’ cela peut se traduire par maîtriser ses passions, fuir le vice et pratiquer la vertu, pour que la joie soit dans les cœurs.
Spinoza, démontre que la joie qu’apporte la connaissance, est bien supérieure à ce que nous apportent les sentiments. Qui ne sont que passagers, éphémères.
Le quatrième livre, traite de l’attitude à avoir après s’être libéré des passions, et pris connaissance de la vérité on entre dans le désir du bon. L’on peut atteindre ce désir en s’aidant de la raison. La cité idéale de Spinoza est celle qui est conforme à la raison, cette raison qui permet d’agir par une alliance avec son essence. Le souverain ne peut pas contraindre le sage à se détourner de la vérité. Le franc-maçon est lui aussi à la recherche de la vérité et de la parole perdue. La vérité qui doit être découverte en appliquant la justice, que le franc-maçon s’est engagé à défendre contre toutes les oppressions religieuses, politiques ou autres, en se référant à l’essence de la parole perdue.
Le sage de Spinoza ne refuse pas les plaisirs, il les sélectionne en fonction de leur utilité. C’était aussi l’attitude d’Épicure dans son jardin, il cueillait les meilleurs fruits nécessaires à son ataraxie, sa paix de l’âme.
Le cinquième livre de l’Éthique clôt le cheminement qui permet d’atteindre la béatitude. La connaissance du nombre cinq, la vision de l’étoile flamboyante et de son centre. Arrive au moment où nous ressentons en nous la présence de l’infini. Nous prenons connaissance de l’idée du principe, du grand géomètre. Nous nous élevons, au-dessus de état de mortel, sans pour autant la promesse d’un au-delà. Nous nous élevons ici et maintenant dans cette vie, en accord avec notre place dans le cosmos. Alors la joie est dans notre cœur, car nous pouvoir concevoir un entendement, une connivence, une alliance, une reliance avec le sacré, le divin. C’est comme la découverte d’un passage secret qui débouche sur la Lumière.
Jean-François Guerry.
À suivre….
CITATIONS SPINOZA
– “Est bon ce que je désire : ce n’est parce que nous jugeons qu’une chose est bonne que nous la désirons, mais c’est parce que nous la désirons que nous la jugeons bonne”
– “Nous sentons et éprouvons que nous sommes éternels”
– “Est dite libre la chose qui existe par la seule nécessité de sa nature et se détermine par elle-même à agir”
– “Un homme libre ne pense à aucune chose moins qu’à la mort, et sa sagesse est une méditation non de la mort mais de la vie”
– “Rien ne peut être plus utile à l’homme pour conserver son être et jouir de la vie raisonnable que l’homme lui-même quand la raison le conduit”
– “La haine doit être vaincue par l’amour et la générosité”
– “La béatitude n’est pas le prix de la vertu, mais la vertu elle-même”
– “Ne pas railler, ne pas déplorer, ne pas maudire, mais comprendre”
– “Le désir qui naît de la joie est plus fort, toutes choses égales d’ailleurs, que le désir qui naît de la tristesse”