DÉCADENCE ET DÉFI
L’instant nous incline à ne voir que des décadences, qui ce qui commence à tomber autour de nous. Nous ne vivons que dans cet instant infime partie du temps, de notre temps même.
Les informations, les communications sont celles au mieux du jour, c’est une constatation, ce n’est pas une critique les journalistes font leur travail, ils nous donnent pour les plus sérieux d’entre eux les nouvelles « du Jour ». Pour d’autres ils sont nourris par leurs journaux en fonction de leur production de scoops, trouvés dans l’heure, la minute, la seconde.
Les articles de fonds sont de plus en plus rares. Les hebdomadaires déclinent, les librairies ferment sous le joug d’Amazon. Le numérique prend possession de nos cerveaux, il suffit pour s’en rendre compte de comptabiliser le temps passé devant nos écrans. Nous n’avons plus le temps de découvrir les idées sous les images, sous les symboles.
L’on nous vend de la décadence : décadence de la civilisation, décadence des idées, des mots, des traditions, des religions, des mœurs, des sciences et techniques marchandisées. Le nouveau Dieu s’appelle individualisme et matérialisme radical, un chaos général ! Un effondrement, un écroulement c’est la pensée à la mode.
Nous sommes en guerre ! C’est oublier ce qu’est véritablement la guerre, logique, la plupart d’entre nous ignore ce qu’est véritablement la guerre.
Ce n’est pas le cas par exemple du philosophe George Steiner décédé le 03 février 2020 à l’âge de 90 ans. Il était hanté par sa condition de juif et par la shoah. C’est peut-être parce qu’il situait l’esprit trop haut, parce qu’il avait accédé aux hautes sphères de la spiritualité. Il a écrit à propos des juifs :
« Notre maladie héréditaire c’est d’être juste envers ce qui est grand dans le monde de l’esprit. »
Il y avait dans sa pensée le constat de nos décadences, mais aussi et surtout, je le pense une espérance et le défi de la renaissance, de l’ordre après le chaos. Son souhait ultime était : « J’aimerais que le souvenir qu’on garde de moi soit celui d’un maître à lire…. Quelqu’un, qui a passé sa vie, à lire avec d’autres. »
Il se méfiait de l’universalisme de « surplomb », supérieur, que l’on pourrait traduire par un mondialisme réservé aux élites, un mondialisme d’exclusion, qui ne permet pas la tolérance. Le philosophe aimait s’identifier au minoritaire au particulier, un défi actuel !
Il était assez proche en cela de Emmanuel Lévinas, de son altérité générale et en particulier de sa prise en considération du visage de l’autre.
Un défi donc, une espérance qui fait contrepoids à nos décadences. Je dirais que l’on sent ces jours-ci comme un renversement, une prise en considération des plus humbles. Il n’y a plus les hauts de cordée et les bas de cordée, il y a la cordée, la chaîne qui nous unie tous.
Des femmes et des hommes qui relèvent le défi, qui agissent, qui combattent dans les hôpitaux, des policiers qui nous protègent contre le fanatisme.
Le défi est donc de placer toutes les choses d’aujourd’hui sous la lumière de demain. C’est ce que font nos soignants avec dignité, à nous de faire de même.
Qui a parlé de décadence ?
Jean-François Guerry.
George Steiner :
« Aujourd’hui, on respire un air dangereux sur notre continent (….) la haine de l’étranger, la chasse au juif, l’apologie de l’auto-défense et des armes sont des signes alarmants d’une régression terrible, un prélude à la violence. »
George Steiner au Quotidien Italien Corriere della sera, en avril 2019, il est décédé le 03/02/2020.
- Auteurs: Bruno Richard Fecteau / Gilles Vigneault
- Éditeur: Éditions Le Vent qui vire
Je ne sais quel vent
J’aurai dans ma voile
Je ne sais quel jour
On m’appellera
Mais en attendant
Je taille la toile
Je marche à l’étoile
Sans compter mes pas
Je ne sais quel feu
Lavera mon âme
Quelle nuit d’été
Quel matin d’hiver
Mais pour vivre un peu
Je laisse une flamme
Veiller sur la trame
Du temps que je perds
Mon âme tremble
Entre vos mains
Et mon chemin
Vous ressemble
Je ne sais quel bois
Retiendra ma cendre
Déjà je me vois
Les bras pleins d’oiseaux
Je reste sans voix
Les mots les plus tendres
Ont toujours à vendre
La mort d’un roseau
Je ne sais quelle eau
Il me faudra boire
Je ne sais quels fers
Me faudra briser
Pour que mes yeux clos
Deviennent mémoire
Fermés sur la gloire
D’un premier baiser
Mon âme tremble
Entre vos mains
Et mon chemin
Vous ressemble
Ne me cherchez plus
Quand il sera l’heure
J’aurai déjà mis
Entre vous et moi
Tout ce qui m’a plu
Dans votre demeure
Tout ce dont je meurs
Et vis à la fois
Ne regrettez rien
Je fus ce fantôme
Je fus ce miroir
Qui vous répondit
J’étais musicien
Des mêmes atomes
J’avais dans ma paume
Ce départ inscrit
Mon âme tremble
Entre vos mains
Et mon chemin
Vous ressemble
Mon âme tremble
Entre vos mains
Que mes chemins
Vous ressemblent