Droits et Devoirs-Part V.
Après quelques 26620 mots et 119 pages certes avec une taille de police 16, j’en arrive à me dire si je n’ai pas écrit, compilé que des banalités, des lapalissades sur ce thème des Droits et des Devoirs. Les droits posent en fait toujours des problèmes, à tel point que nous nous accrochons à nos droits en permanence, le langage courant est à ce titre évocateur. Sur le plan social, l’on parle de droits acquis de haute lutte, il y a longtemps auxquels il ne faut surtout pas renoncer, même s’ils ne correspondent plus à rien dans notre société moderne et de ce fait apparaissent comme des privilèges vecteurs d’inégalité sociale.
Je pense aux droits des cheminots en parallèle avec les droits par exemple des chauffeurs de car ou de poids lourds, les droits des fonctionnaires par rapport aux droits des travailleurs précaires, les droits des salariés, des employés des cadres des grandes sociétés, par rapport, aux droits de leurs sous-traitants, etc… L’excès des droits, les abus des droits nourrissent les ressentiments autant que l’absence du respect des devoirs. Est-il de notre devoir de faire respecter les excès de droits.
Les petits droits de notre société sont comparables aux petits droits des Marquis de 1789.
Parallèlement les Droits Importants ne sont pas respectés, d’où la nécessité d’un (e) défenseur(e) des droits.
Pour ce qui est des devoirs nous sommes face à nous-mêmes, il faut une sorte de vocation pour respecter nos devoirs, faire notre devoir. Rares aujourd’hui ceux qui sont femmes ou des hommes de devoir, le face à face avec le miroir de notre conscience est un acte qui demande du courage, de la fidélité, une appétence, un désir pour la solidarité, un travail de fraternité, une envie de justice, une foi en la justice.
Quand l’écho de la fraternité résonne en nous, nous sommes sur la route du devoir, au bout de ce long chemin il y a l’amour de l’autre, des autres.
Aux droits et aux devoirs on associe la justice, le désir de justice puisque l’on attend selon l’expression qu’elle soit rendue. Elle rétablie dit-on les droits qui n’ont pas été respectés, c’est donc un retour sur soi, qui nous ai demandé, une prise en main de notre conscience, la justice nous replace face à notre conscience, comme elle demande aux jurés de délibérer en leur âme et conscience, en fonction des lois, mais aussi au-delà des lois, accepter la pumition, faire pénitence, évite la vengeance et accueille le pardon. Elle est donc une approche de l’équité, de ce qui est acceptable dans une société donnée, elle ne peut prétendre à l’universel. L’on peut parfois cependant apercevoir une étincelle de justice universelle, c’est déjà beaucoup. La justice pèse, soupèse et tranche entre l’individuel et l’universel, elle est un service rendu à la société, elle est un ciment social acceptable, pour la construction des projets collectifs. Elle met un frein à la barbarie, le philosophe Alain disait : justice n’est pas justesse, elle est à la fois objective et subjective.
Elle tient le plateau de l’équilibre au service de la société et des citoyens, elle est le juge de paix, de la paix dans un groupe d’hommes qui se sont engagés au respect de la loi dont ils sont à l’origine, le devoir de justice.
La justice n’est que le pâle, mais nécessaire reflet d’une morale spirituelle, quand elle est au service d’une administration. Cette justice quand elle est inflexible, devient inéquitable et injuste, ce qui est si j’ose dire normale, elle doit être soumise à l’amour de l’homme. Elle doit être augmentée par l’éthique, être en règle avec la justice n’est pas suffisant pour être juste.
N’est pas maître de justice qui veut, il faut en plus l’amour de l’homme, ce n’est pas par hasard que les francs-maçons se réfèrent à la construction du temple de Salomon reconnu pour sa justice, mais aussi pour ses faiblesses. Les francs-maçons vénèrent les hommes bons et justes. (Ils leur donnent les titres de Vénérables, de respectables, de très respectables)
Malgré cela les francs-maçons qui sont à la recherche de la Vérité, de la Lumière savent qu’ils ne parviendront au mieux à l’atteindre qu’au seuil de la mort.
D’ailleurs disait Blaise Pascal : « La justice et la Vérité sont deux pointes si subtiles que nos instruments sont trop mousses pour y toucher exactement ; s’ils y arrivent, ils en écachent la pointe et appuient tout autour plus sur le faux que sur le vrai. »
Dans ces conditions il nous faut beaucoup d’humilité dans l’application des droits et dans la certitude de faire notre devoir en toutes circonstances, ce qui n’est en aucun une raison pour ne pas essayer, c’est toujours le chemin qui compte, être sur le chemin du devoir, dans l’action avec amour.
Ce combat pour la justice, est un combat chevaleresque, individuel, un combat d’abord avec nous-même et un combat pour les plus faibles.
Pythagore, un autre philosophe inspirateur de la franc-maçonnerie avec ses nombres d’or, associait la justice au nombre 4, je dirais vulgairement comme deux et deux font 4. La justice idéale doit donc être carrée, comme le quatre. L’homme juste est donc carré ?
Vladimir Jankélévitch s’interroge l’homme juste serait-il un comptable ou un arpenteur ?
Si l’on considère que les droits, nous imposent des devoirs, que ne pas respecter les droits c’est ne pas faire son devoir, et que la justice doit alors agir en compensatrice, avec une punition, et remettre les choses en place, reconstruire sans cesse ce qui a été détruit. Nous pouvons faire une analogie avec le symbolisme maçonnique de la construction et de la reconstruction perpétuelle, des temples matériel pour essayer de créer un centre de l’union fraternelle des hommes, un temple spirituel.
Mener une action en justice est bien plus que faire un procès, c’est tendre son épée de justice contre le renégat, le traitre, le parjure, l’infidèle à ses serments, qui se trompe d’abord lui-même et ensuite ses frères, en présence du Grand Architecte, ainsi le parjure aura le cœur arraché et donné en pâture. Sans justice et sans devoirs le chaos remplace l’ordre.
Les engagements pris par le franc-maçon, ses allégeances ne seront jamais contraire à la morale. C’est librement en toute conscience, qu’il fait allégéance, il soumet au juste au bon, au bien. Il s’engage à faire son devoir, accomplir les devoirs qui respectent les différences, la dignité de tous les hommes, pourvu qu’ils soient justes et bons. L’on voit la difficulté de connaître son devoir, à chaque fois il faut un engagement personnel, une consultation intime avec sa conscience. C’est allier le particulier à l’universel.
La justice évolue avec les lois, le devoir de justice aussi, elle ne peut donc être rétroactive, l’homme juste consulte sa conscience à chaque moment de sa vie et fait ensuite son devoir. La justice s’équilibre avec l’éthique particulière de chaque société, donc dans le temps et l’espace. Ce qui paraît juste à l’un, peut être injuste pour l’autre. C’est sans doute pourquoi la justice ne peut pas être expéditive, ni une justice d’exception, avance t’on d’un pas martial vers la Vérité, ou la recherche de la Vérité est-elle une longue quête, semée d’embûches ?
La justice ne peut cependant pas être faible, elle se transformerait en tolérance abusive. En tolérant tout, on fait le lit de l’injustice, c’est la négation des droits. Les devoirs ne peuvent donc pas supplanter les droits, ils ne sont que la conséquence de ceux-ci.
La franc-maçonnerie qui s’oppose aux dogmes, respecte toutes les croyances, fait donc une place particulière à la tolérance, parce que son dogme en quelque sorte est de ne pas en avoir, c’est-à-dire de défendre la liberté d’expression, qui par nature ne doit pas subir d’entraves, à la condition quelle ne diffuse pas la haine de l’autre, qui n’est après tout que la face cachée de la haine de soi. C’est pourquoi elle s’assigne le devoir de combattre tous les fanatismes, toutes les dictatures, tous les intégrismes. Une relecture de Voltaire s’impose dans sa globalité, il fut par certaines de ses prises de position et ses opinions aussi détestable que ceux qu’il combattait. Son polygénisme qui allait à l’encontre de la théorie religieuse qui défend l’idée que nous sommes tous issus du couple Adam et Eve, est à ce point exécrable, que l’on imagine quelle fut inspirée par son anticléricalisme viscéral. Il révisa d’ailleurs ses prises de positions quelque 20 ans plus tard.
Je cite :
« il n’est permis qu’à un aveugle de douter que les Blancs, les Nègres, les Albinos, les Hottentots, les Lapons, les Chinois, les Américains, soient des races entièrement différentes. Il n’y a point de voyageur instruit qui, en passant par Leyde, n’ait vu la partie du reticulum mucosum d’un Nègre disséqué par le célèbre Ruysch. Tout le reste de cette membrane fut transporté par Pierre le Grand dans le cabinet des raretés, à Pétersbourg. Cette membrane est noire ; et c’est elle qui communique aux Nègres cette noirceur inhérente qu’ils ne perdent que dans les maladies qui peuvent déchirer ce tissu, et permettre à la graisse, échappée de ses cellules, de faire des taches blanches sous la peau. »
Il poursuit la violence de ses propos :
« Leurs yeux ronds, leur nez épaté, leurs lèvres toujours grosses, leurs oreilles différemment figurées, la laine de leur tête, la mesure même de leur intelligence, mettent entre eux et les autres espèces d’hommes des différences prodigieuses. Et ce qui démontre qu’ils ne doivent point cette différence à leur climat, c’est que des Nègres et des Négresses transportés dans les pays les plus froids y produisent toujours des animaux de leur espèce, et que les mulâtres ne sont qu’une race bâtarde d’un noir et d’une blanche, ou d’un blanc et d’une noire.
« Les Albinos sont, à la vérité, une nation très petite et très rare ; ils habitent au milieu de l’Afrique : leur faiblesse ne leur permet guère de s’écarter des cavernes où ils demeurent ; cependant les Nègres en attrapent quelquefois, et nous les achetons d’eux par curiosité. »
Il est difficile de croire que ce philosophe des Lumières devint plus tard un parangon de la liberté d’expression, un défenseur des droits, un exemplaire de tolérance. Ce fut pourtant le cas, quand il fut sorti de son l’obscurantisme anthropologique.
Il devint alors le combattant de la liberté d’expression, du fanatisme et des intégrismes. Je cite encore :
« Que répondre à un homme qui vous dit qu’il aime mieux obéir à Dieu qu’aux hommes, et qui en conséquence est sûr de mériter le ciel en vous égorgeant ? (Voltaire Dictionnaire Philosophique 1764 sur le Fanatisme)
Défendre les droits, faire son Devoir être tolérant, en sommes-nous capables en toutes circonstances et tous le temps ? Et comment le savoir ? Primo Lévi qui loua la tolérance, comme un devoir humain, fût aussi surpris par notre capacité a supporter l’intolérable, rappelons qu’il fût déporté à Auschwitz. C’est aussi un devoir humain de combattre sans cesse l’intolérable :
« Ceux qui sont dangereux, ce sont les hommes ordinaires, les fonctionnaires prêts à croire et à obéir sans discuter.” “On comprendra alors le double sens du terme « camp d'extermination » et ce que nous entendons par l'expression « toucher le fond ».
Nous devons…
« Combattons sans relâche ceux qui prônent, en France et dans le monde, la haine, le racisme, l’antisémitisme et l’intolérance.
Ne nous laissons pas envahir par une idéologie dominante de l’individualisme qui nous pousserait à mépriser celui qui vit à nos cotés et construisons ensemble un monde de paix, de fraternité et de justice. » (Richard Jacquet)
Francs-Maçons nous avons donc le devoir de pratiquer la tolérance et de ne pas accepter l’intolérable. La Franc-Maçonnerie : Ordre, Initiatique, Fraternel. Si l’on convertit cette image en une figure géométrique, cette science de la construction, nous pourrions y voir un triangle dont le sommet serait l’Ordre universel, la base horizontale la Fraternité humaine et les côtés les échelles ascendantes de l’initiation, dont le sommet est l’Ordre certes mais dans l’amour de l’autre. La construction de ce triangle n’est pas une doctrine sotériologique, mais une action Hic et Nunc , qui consiste en la construction de notre être intérieur, en creusant des cachots pour les vices et des temples à la vertu. C’est peut être là la voie du Devoir.
Vladimir Jankélévitch écrit à ce sujet dans son Traité des Vertus Tome II – Les Vertus de l’Amour :
« (…) Nous disons toute tolérance n’est pas bonne. La seule qui se justifie, dirons-nous maintenant, n’est pas celle qui tolère les vices des hommes ou leurs mensonges, mais celle qui reconnaît l’autre dans son message ; le plus essentiellement personnel ; or ce qui est personnel, ce ne sont pas tellement les opinions et les croyances, ni à fortiori les caprices de chacun, c’est surtout la volonté de l’autre, et derrière cette volonté, le for intime de la liberté. (…) C’est seulement quand il s’agit de la liberté de l’autre que la tolérance peut se muer en amour. »
L’opposition Droits Devoirs ne tient donc pas, comment imposer des Devoirs si je ne reconnais pas d’abord les Droits de l’autre et surtout son droit à la différence, cette différence bien décrite par Saint-Exupéry. Notre capacité au respect de la différence, doit aller au-delà du respect, elle donne à l’autre sa dignité, mais surtout la notre, elle est une preuve d’amour, la plus grande des vertus.
Et puis imaginons un instant un monde sans amour et sans tolérance, comment gérer les rapports sociaux ? Nous serions dans une dictature, dans la règne de la force sans sagesse, sans beauté, sans joie, sans amour.
Une négation de la pensée individuelle, de la liberté individuelle, au profit d’un petit groupe de manipulateurs. Il faut donc se réjouir que les Français soient de temps en temps des Gaulois réfractaires c’est bon pour la démocratie.
À condition que cela ne devienne pas une posture, dénuée de raisonnement.
Les devoirs nous imposent de passer constamment du JE au NOUS, transition indispensable pour la réalisation de SOI. C’est le combat contre l’ego, pour une Fraternité élargie et entretenue sans cesse, le passage du palisir au désir de bien, et de beau, la porte ouverte à l’harmonie intérieure.
À suivre les Devoirs du Franc-Maçon…
Jean-François Guerry.
“La bienveillance est sur le chemin du devoir.”
Mencius.
“La République affirme le droit et impose le devoir.”
Victor Hugo.
“C'est le devoir qui crée le droit et non le droit qui crée le devoir.”
François René de Chateaubriand ;
“Il ne faut pas laisser au jugement de chacun la connaissance de son devoir.”
Michel de Montaigne.