L’ALTRUISME, UNE PHILAUTIE DE L’EGO- PART-II- : Le proche, autrui, les autres.
Dans l’article I, j’évoquais le partage avec la cène, comme un acte d’amour, la cène qui n’est pas sans rappeler les agapes maçonniques et certains rituels, le partage est-il le plus grand acte d’amour ou est-ce la justice ou encore l’humilité ?
Notre langue qui conjugue l’amour sous toutes ses formes, n’utilise qu’un seul mot, pourtant s’il y a un mot polysémique c’est bien celui-là ! Les grecs l’ont tronçonné en trois du plus égoïste peut-être au plus fraternel et désintéressé d’Eros à Agapaé en passant par Philia ; du plaisir au désir.
La Franc-Maçonnerie qui est sans conteste une aventure humaine et un chemin spirituel, est une destination vers l’amour.
« Que l’amour règne parmi les hommes. »
Avant même de recevoir la lumière, le postulant aux mystères fait une première dé marche, démarche, début de sa longue marche à la recherche de son être intérieur, symbolisée par l’acronyme V.I.T.R.I.O.L. Il est incité à la découverte, à la progression et à la rectification constante.
Le connais-toi, toi-même, ne se réduit pas à la connaissance de ce que l’on est, à la prise de conscience de ses parts d’ombre et de ses lueurs. Il faut y ajouter tu connaitras l’univers et les dieux. C’est-à-dire l’humanité des autres, et l’élévation de l’esprit.
Nous sommes donc à la recherche de notre identité, au-delà de la carte qui nous donne quelques indications sur le lieu, le jour, et notre apparence. Qui sommes-nous vraiment ?
Cela nous amène, à réfléchir, à notre identité et son évolution c’est-à-dire à notre ipséité.
Paul Ricoeur pense l’identité sous le concept de la mêmeté, donc de l’identique, du reconnaissable donc en forme de pluralité. Cela me rappelle Montaigne et la Boëtie « parce que c’était lui, parce que c’était moi. »
Maçonniquement parlant l’on parle de ma sœur ou de mon frère, comme une forme d’égalité, une re connaissance. Ma sœur me reconnaît comme telle, mon frère me reconnaît comme tel. Je suis très proche de ma sœur ou de mon frère, au-delà du visible et des apparences.
La notion de proche ou de prochain induit une forme de consanguinité spirituelle. Est-ce de l’amour ? Surement pas l’amour d’autrui, il n’y a pas de distances entre nous, nous sommes proches.
Vladimir Jankélévitch pose cette question :
« La proximité spirituelle indépendante de toute géographie, est-ce, ce qui permet les télécommunications, les télépathies et sympathies…. Sans cet éther Trans-spatial les monades se morfondraient dans la symbiose des parallèles.
Mais si tous les hommes sont mes prochains ne deviennent-ils pas tous également lointains ?
Si la distribution dans l’espace ment à l’amour, l’universalisme ne va-t-il pas à son tour, le délayer à l’infini. »
En clair le nous, ne tue-t-il pas le tu, qui serait la forme la plus pure de l’amour du moins dans l’apparence ! Le tu, n’est-il pas plus facile que le nous.
Ai-je beaucoup de mérite à aimer mes sœurs et mes frères, avec qui je suis en conjonction spirituelle, qui sont mes proches. Il est plus difficile d’aimer autrui que je ne connais et qui est bien différent de moi-même ! Pour les croyants aimer la bonté en aimant Dieu n’est pas très difficile car par nature pour eux Dieu est l’exemple même de la bonté. Aimer son prochain et aimer autrui c’est aussi plus difficile sachant qu’il n’est pas entièrement bon.
Peut-on aimer autrui de tout son être, de toute son âme, ou ne l’aimer qu’avec une portion de notre être et le bout de notre âme ? L’amour ne se dilue-t-il pas, ne se dégrade-t-il pas alors, dans l’universalité ?
La solution n’est-t-elle pas d’aimer de proche en proche, par cercles concentriques, dans une spirale non fermée qui s’élève toujours peu à peu au fil des rencontres de l’autre, des autres, pour atteindre l’universel. On ne peut pas cantonner son amour à un alter ego.
Si l’on revient un instant à l’identité, cette identité plurielle, universelle, humaniste. C’est notre ipséité qui nous pose problème, cette ipséité issue du terme allemand selbsheit qui est le rapport à soi-même. Chacun de nous est la personne qu’il est lui-même. « Je suis ce que je suis. »
Nous sommes chacun, donc absolument unique, absolument différent de l’autre, donc non réductible à l’autre. Autrement exprimé, l’identité est un principe ontologique dans lequel se reconnaissent tous les êtres humains en général.
Paul Ricoeur définit l’ipséité comme une forme d’identité en mouvement, donc par nature non stable, elle ne peut donc être un point de concordance entre tous les hommes, à chacun son ipséité.
Immédiatement cela me fait penser au rapport entre l’ipséité et l’initiation maçonnique, au départ l’on peut reconnaître une identité maçonnique conférée par la et les rituels initiatiques communs, et au fur et à mesure chacun à son rythme progresse, avance, s’élève, se perfectionne, preuve encore de la spécificité de cette initiation personnelle dans un cadre collectif. L’ipséité de l’initié est sa métamorphose, son mouvement, sa construction, son élévation de conscience scalaire.
Cela élargi le champ de vision, dépasse, le connais-toi, toi-même. L’initié fait de plus en plus appel à son esprit, preuve de la perfectibilité de l’homme, celui qui soumet sans cesse ses actes au tribunal de sa conscience selon l’expression Kantienne, c’est celui qui pense par lui-même, et qui pense de plus en plus le bien et l’amour fraternel.
L’initiation nous demande de devenir, selon la formule de Pindare : Deviens ce que tu es ou plus précisément deviens qui tu es. René Descartes et Friedrich Nietzsche ont repris cette pensée, Descartes avec son je pense donc je suis.Nietzsche d’une manière plus contestable. Il met en cause toute identité stable avec son devenir ce que je suis. Il impose une volonté de mouvement guidée par notre conscience, le désir de devenir va au-delà, du désir d’être, c’est un manque d’humilité suivant sa formule Dieu est mort. Il remplace Dieu par une aristocratie humaine, quant à l’amour de l’autre ?
Si le rituel maçonnique encourage a penser par soi-même, et la méthode symbolique ouvre l’esprit, si l’on doit se libérer de ses préjugés, revenir à son soi, on renonce pas à la tradition et la transmission des ancêtres et des maîtres qui nous ont ouvert le chemin, pour que nous trouvions le nôtre preuve d’abnégation et d’amour de leur part.
L’aristocratisme de Nietzsche frôle, flatte l’ego, il y a plus chez lui l’éloge du pouvoir que l’éloge de la volonté. Un travers dans lequel le Franc-Maçon ne saurait tomber. La volonté d’action du Franc-Maçon est toujours au service des autres, je suis à la disposition de la loge. Sa volonté de justice est toujours associée à la loi d’amour. Les véritables actes héroïques sont les actes d’amour.
Cependant Nietzsche touche une vérité à laquelle nous pouvons souscrire, sans s’en contenter :
« Plus haut que l’amour du prochain se trouve l’amour du lointain et du futur. »
Si l’on considère le lointain comme étant celui qui ne nous est pas proche, et le futur celui qui deviendra proche par la force de l’amour que nous saurons lui témoigner.
Nietzsche avec sa sublimation de l’avenir, oubli et néglige le présent, il a refusé la pensée des Lumières, les droits de l’homme « de la populace » du commun, il est pour une morale des Maîtres, l’on a vu les dégâts causés par cette pensée.
L’on s’éloigne de l’amour d’autrui, des autres pas tant que ça. On constate qu’il est difficile d’aimer l’autre car avec la mouvance de nos ipséités pléonasme individuelle, il faut aimer toujours différent de soi-même, donc renoncer totalement à notre ego.
Difficile d’aimer tout le monde, sous l’injonction que l’amour ne se divise pas !
Le Franc-Maçon a promis d’aider ses frères, de les aider dans l’honneur, sans distinction de race, de croyance, de milieu social, mais parce qu’ils sont ses frères. Il a promis aussi de porter cet amour dans le monde, d’être un soldat de l’amour universel. Cette dernière mission il ne pourra l’accomplir qu’au terme de son initiation, par l’exemplarité et l’humilité à hauteur d’homme.
Ce processus initiatique maçonnique, qui consiste d’abord à aimer ses proches, comme un apprentissage de l’amour, conduit ensuite quand le cœur vient à grossir à aimer les autres, autrui, au minimum à diminuer les distances entre les hommes.
Vladimir Jankélévitch, je cite :
« Celui qui aime tout le genre humain sauf un indigène des Nouvelles-Hébrides n’aime pas le genre humain ; tout comme celui qui sacrifie un seul petit enfant à la marche de l’univers n’aime, selon Ivan Féodorovitch, ni l’univers, ni l’homme. »
Aimer son prochain, il faut se replonger à la source du Lévitique, dans le sens purement miraculeux, dans l’extase de l’amour, pour aimer son prochain comme soi-même. Non pas comme une partie, comme un appendice de soi, ni dans l’aime-toi, toi-même en l’être aimé, c’est purement de l’égoïsme.
Il faut aimer son prochain autant qu’il s’aime lui-même. Le moi devient alors son « autre », le moi est libérer de son égoïsme de ce cercle qui ramène à l’égoïsme, il n’y a plus alors de philautie, que de l’authenticité, de la pureté, de l’amour.
Le moi est libéré du plomb de l’égoïsme et devient de l’amour en or fin et pur.
C’est peut-être la phase finale de notre métamorphose, la stabilisation de notre ipséité, le terme de notre initiation, quand nous avons associé justice et amour, nous avons revêtu notre dernière enveloppe pour le dernier voyage.
Ceux qui ne voyaient que par la dictature du je, commencent à voir la deuxième personne. Ils ne dissolvent plus l’autre dans une altérité infinie, inaccessible qui serait la dernière ruse de l’ego. Leurs yeux décillés, le bandeau tombé, ils l’autre, les autres qui sont juste à côté d’eux, dans la chaîne d’union, ma sœur, mon frère si vous voyez dans cette chaîne un ennemi d’hier êtes vous prêt à lui pardonner et le reconnaître comme votre frère. »
L’on peut alors relire quelques lignes du prologue de Jean, sans en dénaturer l’esprit, c’est ce que je vous propose en guise de conclusion :
Il était la lumière et l’amour véritable qui éclaire tout homme et le rend digne. L’amour était dans le monde et le monde fût par lui, et le monde ne l’a pas reconnu. Il est venu chez lui, et les siens ne l’ont pas accueilli. Mais tous ceux qui ont accueilli l’amour en eux sont devenus des enfants de la Lumière et de l’amour.
Jean-François Guerry.
AMOUR
J’entrevois une conception de l’amour qui défie la raison : une pensée totale, qui enferme dans la présence toujours actuelle tout l’univers, et en même temps un sentiment intime, personnel et paternel de toutes les créatures particulières et de chacune pour elle-même, dans tous les instants et tous les atomes de chaque vie. L’amour pense l’absolu de l’univers dans l’éternel et, cœur de tous les êtres, il vit personnellement dans leur conscience.
Stéphane Barsacq – extrait de Météores.
A SUIVRE : L’AMOUR ET LA JUSTICE.