L’AUMÔNE ET LA BIENFAISANCE – Part – II.
« Hélas ! trop souvent la bienfaisance d’exerce en vue de la considération qui s’y attache, en sorte qu’elle a ses hypocrites, comme la religion. Ces tartuffes de la charité se démasquent d’ailleurs, eux-mêmes par le soin qu’ils prennent à faire sonner bien fort et briller à tous les yeux leurs aumônes, tandis que les hommes véritablement généreux et charitables se reconnaissent au soin qu’ils prennent de se dérober aux regards et aux applaudissements. »
Louis-Auguste Martin extrait de L’Esprit Moral du XIXème siècle 1855.
Dès la fin de la première réflexion sur l’aumône et la bienfaisance, la distinction s’est faite. La bienfaisance est à relier aux bienfaits que l’on doit à l’homme, elle devrait être naturelle comme les droits de l’homme, ne naissons-nous pas ‘en principe’ libres et égaux en droits ? La bienfaisance découle non pas d’un quelconque ‘ruissellement’ économique, elle ne doit être que l’application de la devise républicaine Liberté, Égalité, Fraternité. La justice et l’amour de ses semblables doit suffire à rejeter l’hypocrisie de l’aumône, cette philautie de la bienfaisance.
En grec le mot amour est multiple, pour nous il nous faut intégrer la polysémie du mot, écarter l’eros égoïste. Les Francs-Maçons associent le mot Amour à sa plus grande valeur, l’amour fraternel universel l’Agapé. L’Agapé c’est le don, le partage et non l’aumône. Comme chaque frère à sa place dans la loge, il a sa place à l’agape fraternelle, fut-elle frugale. C’est sans doute pour cela que l’on entend dire que l’agape fait partie de la tenue, souvent sans autre précision. Dans certains rites maçonniques l’agape est une partie essentielle du rituel. Le partage de l’agape devient alors un exercice spirituel et initiatique et non un banquet de chasseurs.
Dans l’acte d’amour Agapé il y a donc partage, celui qui reçoit n’est pas soumis à la bonne volonté de celui qui donne. Il ne doit pas le prier, le flatter, le courtiser, pour recevoir, ce serait pour lui une humiliation et pour celui qui donne un gonflement de son ego.
Vladimir Jankélévitch, a écrit, à ce sujet :
« Toute la ruse des bonnes consciences bien contentes, bien nourries consiste a donner aux pauvre comme une gracieuseté ce qui lui revient comme son droit ; on fait semblant d’accorder généreusement au dépossédé ce qui est, après tout sa possession légitime. »
C’est pourquoi les sœurs et les frères donnent en toute discrétion.
Celui qui donne exclusivement pour recevoir un avantage fiscal, ou celui qui fait ‘passer’ son don dans les frais généraux de son entreprise, fait plus qu’un abus de droits sociaux, il fait un abus de bienfaisance, il donne sans amour ! C’est une hypocrisie du don, une sorte de service rendu pour obtenir un autre service, ‘un renvoi d’ascenseur’. Ce n’est pas un don, c’est un investissement, une créance que l’on détient, vis à vis de l’état ou d’autrui. Ainsi le don devient arbitraire et sélectif, c’est un instrument de commerce, un échange, un troc, pour réaliser un acte de commerce.
Une autre ruse de l’aumône est l’aumône compatissante, ‘tenez-mon brave’. Cette aumône est censée soulager temporairement celui qui reçoit, comme un traitement médical qui soulage la douleur, sans traiter le mal. C’est un traitement d’urgence, une piqûre qui soulage, mais ne guérit pas. C’est un geste salutaire, qui sauve une personne d’un danger immédiat, beau geste certes, mais un simple geste, un geste qui doit être ordinaire, habituel pour un Franc-Maçon.
La véritable bienfaisance, c’est de se battre contre l’injustice, parfois savoir renoncer au geste immédiat, pour se concentrer sur la guérison du mal. Celui qui milite sans cesse pour la défense de la justice, contre toutes les formes d’oppressions est un sage, un saint, un Kadosh, il peut être un saint laïque ou religieux, ce qui compte ce sont ses actes.
Jankélévitch encore :« L’aumône, c’est l’expédient in extremis et le secours à la petite semaine. »
Les opprimés et les pauvres n’ont pas besoin de notre pitié, ils ont besoin de notre justice et de notre amour.
Faire régner la justice et l’amour dans la société est un grand dessein, une utopie diront ceux qui se contentent du statu quo. Certes la frontière entre la justice et la charité est étroite, alors il faut savoir verser son obole, puis encore travailler pour la justice. L’obole reste simplement le paiement d’un droit de passage entre l’inégalité et l’égalité. Les grecs mettaient une obole (une pièce de monnaie) dans la bouche des morts pour qu’ils payassent à Charon le passage du Styx.
« Le premier devoir de l’homme en société est d’avoir de la générosité, de l’humanité, de la bienfaisance.
Ces trois vertus sont sœurs, elles nous portent également à faire du bien à tous nos semblables. »
Jean-Baptiste Blanchard-Les Maximes de l’honnête homme 1772
Jean-François Guerry.
À SUIVRE… L’Aumône et la Bienfaisance Part-III- pourvu que le cœur y soit…
Le tronc de la veuve- L’obole de la veuve Marc 12- de 41 à 44.
« S’étant assis face au Trésor, il regardait la foule mettre la petite monnaie dans le Trésor, et beaucoup de riches en mettait abondamment. Survint une veuve pauvre qui y mit deux piécettes soit un quart d’as. Alors il appela à lui ses disciples et leur dit : « en vérité, je vous le dis, cette veuve, qui est pauvre, a mis plus tous ceux qui mettent dans le Trésor. Car tous ont mis de leur superflu, mais elle, de son indigence, a mis tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. »