LA TRADITION
Le 7ème Cahier de l’Alliance, la revue d’études & recherche maçonniques de la Grande Loge de l’Alliance Maçonnique Française parue il y a quelques semaines, le Blog y a déjà consacré plusieurs articles, mais compte-tenu de l’importance du thème : La Tradition, un héritage, une source, un label. Notre contributeur du blog Rémy Le Tallec a souhaité enrichir ces articles et vous inciter à une lecture intégrale de ce Cahier au numéro symbolique et au contenu emblématique pour la Franc-Maçonnerie.
La Tradition avec les mots qui l’accompagne, héritage, source, label, constitue non pas un concept désuet, mais un socle pour se diriger dans le labyrinthe de l’avenir, un message permanent d’espérance, dont nous avons bien besoin en ce début d’année 2021. Les racines de la tradition puisent dans l’humus, c’est-à-dire dans l’homme, les forces, la sève qui monte dans les branches les plus extrêmes de l’arbre de vie.
L’Héritage est un don reçu, un leg, qui donne à l’héritier des Droits, et lui impose des Devoirs, il n’est pas besoin de passer devant un notaire pour recevoir cet héritage, nos sœurs et nos frères sont là pour faire acte de donation. Ils sont persuadés, par nos serments que nous saurons prolonger la longue chaîne successorale, des biens spirituels intemporels.
La Source, c’est là, à chaque fois que nous avons soif, que l’on vient puiser, dans la lecture et la relecture des rituels qui nous ont été transmis de génération en génération. La Tradition abreuve ceux qui ont soif de Vérité, de Connaissance et d’Amour.
Le Label, est la marque de la Tradition, la marque de reconnaissance de celles et de ceux qui ont reçus la Lumière. C’est ‘la marque déposée’ dans le cœur des initiés par la Tradition. L’affirmation visible de ce que l’on est. Nous sommes dépositaires de cette marque indélébile, de cette trace buriner dans notre esprit, cette pure eau de source.
Notre héritage est reconnu par les actes de notre vie, que sont les actes de succession : actes de notoriété, d’acceptation de succession, attestations de propriété, certificats de mutation, actes d’inventaire, et le plus signifiant de ces actes, celui qui a le plus de sens, l’acte de partage.
Je partage donc avec vous, et vous laisse partager avec ceux que vous reconnaissez pour tels, et, tous ceux que vous aimez, cette réflexion de Rémy Le Tallec sur ce 7ème Cahier de l’Alliance.
Jean-François Guerry.
La Tradition, un héritage, une source, un label …
(Cahiers de l’Alliance, n°7, septembre 2020) – V3 11-01-2021
Le sous-titre montre bien la difficulté d’embrasser un sujet aussi immense et complexe, même s’il est abondamment employé dans tous les domaines de l’activité humaine, comme légitimation d’un héritage ancestral.
La tradition émerge d’une période infiniment longue et obscure durant laquelle, cherchant à se situer dans un environnement énigmatique, effrayant et gratifiant tour à tour, les groupes humains se donnent une ébauche de sens et d’intégration dans le monde.
La tradition semble désigner une évidence, par une ancienneté réelle ou idéalisée, une longue histoire mêlée de mythes et de vraies émotions, peuplée de héros imaginés et de « réelles présences ». Qu’en est-il réellement ? Où et quand en situer les commencements ? Comment la tradition s’est-elle transmise au fil du temps ? Comment a-t-elle survécu et prospéré ?
Puisqu’elle s’en revendique fièrement, notre maçonnerie ne pouvait s’affranchir d’une mise au jour de tous ces questionnements.
Le plus incisif de ces questionnements, celui des commencements, ouvre avec forte pertinence le dossier. En se penchant sur « l’Invention » de la tradition », François-Xavier Tassel ouvre un chapitre original, à l’abord plutôt iconoclaste, car Invention et tradition semblent en effet parfaitement antinomiques. Cette notion d’invention de la tradition mérite pourtant d’être explorée, comme le sont l’invention de l’histoire, l’invention de la mythologie, l’invention de la littérature, ou l’invention critique de la Bible. Plus que de multiples Big Bangs, l’histoire des oeuvres humaines est plutôt faite de longues transformations silencieuses. C’est le sillon tracé par l’historien anglais Eric Hobsbawn pour qui « l’étude de de l’invention de la tradition est interdisciplinaire. C’est un champ d’étude qui ne peut que rassembler historiens, anthropologues sociaux et autres chercheurs en sciences humaines…. ».
Sillon emprunté par François Xavier Tassel pour la tradition maçonnique.
Nos antiques Landmarks, les constitutions d’Anderson, tous les textes fondateurs de la maçonnerie, les us et coutumes contribuent aux fondements immémoriaux de la tradition en général, et de la tradition maçonnique particulièrement.
La construction progressive de ce qui allait devenir le fonds de la réflexion maçonnique a prospéré au beau milieu du le bouillonnement scientifique, artistique et philosophique, et la naissance de lieux d’une sociabilité nouvelle, élective et constituée d’hommes libres et égaux, la révolution sociologique du XVIIIème siècle.
Les innombrables échanges épistoliers à travers toute la société européenne du siècle des Lumières ont contribué à asseoir en même temps que son universalisme un corpus maçonnique qui s’est enrichi de ses emprunts aux métiers, ennoblis en société spéculative au milieu d’une société plus juste, plus bienveillante, plus libre.
On peut observer une partie de ces emprunts dans les constitutions d’Anderson dont le titre complet est bien « Histoire, obligations et statuts de la très vénérable confraternité des francs-maçons, tirés de leurs archives et conformes aux traditions les plus anciennes ».
Tout cela, enrichi à la « sophia perennis », à la religion naturelle, à la spécificité de la voie initiatique comme voie spirituelle, à l’amour fraternel comme pierre angulaire, a contribué à une pédagogie active de la pérégrination, une fraternité de pèlerinage dont sont empreints tous nos rituels. Au total, les fondements immémoriaux de la tradition recèlent encore de larges espaces à explorer.
Et « La tradition comme livre de vie » (Gaston-Paul Effa) illustre les paradoxes de ce cheminement intérieur. La tradition porte en elle le passé, et l’initié doit remonter le temps du souvenir, remonter à la source de ce fleuve, y nourrir sa vie, en assimiler la substantifique moelle. S’en imprégner, et inspirer ce souffle de vie pour en exprimer à son tour l’âme et l’esprit, le savoir, la sagesse et l’expérience aux autres maillons de la chaîne maçonnique. Le mot clé de l’initiation est bien celui de conversion, cette transformation lente, progressive, de celui qui apprend peu à peu à lever le voile des apparences pour acquérir la lucidité de l’homme libre et approcher une vérité supérieure toujours hors d’atteinte humaine. La transmission devient dès lors un impératif catégorique, qu’il convient de réaliser avec humilité et un effort de méditation.
La tradition initiatique se perpétue forcément par la transmission de ses principes fondateurs, de ses paroles, de ses gestes, de ses rites, qui ne prendront vie que par l’authenticité et l’harmonie « entre ce que l’on est et ce que l’on transmet ».
L’incarnation de la tradition, c’est exactement le fond des deux articles suivants. « La transmission au-delà des mots » (Jean Dumonteil). Parole perdue, mot sacré, mots du rituel, mots du serment, en franc-maçonnerie comme ailleurs, « nommer, c’est faire exister ». Les mots ont un sens et une fonction symbolique qui ne peuvent s’extraire de l’esprit qui les a fait naître. Et il vaut mieux magnifier le silence que se laisser aller à l’ivresse de l’érudition, car la maçonnerie est une pratique, une expérience, avant d’être une pensée ou une théorie. Pour le dire autrement, la connaissance, ce n’est pas un vase qu’on remplit, mais un feu qu’on allume.
La transmission se fait à travers la communauté initiatique, initiante, que constitue la Loge ; au-delà des mots, « c’est la qualité du travail de chaque frère, et l’exercice de la fraternité qui donnent sens à l’initiation…. Tout est construction, édification, et on peut se poser la question de savoir si l’on est vraiment édifiants ».
Et le travail est la condition nécessaire à la transmission. Pas de progrès moral sans un travail de maîtrise de soi, sur son corps, sur son comportement, son attitude, car nos gestes transmettent ce que nous sommes, ce qu’il y a au plus profond de nous..
La transmission est un savoir-être ; c’est prendre soin de l’autre, de son frère, être attentif à sa soif de connaissance pour lui permettre de se révéler à lui-même.
On en revient toujours à l’expérience vécue, à la fraternité de cheminement.
Et « respecter la tradition et la transmettre, ce n’est pas préserver les cendres, mais entretenir le feu ».
Pur hasard évidemment, la métaphore du feu sous la cendre, est précisément le deuxième volet de l’incarnation de la tradition, « L’étincelle de lumière sous la cendre ». Pour embrasser « héritage, tradition et transmission » Pierre Pelle Le Croisa a choisi la symbolique du feu.
Au commencement, il met la « trace », celle que tout être humain souhaite plus ou moins consciemment trouver chez ses aînés, et puis laisser comme témoignage de son passage terrestre.
D’abord, la trace qui doit guider notre chemin, la trace comme premier maillon d’une chaîne de transmission de la tradition. Ainsi, la trace du feu sous la cendre : le feu a moins d’intérêt que l’enseignement qu’il transmet, mais la transmission ne suffit pas : il faut accepter de la recevoir, de s’en nourrir, et l’enseignement absorbé invite à la fraternité, au partage. Autrement dit, la narration, l’interprétation, et enfin la transmission de la lumière, un projet au-delà de l’être.
Etre le passeur de tradition, le faiseur de ponts qui réunissent au lieu de fermer des portes qui séparent. Et puis rentrer dans l’ombre, le silence et la solitude, telle est la mission que peut se donner le maçon.
Les divergences sur la tradition ne doivent pas cacher la lumière cachée par la fumée et brûlant sous la cendre. « Ce n’est pas la trace qui est précieuse, c’est ce qu’elle porte, c’est son message. En effet, une succession de messages préservés, accumulés et conservés forment une tradition. Mais les messages ne suffisent pas à la maintenir, il faut aussi savoir ce que l’on en fait ; car une tradition sans aucune transmission serait condamnée à s’éteindre ».
Jacques Branchut explore lui, « la tradition primordiale et les mythes anciens ». Les Old Charges, René Guénon, tradition primordiale et tradition maçonnique, sont mesurés à l’aune du sacré de la franc-maçonnerie traditionnelle et spiritualiste.
Au titre de la tradition mise en perspective avec les mythes anciens, il propose un voyage au pays de Gilgamesh, des mythes d’Isis et Osiris, de Déméter et Perséphone, de Prométhée, d’Orphée. Où l’on s’aperçoit que nos antiques ancêtres, qui n’étaient pas plus bêtes que nous, utilisaient avec profondeur la voie symbolique depuis des millénaires, pour dire déjà nos propres intranquillités.
Aux yeux bienfaisants de Jacques Branchut, « Tradition primordiale et mythes anciens » forment un ensemble ; ils se complètent et constituent une des voies de réflexion qu’offre la Maçonnerie de tradition ».
Et selon une coutume qui tend à devenir tradition, une méditation de Jean Dumonteil sur « la tradition et la transmission » donne un point d’orgue étourdissant à ce dossier « Tradition ». Dans un monde où les valeurs (comme à la bourse) ont remplacé les vertus, où le bruit permanent a étouffé le silence créateur des consciences, où tout ce qui fait l’homme est devenu marchandise, où les espaces de liberté sont devenus des prisons d’une confusion mentale encensée par les écrans en tout genre, il considère, lui aussi, « la maçonnerie [comme] dernière voie initiatique en Occident ».
La tradition n’est pas un acquis, un moment immuable, il faut en prendre soin, et pour cela chercher à la comprendre avec notre regard contemporain, la tradition c’est mettre notre éphémère dans la permanence. C’est mettre ses pas dans le pas de ses devanciers, se mettre à l’école de l’humilité et de la patience, retrouver l’innocence et la liberté, avec des années d’ascèse, non pas la privation, mais le dépouillement.
Et pour revenir aux symboles, la Tradition et la Transmission maçonniques seront l’arbre et ses racines, la source et le fleuve, la nécessité de l’enracinement, la vitalité et la fraîcheur de l’eau. Enracinement et ouverture.
« Simplement, humblement, aussi authentiquement que possible ».
« Un héritage, une source, un label… » précise le sous-titre de ce numéro des Cahiers de l’Alliance, un panorama, des regards d’oeuvriers-artisans, des recherches constantes qui enrichissent le lecteur au plus profond. Qui entraînent la curiosité de lire, de relire, de s’immerger dans nos rituels maçonniques à la quête de leurs incommensurables richesses.
Rémy Le Tallec.
PS : On pourra lire utilement les ouvrages de Patrick Négrier « Exposé général de la Tradition » (Dervy, 2020) et « L’invention de la tradition » par Eric Hobsbawn et Terence Ranger (Ed Amsterdam, 2006, réédition 2012)
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