Jean-François Guerry.
L’Etonnant voyageur aux semelles de vent est parti : Michel Le Bris
Lorsqu’un ami commun m’a prévenu hier midi du départ de Michel Le Bris, chagrin d’un monde qui se vide, inéluctable, au fil du temps. Pensé écrire un mot aux amis du Blog de Jean-François, et puis, vanité des états d’âme perso… Silence.
Mais ce matin, il me faut dire combien la vie de Michel Le Bris a été importante pour des milliers de personnes, connues et inconnues, et pas seulement par son travail d’écrivain.
Il me faut dire l’œuvre immense qu’il a accomplie au cours de sa vie, et l’aide immense qu’il a apportée à des centaines d’écrivains, de poètes, de chanteurs, et aussi à des milliers d’étonnants voyageurs anonymes. Si l’humanité, la générosité et la clairvoyance ont un sens, il en était une illustration vivante : « un esprit immense de curiosité et d’érudition » m’écrivait Gérard hier.
Journaliste, critique musical, écrivain, directeur de collections littéraires…, quelle que fut son activité durant sa vie - wikipedia en donne un bon aperçu -, en plus de son œuvre littéraire prolifique, Michel a toujours œuvré pour mettre en valeur les autres.
L’un de ses enfants chéris, c’est le festival littéraire « Etonnants Voyageurs » qu’il a créé à Saint-Malo en 1990 avec une poignée d’amis, journalistes, écrivains, aussi passionnés et curieux de tout ce qui est humain, esprit, âme et littérature. Ces amis, c’étaient entre autres Maëtte Chantrel, Gérard Pont, Christian Rolland, Jean-Claude Izzo … (tous deux partis avant l’heure eux aussi)….
Si tout le monde voyage, il est peu de voyageurs, et c’est aux voyageurs à l’écoute de l’autre que pensait Michel Le Bris. « Etonnants Voyageurs », c’était un festival littéraire étalé sur un week-end, qui réunissait au départ des écrivains et des éditeurs inspirés par le voyage, l’aventure, la découverte, des raconteurs, des explorateurs, des clochards célestes, des nomades des déserts et des arpenteurs du monde plus ou moins connu.Chaque année, ce sont 50 000 lecteurs actifs ou putatifs qui viennent à la rencontre des Etonnants Voyageurs de Saint-Malo.
Avec bien sûr les stands de vente de livres et les rencontres-dédicaces, mais surtout, dispersés dans toute la ville, débats, conférences, expositions, films, spectacles, récitals de poésie, un café littéraire très prisé…. etc…
Ce Café littéraire était animé par les fondateurs du festival, qui interviewaient trois ou quatre auteurs réunis autour d’un thème, sur leurs livres, leurs aventures, leur écriture… devant un parterre toujours plus vaste de lecteurs scotchés à leur table de bistrot. Et il fallait arriver très tôt sur les lieux pour trouver une place disponible… C’étaient de véritables interviews, où les écrivains parlaient en toute liberté de ton et d’inspiration, sur des questions souvent pointues, témoins que leurs livres avaient bien été lus par les interviewers.
Préoccupation constante de Michel Le Bris, l’universalité de la littérature a vite séduit les écrivains étrangers, qui ont accouru des Etats-Unis, d’Amérique latine, d’Afrique, d’Asie…. Au fil des ans et de la réputation grandissante du festival, l’étonnant voyage sur les continents s’est élargi aux voyages intérieurs en tout genre, dans l’histoire, dans les sciences humaines….
On pouvait – je prie le lecteur de bien vouloir excuser cet imparfait, l’ombre du Covid a des effets pervers – on peut, durant le festival Etonnants Voyageurs rencontrer ses auteurs favoris, ou d’autres à découvrir, dans un bar, sur une terrasse, dans une expo, dans la rue, sur les stands du salon du livre, échanger quelques mots ou établir une vraie conversation, selon les intérêts de chacun, et les règles du savoir-vivre.
La liste de ces rencontres est impossible à écrire ou à décrire, il faudrait des pages entières, mais disons que, globalement, il est impossible de passer une journée à ce festival sans y faire une rencontre qui illumine votre journée, et sans rapporter un bouquin, minimum….Paroles, paroles… me glisse à l’oreille Jiminy Cricket : alors, quelques rencontres qui remontent pêle-mêle à la mémoire. Les défricheurs de chemin Ella Maillard et Nicolas Bouvier, les arpenteurs de déserts Jacques Lacarrière et Théodore Monod, le discret explorateur de l’âme François Cheng, et le brillant Jean d’Ormesson, le caboteur cabotin Erik Orsenna, le cow-boy du Montana Jim Harrisson et le Canado-haïtien Dany Laferrière, le père de Corto Maltese, Hugo Pratt, et les rois du polar Patrick Raynal et Didier Daeninckx, la créolitude de Patrick Chamoiseau et les photos humanistes de Sebastiao Salgado, le Brésilien Jorge Amado et le Chilien Luis Sepulveda, les poètes Kenneth White et Yvon Le Men….
Tous ces moments privilégiés d’échange, toutes ces rencontres, toutes ces découvertes, toutes ces ouvertures à l’autre, le voisin, le voisin d’Europe, le voisin d’outre Atlantique, le voisin de Russie, d’Haïti au Chili, du Midi au Septentrion, de l’Orient à l’Occident, qui ont enrichi le cœur de ces milliers de festivaliers et d’écrivains, c’est donc à cet homme, Michel le Bris, qu’on les doit.
Il avait consacré une des éditions d’Etonnants Voyageurs à l’Utopie, et je pense qu’il a été lui-même architecte d’une belle utopie avec son festival. Simplement pour avoir créé et fait prospérer pendant 30 ans cette immense fraternité, on peut rendre hommage à Michel Le Bris, « l’homme aux semelles de vent ». Salut Michel !
Rémy Le Tallec
31-01-21
PS : Un mot signé de Michel dans le programme de l’édition 2012 d’« Étonnants Voyageurs », d’une éternelle pertinence.
« Urgence de la littérature
Au fil des mois écoulés il aura été débattu de tout. De tout sauf de l’essentiel, qui détermine le reste de ce monde qui déferle avec la puissance d’un maelstrom, emporte dans son tumulte nos certitudes et nos repères, exige pour l’habiter, autrement dit le maîtriser, non le subir, de s’ouvrir à lui pour en capter la parole vive, les rythmes et les pensers nouveaux. En vain auront-ils tenté, semaine après semaine, de ranimer en leur théâtre d’ombres, recettes illusoires et slogans fatigués : nous savons bien, pour l’avoir affirmé ici, depuis la création d’Etonnants Voyageurs, que ce sont les artistes, les cinéastes, qui nous donnent à voir, à entendre, à lire l’inconnu du monde qui vient – comme toujours.
Il aura été débattu de tout. Sauf de l’essentiel : de nous-mêmes. De l’idée que nous nous faisons de nous-mêmes, et des autres. De cette dimension de grandeur en chacun que n’épuisent pas le produire et le consommer. De cette dimension proprement poétique en chacun qui tout à la fois signe son irréductible singularité et s’affirme au principe même de « l’être ensemble ».
Aucune pensée des temps nouveaux, croyons-nous, aucune politique, aucune philosophie ne vaudra si elle ne se bâtit pas sur cette idée plus vaste de l’être humain, à laquelle nous reconduisent obstinément artistes et poètes. Si nous sommes capables d’œuvres qui traversent les siècles et les cultures pour parler encore au présent de chacun, alors nous sommes plus grands que ce que l’ordinaire des jours, ou nos maîtres penseurs, tendent à nous faire croire.
Et rien n’est plus urgent, contre tout ce qui prétend nous contraindre et réduire que d’affirmer les puissances d’incandescence de la littérature.
En créant Etonnants Voyageurs nous n’avions pas d’autre ambition. Et si nous invitons cette année encore le monde entier à Saint-Malo, c’est bien pour en écouter les mille paroles vives à travers ses artistes. Pour ce qu’ils nous disent, du monde qui vient, et de nous-mêmes ».
Michel Le Bris
En ces toutes premières années de grâce 1990, j'eus le bonheur de vivre les balbutiements enthousiastes de ce Festival ! Assidûment, au fil des ans j'y menais mes élèves ! mes enfants "voyageurs", nomades ! Et nous nous abreuvions à la source des récits ici délivrés, offerts ! En tout, j'ai dû "rater" 4 manifestations du Festivals d'E...., car alors appelée sur d'autres chantiers !..
Nous avons conçu et voué à M Le Bris une reconnaissance joyeuse d'avoir imaginé cette magnifique Fête !
Comme le martèle l'hymne à la Vie en Afrique, je chante "Les morts ne sont pas morts.. !" Le Souffle de ce griot rassembleur animera toujours et encore son oeuvre dédiée à la rencontre des peuples humains dans leurs cultures dévoilées, approchées.
jeanne