5 - Désillusions et impasses
L’élargissement infini des recherches dans tous les domaines des sciences humaines, en psychologie, en sociologie, en histoire, en économie, en philosophie, en anthropologie, etc…, leur hyperspécialisation, dans l’infiniment petit comme dans l’infiniment grand, depuis les ressorts les plus secrets de l’inconscient humain jusqu’aux crimes contre l’humanité, depuis la bonne parole civilisatrice jusqu’à la servitude volontaire aux lois de la technoscience, vont dévoiler une face cachée de l’être humain, assez éloignée de l’être émancipé, de l’être humain libéré par les Lumières.
Un nouveau portrait de l’être humain se dévoile : il apparait soudain fragile, vulnérable, incapable de maîtriser ses pulsions, capable d’asservir son autre lui-même au bout du monde, capable de crimes de masse contre l’humanité, capable de se faire jouet de son histoire et victime consentante de ses propres techniques.
Le développement exponentiel des techniques d’information et de communication a largement contribué à mettre au jour ces désillusions et ces impasses, qui constituent une part de l’histoire de l’humanisme. Une part qu’il convient de regarder en face et surmonter pour tenter d’éviter un futur piège inédit que notre arrogance nous tendra inévitablement.
Freud et l’homme en proie à ses pulsions
« Assailli par un inconscient chaotique qu’il ne pourra jamais connaître pleinement, l’homme freudien est-il encore maître de lui-même ? Une telle conception semble incompatible avec la vision humaniste d’un être raisonnable, capable d’autodétermination et de progrès ».
Le XIXème siècle touche à sa fin. Plusieurs théories ont déjà mis à mal la « conception humaniste du libre arbitre : le matérialisme historique de Marx et d’Engels, la philosophie morale de Nietzsche ou l’évolution des espèces de Darwin posent des limites à la liberté de l’homme ». Parmi les vexations infligées par la science à l’amour-propre de l’humanité, Freud lui-même remonte au moment où Copernic établit que « notre Terre n’est pas le centre de l’univers, mais une parcelle infime d’un système du monde à peine représentable dans son immensité »…. La deuxième, selon lui, c’est lorsque Darwin « renvoya l’homme à sa descendance du monde animal et du caractère ineffaçable de sa nature bestiale ».
« Mais la troisième vexation, et la plus cuisante, la mégalomanie humaine doit la subir de la part de la recherche psychologique d’aujourd’hui, qui veut prouver au Moi qu‘il n’est même pas maître dans sa propre maison, mais qu’il en est réduit à des informations parcimonieuses sur ce qui se joue inconsciemment dans sa vie psychique ».
S’il n’invente pas la notion d’inconscient, Freud transforme le qualificatif en « un substantif qui désigne un continent inexploré de chaque être humain » qui influence en permanence la conscience des hommes. Et « le caractère universel de cette aliénation met le doigt sur une contradiction entre l’humanisme et la théorie freudienne, qui affirme que les comportements de l’homme sont déterminés par des forces obscures et irrépressibles… »…
Cependant, « en s’aventurant dans le monde souterrain de nos pulsions secrètes et de nos désirs refoulés, en levant le voile sur nos fantômes et nos démons intérieurs, en explorant ce mystérieux théâtre d’ombres qu’il appela l’inconscient », en proposant de « ramener l’inconscient à la surface pour mieux le contrôler, l’affaiblir et enfin être soi-même », on ne peut nier qu’il apporte à l’être humain des instruments utiles sinon nécessaires à la connaissance de ses ressorts intérieurs, et donc à la possibilité de son autonomie et de sa libération.
Grand explorateur de l’âme, désillusionneur de l’imaginaire humain, dynamiteur des certitudes de la conscience, après des décennies de passion et de haine entre ses héritiers présomptifs et leurs successeurs, Freud semble bien avoir toute sa place dans ce dossier.
Le mirage de l’humanisme colonial
Entre le XIXème et le XXème siècle, alors que les Lumières s’étaient inventés une mission civilisatrice (voir « l’héritage des Lumières » ci-dessus) auprès des peuples colonisés, certains penseurs et acteurs de la colonisation prônaient le « respect des colonisés et de leurs cultures » : les contradictions de cette forme d’humanisme éclataient au grand jour.
Au sein de cet « humanisme colonial » paternaliste, certaines voix enseignent « que les Noirs sont de grands enfants et qu’ils n’ont jamais formé de nations », tandis qu’à l’inverse, d’autres condamnent la condition faite aux populations « indigènes » et la pratique de l’esclavage, en rappelant « que ce sont des hommes et qu’à l’époque précoloniale, ils fondèrent de empires ». Et revendiquent une politique « d’association » entre colons et indigènes.
En 1931, l’Exposition coloniale internationales de Paris donne une belle illustration de ces contradictions. Pendant qu’elle étale en public des reconstitutions d’habitats et d’objets traditionnels avec les figurants issus des colonies, comme dans un cirque, le maréchal Lyautey parle d’une « haute mission de fraternité humaine »de la colonisation et de respect de la culture des colonisés.
Après la seconde guerre mondiale cet « humanisme colonial » déclinera peu à peu avec la prise de parole d’Aimé Césaire, écrivain martiniquais, chantre de la « négritude » devenu homme politique, dont la voix fera désormais autorité. Son « Discours sur le colonialisme » de 1955 fera date dans l’histoire contemporaine : « C’est là le grand reproche que j’adresse au pseudo-humanisme : d’avoir rapetissé les droits de l’homme, d’en avoir une conception étroite et parcellaire et partiale, et tout compte fait sordidement raciste ».
Aimé Césaire réclamait simplement un « humanisme vrai ».
L’humanisme face aux crimes du XXème siècle
Pour certains, « les idéaux humanistes sont sortis victorieux de la seconde guerre mondiale. Et les critiques des Lumières qui se sont développées au fil du 20ème siècle ne remettent pas en cause leur validité, même si elles en soulignent les contradictions ou en dénoncent les illusions ».
Selon l’historien Enzo Traverso, la prise de conscience de l’inhumanité criminelle incommensurable de la Shoah dans l’après-guerre n’a pas remis en cause les idées d’humanité universelle. Une culture antifasciste issue de la Résistance devient largement prédominante, et l’humanisme demeure le trait fédérateur de sensibilités intellectuelles et politiques très diverses, voire opposées. Et il en sera de même des critiques des Lumières qui se forgeront peu à peu : après avoir été le monopole de la pensée réactionnaire ou catholique, la critique du rationalisme viendra aussi du côté de la « gauche », lui reprochant l’instrumentalisation de son objectif émancipateur.
Certes, colonialisme et racisme se sont déployés aussi au nom des Lumières, mais, selon Enzo Traverso, rappelant que les Lumières sont loin d’être monolithiques, « aussi bien une apologie aveugle qu’un rejet radical des Lumières » paraissent stériles.
Cette révolution de la pensée a du moins « permis de reconnaître les femmes, les Noirs et les homosexuels comme des sujets politiques », et la critique de l’humanisme fournit aussi des arguments pour reconnaître et surmonter les contradictions d’un projet émancipateur et universaliste unique.
L’effacement de l’homme
« Héritiers d’une philosophie soupçonneuse et désillusionnée par les crimes du 20ème siècle, certains penseurs ont oeuvré à déboulonner la statue de l’homme en maître de lui-même et de son histoire ».
A la suite de Nietzsche, l’avènement du structuralisme dans les années 1960 impose une critique radicale de l’humanisme, soumettant l’humain au filtre du soupçon. Les trois grands penseurs du soupçon que furent Nietzsche, Marx et Freud, les « perceurs de masques » selon le mot de Ricoeur, déconstruisent les grandes problématiques classiques qui servent de socle à une vérité humaine, une conscience délivrée de toute illusion.
La raison de l’homme, que les Lumières avaient exposée comme valeur suprême de référence, comme substitut à la domination/superstition de la religion est furieusement mise en doute.
La barbarie nazie a montré les limites de la raison humaine aliénée par l’histoire et l’illusion des Lumières sur un progrès continu dans l’émancipation de l’homme. En contrepoint de la raison triomphante, on interroge rudement l’ethnocentrisme européen, les oubliés de l’histoire, la folie (Foucault), et tout ce qui conditionne et emprisonne l’être humain, tout ce qui restait d’ombres caché derrière la lumière du savoir et de la connaissance.
Le langage et plus précisément la littérature n’échappent pas à cette critique virulente et fondamentale du moment, où l’auteur est carrément dénié de toute créativité, et son œuvre de toute réalité. Et cette philosophie du soupçon tyrannisera longtemps, et marque encore de son empreinte, toute expression de la pensée.
(A l’opposé de cette critique fondamentale : restaurer la littérature et son auteur, était l’un des objectifs de la création du festival Etonnants Voyageurs par Michel Le Bris, dont nous avons parlé l’autre jour)
L’humanisme face à la technoscience
« Au lendemain de la seconde guerre mondiale, les auteurs qui dénoncent les dangers et les vices de la civilisation technique mettent à mal les idées de progrès et d’autonomie de l’homme. Signent-ils pour autant l’arrêt de mort de l’humanisme ? »
On l’a vu, la confiance en la raison de l’homme, capable de maîtriser la nature et de conduire le monde vers un horizon de progrès, a déjà pris du plomb dans l’aile au cours de l’histoire, et de gros plombs après-guerre… Les progrès exponentiels des sciences et des techniques vont-ils donc contribuer à améliorer sinon rétablir cette confiance ?
Le mythe du progrès continu d’un être humain réellement autonome et responsable, face à ces inventions et ces techniques censées faciliter la vie, apporter du confort, du bonheur, de la convivialité, va être battu en brèche par quelques plumes incisives, et plutôt rafraîchissantes. Jacques Ellul et Ivan Illich entre autres rarissimes voix, montrent l’illusion de ces avancées et rappellent l’homme à un peu d’humilité, en lui montrant son réel état de servitude devant des techniques dont il s’avère finalement incapable de contrôler la démesure et les effets destructeurs, dans les domaine de la santé, de l’école, des transports, des technologies en général. Où l’homme devient l’esclave de l’outil qu’il a lui-même créé pour se libérer de contraintes matérielles.
Loin de s’inscrire en antihumanistes, ces auteurs attirent l’attention sur « l’accélération permanente des innovations technologiques, la prise d’autonomie de la technique par rapport à tout contrôle humain, la destruction des structures sociales et des valeurs symboliques ». Forts de ce constat, ils en appellent à un nouvel humanisme réellement libérateur par rapport à soi-même : il est illusoire, disent-ils, de vouloir fonder une éthique de vie sur des dispositions naturelles, elle ne peut venir que d’une victoire sur soi-même, ses passions, ses désirs les moins conscients. Introspection, prise de distance, prise de conscience, changement ou conversion : une vraie liberté est la liberté à l’égard de soi-même.
6 - Le renouveau de l’humanisme
Au-delà des critiques, des remises en cause, toujours bénéfiques pour un progrès de l’expérience et de la science humaine, et toujours enrichissantes pour un progrès de l’être humain, l’idéal humaniste prend de nouveaux visages et questionne chacun dans son propre quotidien avec des interrogations de plus en plus incisives auxquelles nul ne peut plus se défiler.
Les sciences répondent à des questions scientifiques, mais pas aux questions que nous nous posons, sur nos valeurs, l’amour, la justice, la liberté, la façon de vivre ensemble. Face à l’anonymat dans lequel l’être humain est plongé par les irrésistibles avancées technologiques, malgré les contradictions entre le discours anesthésiant des tenants de la Silicon Valley, et des réalités qui se rapprochent plus des dystopies d’Orwell (« 1984 ») et Huxley (« Le meilleur des mondes »), qu’une société réellement respectueuse de l’individu, de nouvelles pistes s’ouvrent à un humanisme renouvelé.
Rendre le développement plus humain, assurer l’avenir de la Terre, mettre en pratique une éthique du « care », reconsidérer la condition animale et penser le transhumanisme : la cohérence de ces multiples chantiers ouverts montre bien la profondeur des enjeux et la nécessité d’un renouveau de l’humanisme.
Dernier volet du dossier :
Rendre le développement plus humain
« Le bien-être n’est-il qu’une affaire de revenus ? Le PIB est-il la clé du développement d’un pays ? Hors de l’orthodoxie comptable, peut-on imaginer une approche qui tienne compte de ce que chacun est capable de faire pour améliorer sa qualité de vie ? »
Peut-on être économiste et humaniste ? Les doctrines économiques ont généralement mis le marché au cœur de leur pensée au détriment de l’humain. Cependant, deux voix s’élèvent aujourd’hui pour proposer un regard global plus proche de la réalité vécue.
Amartya Sen, économiste et philosophe indien, prix Nobel en 1998, développe le principe d’une économie du bien-être et du développement humain, où l’on s’attacherait à assurer aux individus, non plus simplement l’égalité des moyens (les biens sociaux premiers), mais l’égalité des possibilités effectives d’accès aux droits d’agir et de s’accomplir. Et il développe le concept de « capabilité » concrète des citoyens, c’est à dire leur capacité réelle à « convertir leurs biens premiers en capabilités de base, telles que se déplacer, mener une vie saine et de prendre part à la vie de la collectivité ».
La philosophe Martha Nussbaum, qui collabore souvent avec Amartya Sen s’est chargée de préciser ce concept de « capabilité », qu’elle définit « comme des libertés ou des possibilités créées par une combinaison de capacités personnelles et d’un environnement politique, social et économique ». Et elle identifie ainsi dix « capabilités » fondamentales, par lesquelles se déclinent les différentes dimensions d’une existence libre et épanouie. Deux listes à actualiser sans cesse par chacun, selon les nécessités d’un projet de vie autonome et digne.
Assurer l’avenir de la Terre
« En énonçant, dès 1979, le principe Responsabilité, le philosophe allemand Hans Jonas affirmait que l’humain avait désormais la tâche impérative de préserver sa propre vie sur terre, mais surtout celle des générations à venir. Un devoir aujourd’hui devenu une composante essentielle de l’humanisme moderne ».
Lors de sa traduction en France, le livre de Hans Jonas (Editions du Cerf, 1990) est passé inaperçu, mais il est devenu au fil des ans l’ouvrage de référence éthique, d’une philosophie de l’écologie, et plus prosaïquement si j’ose dire, il a attiré l’attention sur un principe de vie un peu délaissé, c’est-à-dire la responsabilité. L’exercice de la raison semblerait logiquement entraîner la responsabilité individuelle, mais chaque matin nous démontre la faiblesse de ce lien de responsabilité de l’homme envers la nature et le vivant.
L’humanisme suppose de reconnaître que notre humanité présuppose notre inscription dans la nature. Et se reconnaître responsable de notre humanité, c’est prendre conscience des risques qu’elle puisse être modifiée, ravagée, par l’accélération de nos progrès technologiques. C’est l’accumulation des actions de chacun qui rend ce monde habitable ou infernal. Bien des menaces qui pèsent sur notre avenir sont le résultat de la mise en synergie d’une multitude d’actions individuelles minuscules dont chacune prise isolément a des conséquences indécelables (réchauffement climatique par exemple).
Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’homme est devenu maître et possesseur de la nature en même temps que son plus grand destructeur. Les moyens techniques qu’il a inventés pour son propre intérêt lui donnent aujourd’hui la puissance infinie de détruire la planète entière. Et cette puissance prométhéenne amène Jonas à considérer que la responsabilité des hommes vis à vis des générations futures est engagée. Ainsi se dégage l’idée d’’une responsabilité qui n’est plus tournée vers le passé ou le futur immédiat, mais vers un futur lointain, responsabilité qui engage la collectivité toute entière et non seulement l’individu.
« Pour la première fois, l’homme se voit tenu pour responsable de l’humanité, et non pas seulement en tant que valeur abstraite qu’Idéal à préserver ou à respecter, mais bien entant qu’« idée ontologique ». Il y aurait dans l’être même un devoir de préserver l’humanité, dans son existence et dans sa dignité ».
Le « care », un humanisme au féminin ?
« Peut-on bâtir une morale, des règles de travail, voire une société toute entière sur le seul principe de la sollicitude envers autrui ? Conçue au départ comme une disposition féminine, la morale du care est devenue un enjeu éthique universel qui a fait sa place dans l’humanisme moderne ».
Le mot « care » a, en langue anglo-saxonne des sens que le français « soin » ne suffit pas à traduire. Il exprime l’idée de « montrer de l’intérêt à quelque chose ou quelqu’un, de sorte que le care couvre aussi tout le champ du souci, de la sollicitude, de la bienveillance envers autrui ». Il a été mis au jour à la fin du 20èmesiècle par la psychologue américaine Carol Gilligan pour désigner un ensemble d’activités d’aide et de soin dans un système économique formel ou informel.
Au-delà de la pratique traditionnelle du soin, la dimension morale du « care » englobe un ensemble de valeurs de bienveillance, de sollicitude, de prévenance, de responsabilité, de compassion, de souci des besoins d’autrui, aussi bien en mode domestique que dans les institutions éducatives, sociales ou médico-sociales... Institutions qui s’occupent des enfants, des personnes âgées, des personnes en situation de maladie, de handicap, physique ou mental, et tout ce qui tourne autour de la vulnérabilité de l’être humain.
La pandémie actuelle montre en dimension réelle l’immense champ d’action d’une éthique du « care », formelle ou informelle, et son intérêt, autant pour les acteurs que les bénéficiaires, avec leurs interactions ordinaires et vivifiantes. Il n’est qu’à voir les trésors d’intelligence, de sollicitude et d’attention mis en œuvre par les salariés les moins considérés, les aidants anonymes, et par les bonnes volontés – les bénévoles – qui se mobilisent autour d’initiatives concrètes très localisées. On pourrait peut-être y ajouter le mot de « considération ».
L’éthique du « care », éthique de la sollicitude, n’est pas une exclusivité féminine, car elle concerne chacun dans la mesure où chacun est ou peut devenir un « aidant ». Finalement, le « care », c’est « tout ce que nous faisons en vue de maintenir, de continuer et de réparer notre monde, et il existe de nombreuses façons de se soucier d’autrui et que tout le monde est amené à le faire à un moment ou un autre ».
Des réflexions sont en cours aujourd’hui pour « concevoir une application généralisée de l’éthique du « care », qui en France prend parfois le nom de « bienveillance », et se décline par professions, éducation bienveillante, management bienveillant, alors qu’il s’agirait plutôt d’une bientraitance »…
L’humanité à l’épreuve de l’antispécisme
« La prise de conscience de la condition animale mobilise militants et philosophes. Au-delà même des comportements alimentaires, c’est à une profonde remise en question de la sujétion de l’animal à l’homme qu’invite désormais le mouvement antispéciste ».
L’émotion provoquée par la cruauté de certains aspects de l’exploitation animale dans les abattoirs et dans les élevages industriels, en même temps que les progrès de la recherche en éthologie, en psychologie cognitive et en neurosciences, ont contribué à modifier le regard traditionnellement porté sur les espèces vivantes. Selon certains philosophes, ces découvertes et cette prise de conscience dévalueraient même sérieusement l’humanisme anthropocène.
Il est vrai que, « toujours tributaire de l’antique dualisme homme-animal, l’humanisme, classique comme moderne, maintient une distinction arbitraire entre le genre humain et les autres formes de vie ». Et l’humanisme … « contredirait même ses propres principes éthiques en acceptant que l’animal soit dénature et transformé en fonction des besoins humains par la domestication et l’élevage ».
Mais l’antispécisme contient en lui-même ses propres contradictions. « Il ne s’agit plus de s’intéresser à l’animalité des humains mais à l’humanité des animaux » s’insurgent certains. Le Code civil a déjà redéfini en 2015 l’animal comme un « être vivant doué de sensibilité », mais les militants de la cause animale réclament « une liberté pleine et une considération pour les individus non humains ».
Ce qui laisse très circonspect l’auteur de l’article, qui conclut ainsi : « L’antispécisme paraît ainsi camper sur un paradoxe, qui fait de l’être humain le législateur moral de la biosphère, tout en niant sa position éminente et sa spécificité. C’est un réel problème qui fait de l’antispécisme à la fois un humanisme et un antihumanisme. Si la place de l’animal dans notre société et notre rapport au vivant méritent bel et bien d’être réinterrogés, les solutions prônées par l’antispécisme laissent songeur quant à la possibilité de poursuite d’un destin commun entre l’homme et l’animal, constitutif de l’histoire de l’humanité ».
Le transhumanisme rend-il l’homme obsolète ?
« En dehors d’effets d’annonce assez peu crédibles, le mouvement transhumaniste maîtrise-t-il son projet ? Pousser les capacités de l’être humain au-delà de tout ce qui est aujourd’hui concevable mène-t-il à le dénaturer ? Ou bien est-ce le prolongement de sa liberté de faire de lui-même ce qu’il veut ? ».
Autant de questions de fond qui nécessitent un examen approfondi et des références éthiques incontestables. Enivré de connaissances et de pouvoirs toujours grandissants sur l’univers qu’il connaît, l’être humain a toujours eu la tentation de l’ubris, avec en première intention, celle de se libérer des liens du temps et de l’espace qui constituent ses limites, et d’augmenter à l’infini ses capacités physiques
et mentales. Avec un désir d’immortalité en filigrane ou en point de mire.
La convergence des nanotechnologies, des biotechnologies, des techniques de l’information et des sciences cognitives (les « NBIC ») a donné naissance à cette idéologie transhumaniste, qui affirme la nécessité du passage le plus rapide possible au stade suivant de l’évolution biologique, dans lequel des machines conscientes nous remplaceront.
On conçoit aisément les immenses attentes de progrès dans les domaines de recherche scientifique et médicale par exemple, pour éradiquer maladies et virus, pandémies et dégénérescences, pour raccommoder le vivant, ses membres, ses organes, réparer ses atteintes mentales, ou changer les pièces malades … et autres utopies technologiques aujourd’hui impensables. Les multinationales de l’intelligence artificielle et les génies de l’algorithme nous prédisent régulièrement des avancées merveilleuses qui feront le bonheur de l’humanité, et présentent tout aussi régulièrement un cas particulier élevé aussitôt en modèle pour demain. « Les interrogations profondes et les propositions raisonnées voisinent avec les spéculations les plus fantaisistes, les affirmations sans nuance et le marketing racoleur ».
Ce qui est utopie aujourd’hui sera sans doute le quotidien d’après-demain, cependant se pose toujours la même question de l’écart entre l’objectif déclaré de l’invention technologique et le détournement d’application qui suivra inévitablement. A l’échelle d’une vie humaine, on peut en faire l’expérience. Peut-être faudra-t-il alors, ou peut-être faut-il dès maintenant, se soucier d’éthique ?
Se posera aussi la question d’un « nouvel humanisme » à inventer.
Conclusion
On le voit à la lecture de cette dernière partie, dans les multiples facettes qu’elle en expose, « le Renouveau de l’humanisme » n’est pas une idée abstraite pour matamores de comptoir, dîners mondains ou bouffonneries de prime time, mais c’est bien un projet de vie crucial que chaque être humain d’aujourd’hui doit prendre en main.
Dans ses actes, ses choix quotidiens, au ras des rocs de la réalité la plus pragmatique, chaque être humain engage sa responsabilité dans ce renouveau de l’humanisme. La fraternité humaine est à ce prix.
Ce dossier nous montre en tout cas que « l’histoire de l’Humanisme » est née dès que l’homme a commencé à se poser des questions sur le commencement du monde et sur l’énigme de l’être humain. « Nos ancêtres n’étaient pas plus sots que nous », comme aimait à le dire Lucien Jerphagnon...
Et, concernant l’ensemble de ce superbe panorama de l’histoire de l’humanisme, au-delà de l’histoire, j’aurais tendance à croire que c’est une éthique de la responsabilité qui se dessine en filigrane. Le fil rouge des conceptions historiques successives de l’être humain dans le monde, chacune forcément enrichie des expériences précédentes, semble confirmer cette recherche permanente, qui nous conduit « ici et maintenant ».
Selon la conception traditionnelle de la responsabilité, on considère que l’on n’est responsable que de ce que l’on fait intentionnellement, et des seuls effets connus et prévisibles de nos actions. C’est le fondement de la responsabilité pénale, qui correspond à une définition morale de la responsabilité individuelle, et c’est aussi le sens de l’autonomie personnelle de l’être humain exprimée par les Lumières. Mais dans un monde aussi complexe que le nôtre, où s’entremêlent de multiples facteurs et de multiples acteurs, s’il n’est pas toujours facile d’avoir une vision claire des conséquences de chacun de nos actes, nous pouvons du moins en avoir la volonté. Et peut-être sommes-nous aussi responsables de certains actes que l’on ne pose pas…
Comment concilier un individualisme-roi et une interdépendance renforcée avec les autres ? Il nous faut dans doute penser de nouveaux rapports au monde sur le registre « interdépendance et solidarité ». Nous pouvons par exemple avoir à l’égard du monde vivant une obligation de souci, de sollicitude, de prise de conscience, de vigilance, de considération. Envisager toutes ces formes de rapport au monde qui permettent d’enrichir la notion traditionnelle de la responsabilité, de trouver un moyen de concilier la responsabilité individuelle, la préservation de la liberté et l’exigence où nous sommes d’assumer la complexité du monde.
Bref, beaucoup de questions pour entretenir l’intranquillité de l’âme !
CI- DESSOUS LA PRÉSENTATION DE LA REVUE
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La revue « Sciences Humaines »
La revue mensuelle « Sciences Humaines » a été créée en novembre 1990 par quelques passionnés de sciences humaines réunis par Jean-François Dortier. Le n°1 était en grande partie consacré à un grand dossier sur le philosophe tout terrain Edgar Morin (16 pages sur les 51 que comptait ce premier numéro), signe d’une attention particulière à la complexité du monde de la connaissance, avec interview, étude sur le maître-livre d’Edgar Morin, La Méthode – la sociologie au présent. « Le défi de la complexité, expliquait-il alors, … nous fait renoncer à jamais au mythe de l’élucidation totale de l’univers, mais il nous encourage à poursuivre l’aventure de la connaissance qui est dialogue avec l’univers ».
Et l’Editorial de ce numéro 1 situait bien l’action : « Nous voulons diffuser et promouvoir les sciences de l’homme et de la société. Nous voulons que Sciences Humaines soit la revue de vulgarisation exigeante que vous aurez plaisir à lire ».
Et se terminait ainsi :
« Sciences Humaines est résolument pluridisciplinaire. Nous voulons créer, au-delà des goûts et formations de chacun, un lieu de confrontations et de synthèse. Votre revue traitera dans les prochains numéros de questions importantes : la psychologie de l’enfant, l’émergence des minorités dans le monde, l’individualisme, le système éducatif, la guerre, le sens de l’histoire, etc… Elle est ouverte à toutes les formes d’analyses, à toutes les écoles de pensées. Nous faisons notre possible pour que Sciences Humaines soit une revue de référence, utile et lisible dont vous souhaitez disposer ».
Cette revue a parfaitement réalisé, et réalise toujours à la perfection, ses engagements et les défis de pluridisciplinarité, de curiosité et de vulgarisation exigeante. On sentait une véritable passion chez les artisans de cette revue. Et lorsqu’on lançait un appel téléphonique à la revue à la recherche d’un renseignement quelconque, on atteignait directement l’un des rédacteurs. Ce côté artisanal, dû certainement à un berceau associatif, qui explique aussi la passion originelle.
Toujours proche des préoccupations humaines de ses lecteurs, au fil des mois, au fil des ans, « Sciences Humaines » s’est professionnalisée, sans jargon, sans perdre son âme, à l’écoute des émotions des hommes et du souffle du monde. Et, malgré son expansion, la revue est restée fidèle à son objectif de vulgarisation exigeante ; et la diversité de ses thèmes d’intervention, la qualité des rédacteurs et la richesse de ses contenus ont certainement contribué à sa pérennité. Pour en avoir une idée, il suffit d’ouvrir la revue chez le marchand de journaux, et de consulter les dernières pages avec la liste des numéros disponibles. Impossible de ne pas y trouver lecture à son esprit…
La revue vient de célébrer 30 ans : une réussite magnifique, et un plaisir renouvelé pour le lecteur avide de connaissance.
A la revue mensuelle, sont venus s’ajouter ensuite Les Grands Dossiers
- Les Grands Dossiers à thème (trimestriel)
- Les Hors-Série à thème
Et une collection de livres qui forment une masse documentaire en sciences humaines incomparable.
Rémy LE TALLEC.
En ces temps de reconfinement, et de désert culturel, on peut se poser la question des rapports de l'artiste avec son oeuvre.
Créer pour qui, créer pour quoi?
Pourquoi certains créent et d'autres non, pourquoi d'ailleurs l'artiste crée t il
pour lui pour les autres pour les deux mon capitaine?
que préfere t il le sculpteur, son oeuvre ou sa statue? les deux mon capitaine?
je me pose et je vous pose la question avec cette causerie que je vous offre!
sachez que lorsque j'ai mis en ligne cette petite causerie qui ne dure que 26 minutes ( il faut les créer quand même), je l'ai mis sur youtube, dont l'IA, l'intelligence artificielle, vous donne le césame ou vous voue aux gémonies, en vous poussant sous les fourches caudines du refus de mise en ligne
Avec cette vidéo sulfureuse, j'ai donc eu mon compte bloqué pour vidéo pornographique!
j'ai du monnayer, sans changer un iota, et ils ont accepté quand même!!!
voici le mythe de Pygmalion et Galatée, âmes sensibles et chastes s'abstenir!!
bon amusement
Hervé Deroeux
Pygmalion et galatée
L'artiste et son oeuvre : Pygmalion et Galatée
la légende de Pygmalion et de galathée et la relation de l'artiste et de son oeuvre
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