ALTÉRITÉ, FRATERNITÉ, HUMANITÉ.
La Franc-Maçonnerie est un ordre initiatique fraternel. Il relie l’altérité, la fraternité pour plus d’humanité. L’humanité est ce qu’elle est, amendable par la fraternité qui se cultive s’entretien. La Franc-Maçonnerie est-elle une philosophie de l’altérité, qui mène à une éthique phénoménologique ou liée à une théologie. Cette réflexion m’est inspirée par la philosophie d’Emmanuel Levinas qui se veut universelle, mais trouve ses références, ses mots sacrés, ses mots de passe dans le langage de la bible pour dire sa responsabilité vis à vis du visage de l’autre.
Les valeurs contenues dans les textes bibliques n’imposent aucun dogme particulier qui pourrait en rétrécir la portée qui se veut universelle. Les dogmes ont été imposés au fil du temps dans un but messianique.
Les références bibliques dont fait usage la Franc-Maçonnerie n’en font pas une religion particulière, mais les valeurs en font une religion universelle au sens de reliance entre les hommes. Ainsi dans les rituels maçonniques sont convoqués des sages, des grands initiés comme Moïse, Jésus, Confucius etc…C’est le caractère occidental de la Franc-Maçonnerie qui offre une place particulière dans ses rituels aux textes vétérotestamentaires et néotestamentaires. Le visage et le message d’amour du plus humble de tous les prophètes est consubstantiel de la Franc-Maçonnerie, qui n’a pas retenu à mon sens du moins dans son intégralité sa fonction pastorale ; mais privilégié sa loi d’amour : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimé.
La conséquence est le respect de l’autre, de sa dignité, et l’obligation de l’amour fraternel. L’amour du visage de l’autre, qui oblige la pratique de la tempérance et de la tolérance dans la dignité. La défense de la justice grâce à la justesse de l’amour.
Comme vous l’avez compris au fil de la lecture des articles de ce blog, je voue une affection particulière à la philosophie antique et aux figures de ses sages. Aimer la philosophie c’est modestement philosopher, essayer de penser par soi-même aux mystères de la mort et de la vie, essayer de donner un sens à sa vie et plus direction celle de l’amour fraternel, de la culture de l’amour fraternel. Emmanuel Levinas comme d’autres est un héritier de Platon, comme lui il s’est intéressé au visage de l’autre. L’exercice de la fraternité est un exercice spirituel et un des travaux maçonniques, l’exercice de l’amour fraternel rejoins l’amour de la sagesse.
La philosophie de Levinas est : « L’amour de la sagesse ou la sagesse en guise d’amour…. Philosophie comme amour de l’amour ». (Emmanuel Levinas Totalité et Infini – Essai sur l’extériorité 1961 Livre de poche Biblio Essais P IV)
Avons-nous mieux à proposer depuis des temps la nuit des temps que cet amour de la sagesse et cet amour de l’amour ?
Si les mots pour exprimer de l’amour sont ceux de la bible, ils n’empêchent pas de penser qu’il s’agit d’une expérience humaine, issue d’une transcendance qui est en nous, point besoin de convoquer une transcendance qui serait extérieure à nous, ce qui n’oblige en aucun cas à l’exclure.
Ainsi se relient entre eux altérité, fraternité et humanité. Nos sommes bien dans une phénoménologie de l’altérité, dans un contact avec le visage de l’autre, qui est particulièrement ressentie au sens propre comme au sens figuré dans la pratique des travaux maçonniques. Ce qui explique en ce moment notre souffrance de ne pas pouvoir, voir le visage physique de nos sœurs et de nos frères derrière leurs masques sanitaires.
La pratique maçonnique engendre une reconnaissance mutuelle : « mes frères me reconnaisse comme tel ». Plusieurs scènes contenues dans les rituels maçonniques évoquent cette identité où mêmeté et ipséité se complètent.
La mémoire prend aussi sa place dans cette altérité, qui réunit, qui est un centre d’union fraternel.
Alors que Sartre voit dans le rapport aux autres un enfer, « l’enfer c’est les autres ». Pour lui le regard d’autrui fait de nous des objets, je ne suis plus libre puisqu’autrui m’objectifie reniant ma liberté. Pour Levinas autrui me parle, et sa parole est un appel à lui porter secours. On peut y voir celui qui frappe à la porte du temple maçonnique, celui qui recherche la manière d’entreprendre un dialogue avec lui-même et les autres. Nous agirons non pas comme des maîtres à penser, mais comme des aidants à le faire penser par lui-même, parce que comme Socrate nous savons que nous ne savons rien et c’est déjà le début de la sagesse. Au cours de l’instruction maçonnique je suis responsable de ma sœur, de mon frère. J’ai d’ailleurs en tout honneur prêter le serment d’aider mes frères. (Dans notre société on néglige trop souvent les aidants.)
Celui qui frappe à la porte, qui cherche lance un appel à ma fraternité, mon humanité comment pourrais-je s’il le mérite être insensible à son appel.
Là où Sartre voit dans l’autre une prison pour sa liberté, Levinas voit une libération malgré cette demande exigeante de l’autre, car elle me libère de mon ego, m’oblige à faire mouvement c’est-à-dire à m’initier en pratiquant l’amour de l’autre.
« L’accueil du visage me libère d’une vie enfermée en elle-même, suscite en moi une sorte de hors de moi, hors d’une existence repliée sur elle-même, une délivrance à l’égard d’un moi livré à sa propre volonté de faire cercle avec lui-même ». (E. Levinas)
On peut voir là une privation de liberté, l’autre prend notre moi en otage. Alors esclavage ou liberté ? Où peut-être conscience de son devoir de fraternité, respect de son serment n’ai-je pas promis d’aider mes sœurs et mes frères au péril de ma vie. Levinas nous délivre de la position sujet objet de Sartre, en mettant l’accent sur notre responsabilité de fraternité et d’humanité.
Jean-François Guerry.