AU COMMENCEMENT ÉTAIT LE VERBE…
Si le verbe est le Logos, la lumière, la connaissance, un des vecteurs du verbe est la parole, bien manier la parole est donc essentiel, on ne donne pas sa parole sans la maîtriser. La première demande faite à l’apprenti maçon c’est le respect du silence, c’est un signe. Il faut savoir contrôler sa parole. Y aurait-il un danger inhérent à la parole ? Selon l’adage la parole est d’argent et le silence est d’or. Lao-Tseu abonde : « Celui qui sait ne parle pas, celui qui parle ne sait pas ».
Pourtant dans les loges la parole circule, mai elle circule suivant des règles précises. Ces règles apaisent, contrôlent et mesurent la parole, on ne prend, on ne se saisit de la parole que quand l’on a quelque chose à dire, quelque chose qui puisse apporter, un bénéfice à la communauté des sœurs et des frères, afin que chacun soit content et satisfait reçoive son salaire. On ne dit pas pour dire.
User de la parole peut parfois souler les auditeurs, celui qui ne maitrise pas sa parole, ses paroles rompt l’harmonie.
La parole fait, nomme, elle est le lien entre les hommes qui sans elle ne serait que des animaux, à qui malgré toutes leurs facultés elle manque.
La parole permet la transmission, elle est le souffle de l’esprit. Elle a précédé l’écrit dans la transmission des secrets, les Francs-maçons ont conservé et transmis les mots de passe, les mots secrets, les mots sacrés. La parole avec les signes, les symboles, les images est communication. Donnez -moi le mot, donnez-moi le signe. Elle peut être forte, juste mais aussi fausse et sans intérêt. C’est dire ! Il faut parfois savoir parler le langage des oiseaux pour transmettre les secrets.
Étymologiquement le mot parole est le plus proche de parabola, c’est son acception première, primordiale.
La parole est liée à la mémoire puisqu’elle transmet, elle transmet la lumière de l’esprit ce qui est au plus profond de notre inconscient. Elle agit comme le vitrail d’une cathédrale, plus elle belle, ciselée, colorée, plus atteint son but. Elle embellit, féconde, elle engendre quand elle est sacrée.
C’est pourquoi sans aucun doute les Francs-maçons la respecte, elle devient sacramentelle dans les rituels, elle dit les mots justes, essentiels les mots de l’essence, elle traverse le temps et l’espace. Je vous reconnais à vos mots, paroles et gestes.
Il faut néanmoins se défier de la parole elle peut devenir puissance et non force. Puissante elle peut être un outil pour imposer les dogmes. Forte elle affirme, elle établit, elle construit, elle est la voix de la figure du sage. Les Francs-maçons ont des gestes qui permettent de mesurer leurs paroles, ils n’hésitent par exemple à la bloquer dans leur gorge quand elle n’est pas en accord avec leur conscience, ou n’est pas fraternelle, respectueuse et digne ; elle est sanctionnée alors par une pénalité. Certains rituels se réfèrent au psaume 137-6 « Que ma langue reste collée à mon palais, si je ne me souviens plus de toi, si je ne place pas Jérusalem au-dessus de toutes mes joies ! ». Les Francs-maçons ont le respect de la parole donnée, des serments contractés devant eux-mêmes, leur loge, leurs frères, leur obédience.
Ils connaissent leur devoir de silence. Ils savent que le silence précède la parole, comme la réflexion précède l’action, les ténèbres la lumière.
Quand le Franc-maçon conclut par : j’ai dit, il a seulement dit, il lui reste à faire.
La rhétorique, est l’art de bien parler, elle n’est pas l’art de séduire, mais de rechercher en toutes circonstances les paroles les plus justes. La liberté de parole est consubstantielle aux droits de l’homme : « je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’à la mort pour que vous ayez le droit de le dire. » (Voltaire – Traité sur la tolérance.)
Je reviens un instant sur l’étymologie du mot parole. Parole vient donc du mot chrétien parabola devenu par la suite paraula avec Sénèque, qui signifie alors comparaison, similitude. Par ce glissement du sens la parole devient une faculté d’exprimer le contenu de sa conscience, l’art de parler, de mettre de l’ordre dans ses idées.
Le père de Sénèque, l’expédia si j’ose dire en Égypte pendant cinq ans, craignant qu’il ne fût trop influencé par les philosophes sophistes. Sénèque se familiarisa avec le monothéisme, devint plus mystique. Certains auteurs pensent qu’il échangea des correspondances avec Saint-Paul, quatorze lettres selon ceux-ci.
Ce qui nous amènent à nous intéresser aux philosophes maîtres de la parole ces fameux sophistes, ces « marchands de paroles », en effet ils n’hésitaient à facturer leurs prestations aux jeunes aristocrates voulant se faire remarquer pour faire une carrière dans la cité.
On voit souvent les sophistes d’une manière un peu simple comme des marchands de paroles, voire des moulins à parole, parlant pour ne rien dire. Ils pratiquaient des démonstrations où tout le monde pouvait ‘perdre son latin’, des démonstrations vident de sens. Ces manipulateurs adroits de l’antilogie capables de soutenir avec un égal brio tout et son contraire, la thèse et l’antithèse, capables de transformer leurs faiblesses en forces, pour terrasser leurs adversaires. On ne doit toutefois pas sous-estimer leur influence dans le siècle de Périclès, celui de l’apogée d’Athènes, le moment ou Phidias est le maître d’œuvre du Parthénon. Ils étaient les philosophes de référence, peut-on voir un lien avec notre siècle hyper médiatisé où la parole ‘bien’ maniée est plus importante que le fond, il suffit d’être un bon orateur pour faire passer des idées fussent-elles mauvaises !
Nous devons admettre que ces sophistes possédaient une grande culture pour étayer leurs paroles. Ils étaient donc particulièrement redoutables et dangereux. Ils connaissaient Hésiode, Homère, le fond de toutes choses, le concept de l’un et du multiple.
Leur entreprise grâce à la puissance de leurs paroles fût de mettre à bas toutes les traditions et les valeurs : les dieux, la justice, la morale, tous les secrets de l’univers révélés par leurs prédécesseurs philosophes. Ces maîtres de la parole avaient l’écoute de Périclès et même d’Euripide comme le plus célèbre d’entre eux Protagoras d’Abdère, qui forme avec Gorgias et Hippias le triangle des Sophistes. De leurs paroles creuses nous n’avons retenus que la célèbre phrase de Protagoras qui n’a pas fini de nous interroger : « l’homme est la mesure de toutes choses, pour celles qui sont de leur existence ; pour celles qui ne sont pas, de leur non-existence ». Les interprétations ne manquent pas. Les paroles bonnes ou mauvaises expriment des opinions des Doxa qu’il nous faut analyser, soumettre à l’examen de notre conscience avant de les rejeter, c’est ce que la Franc-maçonnerie demande à ses Maîtres. Pour Protagoras rien n’est absolu toute convention serait sociale, c’est son relativisme. Lucien Jerphagnon dans Histoire de la pensée, Philosophies et Philosophes résume ainsi le relativisme de Protagoras : « Il n’est pas une déclaration de scepticisme universel, mais un appel, une invitation à un accord entre les hommes sur ce qu’il convient de réaliser pour mieux vivre ensemble ». Vous conviendrez je pense que cela interroge, ce ne sont pas là que de simples paroles !
Les Sophistes n’en restent pas moins des experts dans la polysémie des mots, qu’ils manipulent dans le but de faire rouler le peuple d’un bord vers l’autre et inversement n’ayant aucune directrice, aucun sens a proposer. C’est l’usage inconsidéré d’un en même temps sans fin. N’ayant aucune idée directrice claire, ils ne proposent aucune action claire, aucune vision capable de susciter une adhésion, une unité. Ils font du clientélisme, répondant alternativement oui et non et tout le monde. Ces marchands de paroles veulent élargir leur zone de chalandise en étant d’accord systématiquement avec tout le monde, c’est à dire à mon sens finalement avec personne, ce sont des destructeurs d’harmonie et d’unité. Protagoras n’hésitait pas à bruler aujourd’hui ce qu’il adorait hier. Constatant son incapacité à maitriser la totalité il ne veut pas inclure dans son discours le concept de vérité. Ce n’est que mon humble avis, qui par conséquent n’est pas non plus la Vérité, mais ma vérité, mon ressenti soumis à la faiblesse de mes sens.
Protagoras dit par exemple concernant les dieux : « des dieux, je ne puis savoir ni s’ils existent, ni s’ils n’existent pas, ni quels ils sont quant à leur forme. Nombreux en effet sont les obstacles à un tel savoir : le fait que les dieux sont invisibles et le fait que la vie humaine est courte ». Cette ainsi qu’il conclura que l’homme est la mesure de toute chose, mais pas des dieux, car ils ne font pas partie des sociétés humaines !
On pourrait poursuivre avec les autres Sophistes comme Gorgias de Léontium ou Hippias d’Elis.
Difficile de s’y retrouver dans ces paroles, ces abus de la parole. Jean-Louis Poirier spécialiste de la philosophie antique, nous ramène à la raison (à lire dans ses Présocratiques – La Pléiade) : « Le langage est un mauvais contenant de l’Absolu, ce n’est pas son rôle, essentiellement pratique ». C’est peut-être pour nous Francs-Maçons notre difficulté à nommer le principe du Grand Architecte, à l’incarner, à le nommer, il a presque autant de noms que de Francs-Maçons.
Les Sophistes, ces beaux parleurs, ces microglosses (Perroquets) noirs, peuvent faire un temps illusion, avec leurs paroles. C’est pourquoi l’apprenti maçon pratique le silence du sage, humble parole de maître, qui a dit, seulement dit et à qui il reste maintenant beaucoup à faire, plutôt que de parler.
Jean-François Guerry.
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