Jean-François Guerry.
L’ESCHATOLOGIE EST-ELLE MAÇONNIQUE ?
Introduction
Qu’est-ce que l’eschatologie ? La réponse à cette question est à la fois atrocement simple et définitivement irrésolvable : elle est le levier, le moyen, le postulat, la posture par laquelle nous tentons d’échapper à la folie lorsque nous considérons l’espace qui nous englobe, et qui est limité d’une part par notre peau, et d’autre part par l’éternel infini. C’est pourquoi l’homme a inventé l’espace sacré, morceau cantonné de cet éternel infini, reproduction limitée de ce volume effrayant, où chacune des deux extrémités nous permet de ressentir, ou d’imaginer un tant soit peu cet embryon d’éternité. Cette capacité à envelopper l’espace en fait symboliquement un objet impair, c'est-à-dire quelque chose de dynamique, comme semble d’ailleurs le confirmer les observations astronomiques, à travers les théories du Big Bang et du Big Crunch.
Le souci métaphysique pour l’homme étant alors de pouvoir concilier cette dynamique apparente, avec des valeurs d’englobement qui évoque plus le confinement nourricier et la stase nécessaire. L’espace sacré reflète en fait physiquement ce qu’exprime métaphysiquement l’eschatologie, à savoir parler de la fin en se calant sur le début. Enoncer la fin des temps est en effet fabriquer une échéance ultime qui va s’ajouter à l’échéance minime que constitue le moment immédiat où l’on en parle. L’eschatologie deviendra ainsi à la fois la source et le mobile du mécanisme sacré.
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Verbe et Logos
Littéralement, l’eschatologie, du grec « eschatos », dernier, et « logos », verbe, signifie le rapport au dernier, ou bien le dialogue, le discours avec le dernier. Il faut voir dans le terme de discours, comme dans celui de dialogue, une valeur qui dépasse largement le cadre d’un simple faisceau d’échanges. Á l’image du dauphin et de son sonar qui lui répercute les échos, nous humains tenons et recevons en permanence une multitude de discours, des plus sommaires aux plus élaborés, de par le lien constant que nous établissons avec tout ce qui nous entoure. Ces discours qualifient, nomment, exécutent et définissent la place que nous occupons dans notre famille, notre environnement, notre civilisation et notre Univers. On pourrait ainsi imaginer que la totalité de l’Univers tel que nous le vivons ne soit constitué, pour chacun d’entre nous, que de soi-même, et de l’ensemble exhaustif des discours que nous soyons capables de tenir avec chaque composante dudit Univers. Cette vision, bien que parfaitement nombriliste, a l’avantage de nous rapprocher de la notion de Logos, que je vois comme l’expression dynamique de l’Univers, adaptée à notre perception spatiotemporelle individuelle.
Le logos deviendra alors, en tant qu’émetteur, le stylet qui grave tout notre vécu, mais il sera aussi, en tant que récepteur, la meilleure grille de lecture qui nous soit disponible, parce que le Logos occupe par principe la totalité de l’Univers, et qu’il est donc tout à la fois source, propagation et fin ultime, c'est-à-dire les trois fondamentaux que l’Homme est apte à reconnaître. Le terme de Verbe est couramment substitué au terme Logos, ajoutant un aspect fécondant, incisif, lumineux, qui colle bien, dans l’esprit, à la vision judéo-chrétienne qui habite l’homme occidental. Je me cantonnerai pour ma part au substantif Logos, expression ronde, pleine d’humanité, qui semble nourrir et se nourrir, rebondir et se réverbérer sur les confins de notre entendement. Ce rebond fait que le logos voyage entre début et fin, mais aussi qu’il puise sa réalité dans l’existence même de ce début et de cette fin. Si l’on voulait utiliser une image, on pourrait imaginer le Logos comme un fil dont on percevrait la tension, mais dont les points de fixation, à l’origine de cette tension, seraient hors de portée de notre vision et de notre entendement.
Le Logos est donc déjà à lui seul un support eschatologique. Ce simple fait suffit à nous faire prendre conscience que la perception de l’Univers passe nécessairement par le prisme de l’eschatologie : sans celui-ci, il est impossible d’avoir une vision intellectuellement viable de son immensité. Si l’Univers, pour paraphraser une sentence, est inaccessible à l’esprit humain, cette inaccessibilité n’en est pas moins un jalon, qu’il convient de ne pas négliger. Comment, sinon, avoir un minimum de prise sur un système qui nous « échapperait » en permanence, aussi bien dans le temps que dans l’espace ? Pour revenir au discours, quel que soit la complexité de celui-ci, il qualifie toujours une relation bipartite, entre soi et l’autre.
On pourrait rétorquer qu’un discours peut s’adresser, ou bien être reçu, par des milliers d’interlocuteurs simultanément : c’est exact sur le plan de la forme. Par contre, sur le fond, cette multi relation se résumera toujours en une myriade de contacts bilatéraux, le plus souvent simultanés. Dans ce contexte, l’autre pourra donc être le dernier, c'est-à-dire celui qui sera à la toute fin de ce qu’on pourra percevoir, imaginer ou sentir dans le cadre particulier de cette relation. L’eschatologie permettra ainsi non pas seulement de toucher aux limites supposées de notre entendement, mais également d’embrasser la totalité des évènements se déroulant entre l’amorce et l’extrémité du discours considéré.
Le dialogue, ou le discours ouvrira ainsi au maximum l’éventail des possibles pour cet être quelque peu inaccompli qu’est l’humain. En incluant d’emblée toutes les modalités imaginables, le discours permettra de ne rien s’interdire, de ne se priver d’aucune des composantes bénéfiques ou maléfiques à retirer d’une confrontation avec nos semblables. Si l’on pousse à fond notre raisonnement, cette approche incitera, par transposition, à nous confronter aux confins de nous-mêmes, ces confins pouvant prendre la forme d’une limite existentielle, intellectuelle, physique ou psychologique. Au-delà de son interprétation allégorique, symbolique ou onirique, l’eschatologie pourrait donc être résumée à un mécanisme mental nous autorisant à nous accommoder et à nous confronter à l’inconnaissable et à l’inaccessible.
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Mécanismes généraux
L’homme n’a pas de plus durs combats que ceux qu’il mène face à un adversaire invisible : l’eschatos, le dernier peut être cet inconnu, générant comme tel de l’angoisse, de la peur puisque sa distanciation ne peut se mesurer qu’à l’aune des limites de notre entendement. Mais en même temps le dernier l’est par rapport à nous, impliquant donc l’application d’un repère, d’un lien et d’une frontière circonscrivant, et donc mettant le doigt sur notre relation à ce dernier. Ce mode de fonctionnement, purement dichotomique, est source de progrès : le meilleur des exemples nous est fourni par le langage informatique, qui est le l’expression mimétique de la vie et qui, bien qu’étant toujours placé sous l’égide immuable du
rapport entre un et zéro, voit ses possibilités s’étendre chaque jour en termes de rapidité de calcul. Philosophiquement l’eschatologie peut être considérée comme le pendant de cette logique binaire, faite de zéros et d’uns : cette logique-là, mécanique bien huilée qui gère tout le manifesté, génère parallèlement, pour qui veut s’y pencher, tout un questionnement sur l’espace-temps qui sépare ce zéro de ce 1. C’est dans cette béance que travaille l’eschatologie, car si l’homme utilise ce langage binaire, il en est aussi l’esclave, étant pour lui la seule façon de se rendre intelligible le monde qui l’entoure. Notre fonctionnement végétatif met en œuvre et régule l’existence telle que nous la connaissons, et son déroulé est normalement lumineux, rationnel et généralement agréable. L’eschatologie apparaîtra donc comme son côté « sombre », et sa nature apparemment violente et mortifère. C’est sans doute pourquoi l’eschatologie est consubstantielle à la notion d’Apocalypse, entendue de prime abord comme un combat létal, une extinction, une déchéance, un effacement.
Il existe deux voies majeures pour formaliser le rapport au dernier, comme il existe deux Testaments. Le sacrificiel et la miséricorde sont ces deux voies, l’une d’elles, le sacrificiel, plutôt relative à l’Ancien Testament, tend à une distanciation du zéro et du un par la césure, la coupure, la consumation, ou la distanciation du corps à spiritualiser. C’est tout le principe des holocaustes, accomplis sur l’autel, où sera sublimée, au sens chimique de passage de l’état solide à l’état gazeux la matière à honorer. L’autre voie, la miséricorde, plutôt relative au Nouveau Testament, donne lieu à un rapprochement du zéro et de l’un, par l’embrassement moral du pauvre pêcheur, par la compassion. L’eschatologie devient, à ce moment, une troisième voie, celle qui traite de la position relative de ces deux valeurs, c’est pourquoi on ne peut pas réellement l’inclure dans aucun des deux testaments.
L’eschatologie s’engouffre donc dans cet espace situé entre ces deux bornes extrêmes que sont mécaniquement le zéro et le un, mais que sont également moralement le bien et le mal, religieusement le diable et le dieu, initiatiquement le sujet et l’objet, ou maçonniquement les sentences « Les temps sont proches », et « Il n’y a plus de temps ». « Les temps sont proches », « Il n’y a plus de temps », et « je suis très ancien » : ces expressions tentent de formaliser au mieux cet abysse existentiel placé entre le zéro et le un : le temps chronologique est ici nommé, mais il est en même temps flouté. D’ailleurs, s’agit-il réellement d’un temps tel que nous l’entendons habituellement ? Rien n’est moins sûr. Ces bornes sont fuyantes : on s’en approcherait, puis elles disparaîtraient, rendant impossible la conservation des repères rencontrés précédemment. Lors de l’Apocalypse, Il n’y a plus d’orthodoxie, c'est-à-dire un milieu triomphant qui dicterait ses lois, car « il n’y a plus de temps ». L’Apocalypse nous apprend qu’il n’est possible de faire émerger une nouvelle réalité que si les deux versants qui en sont à l’origine, et qui matérialisent le caractère duel du fonctionnement humain, se sont confrontés. Quels sont ces versants ? Je dirais qu’ils diffèrent pour chacun d’entre nous, les vraies oppositions n’appartenant qu’à chacun. La sensation que nous avons de vivre à cet instant un moment où règne la confusion, comme il est dit dans l’instruction du 17ème degré, est incontournable : à ce moment précis, il y a pivotement vers un nouvel état, mais juste avant ce pivotement, c’est la nébuleuse de l’incertitude. La puissance du mécanisme eschatologique permet de s’extraire de cette nébuleuse et de créer une tension bénéfique entre soi, et une fin supposée, afin de mettre le doigt sur ici et maintenant, avec une force de conviction sans équivalent.
L’homme est en effet une entité dont le besoin de liberté est à l’aune de son besoin de cadre, de limites et de repères : l’eschatologie offre les deux volets nécessaires, et pousse à définir ce que l’on est. L’eschatologie vient à cet égard prolonger la Tradition. La Tradition est porteuse d’orthodoxie constituée, de transmission, de normes approuvées, de terreau et d’origine. L’eschatologie, en digressant sur une finalité sans cesse répétée, apporte une complétude. Cette fin dernière permet une vision de l’homme beaucoup plus universelle, car référée aux limites mêmes de ce qu’il peut concevoir, alors que, par principe, la Tradition, quelque nécessaire qu’elle puisse être, ne lui échappe pas puisqu’il la fabrique en permanence.
Thierry Didier.
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