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la Franc Maçonnerie au Coeur

la Franc Maçonnerie au Coeur

Un blog d'information, de conversations sur le thème de la Franc Maçonnerie, des textes en rapport avec la Franc Maçonnerie, comptes rendus et conseils de lectures.

Publié le par Thierry Didier
DE LA SUBSTITUTION - PART VII- et Fin. Thierry Didier
Si vous avez le mot...vous pouvez passer. Le mot vous guide vers l'endroit, le moment propice.

 

Nous arrivons au terme de cette réflexion sur la substitution par Thierry Didier. Après cette septième partie, la totalité du texte.
Merci à Thierry pour cette belle et dense contribution.

 

Jean-François Guerry.

 

Source : Manual of the Lodge Albert G Mackey 1891

Source : Manual of the Lodge Albert G Mackey 1891

C

’est pourquoi chaque grade possède un mot sacré, et presque tous (à part le 13ème degré, qui est déjà dans son essence un passage) un mot de passe. Le mot est l’interface du verbe ou de la parole, fécondant, et de l’être humain, c’est-à-dire de la matière fécondable ou fécondée. Le mot est aussi une interface dont l’envers serait sacré, et l’avers serait « de passe ».  A cet égard, le terme de mot de passe est un pléonasme, dans la mesure où le mot même est déjà l’indice d’une passation entre 2 milieux ou 2 êtres. On utilise néanmoins cette acception car l’initiatique place, à côté du mot de passe le mot dit sacré, qui invite à dépasser un seuil, à franchir un palier permettant à l’initié d’être reconnu et de ne pas se perdre lorsqu’il n’est plus, comme le dit le rituel d’ouverture au 1er degré, dans le monde profane. Par exemple, le mélodrame vécu par Hiram Abif va permettre de décliner ce verbe entre, d’une part la parole perdue, c’est-à-dire tout ce qui sera laissé de côté, du fait même des circonstances, et le mot substitué, véritable survivance d’une situation. Tous les mots sacrés qui caractériseront chacun des grades ultérieurs au 3ème degré sont, dans leur principe, substitués, c’est-à-dire rapportés à un narratif particulier sanctionnant une situation nouvelle et originale, mais toujours référée à un objet particulier.

Ainsi la cérémonie d’exaltation deviendra le Kaïros, c’est-à-dire le point de confluence entre candidat à la maîtrise et ce qui lui sera donné à voir et à apprendre. On lui associe communément le verbe ou le logos, qui a la faculté à se disséminer, se propager, tout simplement parce qu’il est d’une nature différente du milieu à partir duquel il voyage. Pour qu’il y ait propagation, il faut effectivement que ce qui voyage soit de nature différente du milieu dans lequel il baigne, sans quoi ne s’en différentierait-il pas. Si le narratif colore de morale le mélodrame d’Hiram Abif, et sa volonté de ne pas donner aux 3 compagnons le mot des maitres, c’est parce que cette morale est la façon la plus directe de raconter une histoire, de la rendre crédible et compréhensible par tous. La morale a cette vertu de s’adresser à tout un chacun, mais aussi au collectif. Elle est puissante, en particulier dans le monde judéo-chrétien, par les leviers culturels, voire cultuels qu’elle met en branle, celui du mal, du bien, du pécher et de la rétribution théologique en général.

En un mot, la morale est la façon la plus efficace à même de concerner les plus rétifs. Hiram Abi n’existe donc que par sa mort, c’est sa trace qui nous guide, son cadavre que l’on enjambe et sa réapparition en avatar qui permettra de s’y substituer. Cette substitution n’est en rien anodine : Exotériquement, elle permet, par son caractère peu offensif, de ne pas écorner l’image radieuse du vieux Maître. Ésotériquement, la substitution va installer le jeune Maître sans générer une culpabilité toujours nuisible aux nouveaux arrivants. Ainsi le nouveau Maître qu’on devient peut « reparaître plus radieux que jamais », sans être alourdi du syndrome de l’imposteur. Cette légitimité est fondamentale, car elle donnera une force, une solidité et une constance appréciables, qualités dont l’addition s’appellera souveraineté. Le relèvement du maître, entendu autant dans son acception maritime de mesure, que dans son acception posturale, s’effectuera alors par les 5 points parfaits de la maîtrise : il s’agit là de la reconstitution de chevilles ouvrières co-formées par la disposition en miroir de 5 points, et donc de leur analogie structurelle.

La Lumière de l'Acacia

Lorsque le candidat a subi le coup létal et qu’il est allongé sur le sol, les 7 maîtres le cherchent symboliquement sans pouvoir le trouver physiquement : à ce moment, le candidat est dans un entre-soi dans lequel l’incarnation, tout comme l’exaltation n’ont pas leur place : l’analogie a alors cesser d’exister ; c’est pourquoi les 7 maîtres tournent autour du nouveau maître sans pouvoir le découvrir, il n’est alors pas visible symboliquement. Seul un rameau d’acacia, porteur d’une forme de verdeur cyclique, de renaissance intemporelle, bornera puis permettra d’identifier sa sépulture. Ce rameau fera revivre, par délégation, un lien analogique qui, de ce fait, va sauter aux yeux des 7 maîtres incarnés. Là où la Parole est perdue, le mot est substitué : la parole travaille sur le registre de la manifestation à tout crin, elle a cette vertu d’être fécondante, ostensible, solaire, déclarative, et sa perte occupe encore une place importante, à la façon dont un enfant se construit sur l’absence d’un parent parti ou décédé. La parole perdue crée ainsi un appel d’air initiatique, où ne manquera pas de s’engouffrer le mot substitué, la nature initiatique ayant horreur du vide existentiel.

Thierry Didier.

DE LA SUBSTITUTION LE TEXTE INTÉGRAL.

DE LA SUBSTITUTION

 

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es deux premiers degrés du REAA ont pour objet la construction progressive du maçon. La méthode utilisée sera la méthode symbolique. Elle va permettre, par le biais de sa mécanique particulière, d’utiliser des outils déjà bien connus quant à leur usage profane. Ainsi, grâce à l’interprétation faite sienne de ladite méthode, tout initié va pouvoir travailler selon sa sensibilité ou son profil avec des supplétifs constants, tels que le maillet, le ciseau, le compas, etc… L’outil deviendra alors un invariant incontournable qui permettra aux singularités de chaque initié de se voir projetées dans des circonstances codifiées qui sont celles de l’exercice maçonnique et de ses modalités, en tenue régulière comme en cérémonie d’initiation. Parallèlement à cette spécification qui fait de l’initié un être unique et indivis, chaque personne ne diffère qu’infiniment peu du point de vue génomique d’un autre individu, et présente, plus largement, des similarités avec tout ce qui l’entoure, arrangement moléculaire, chimie commune, ordonnancement en général. Même les productions humaines, tels les temples et les églises suivent des lignes structurelles qu’on retrouve chez l’initié en termes de modèles de construction et de sacralisation de l’esprit.

Ce sont ces supports communs qui permettront l’application du principe d’analogie. Ce principe est fondamental car il conditionne tout le mécanisme de l’existence. Nous ne vivons et voyons qu’à travers le prisme de ce mécanisme qui utilise à plein l’entendement binaire qui est le nôtre. L’existence ne comporte en effet fondamentalement que deux versants : soi et le reste de l’Univers. Ce schéma indépassable conditionnera tout notre entendement. Ainsi, quels que soient les actes de notre vie, nous ne pourrons jamais prendre en compte plus de deux éléments à la fois. C’est ce même mécanisme mimétique qui structure le langage informatique courant. Même en informatique quantique, qui connait une infinité d’états possibles, ceux-ci ne seront jamais au bout du compte que la prise en considération l’une après l’autre d’un rapport de deux valeurs.

Le principe d’analogie va surfer sur ce fonctionnement duel en identifiant ce qui, dans l’espèce humaine, peut fonctionner en harmonie avec une autre entité quelle qu’elle soit. Comme le dit le célèbre adage alchimique, «l’analogie est l’unique clé de la Nature ». Tout homme comprend et applique le principe d’analogie en permanence : lorsqu’il regarde un vase, il le cerne, le distingue de son contexte, puis le replace dans un concert général qui est celui de l’universalité des choses. Il faut voir l’analogie autant comme une dynamique que comme une forme de statut, de socle, d’un univers dont ne pourra pas se départir l’initié, si avancé soit-il. Quand nous regardons l’univers ou notre prochain, nous regardons en fait l’analogie dans son essence : c’est d’ailleurs, sans rien dévoiler, le sens profond de la figure majeure du 30ème degré du REAA. Par contre, l’initié pourra trouver, à l’intérieur de ce principe, matière à exister d’une façon un peu différente de celle du profane qui, lui, se contentera d’accompagner et de vivre cette analogie. Cette façon de se distinguer s’appellera la substitution.

L

’être humain ne se contentera donc pas de surfer sur l’analogie, il fait œuvre de cette analogie, qui le baigne autant qu’elle le dirige. Comme son nom l’indique, l’analogie met en jeu 2 intervenants, qui se mesurent, se collètent et finalement s’épousent. L’homme existe, au sein de ce duel, en tant que tiers inclus, la différence entre initié et profane sera ce qu’il fera de cette position : le profane n’y verra qu’une direction possible, qui sera la perspective choisie pour la continuation de sa pensée et de son action. Par contre, l’initié aura la capacité de créer un mouvement intrinsèque à la fois dépendant de l’analogie, puisque créé en son sein, et en même temps original et transitoire : on l’appellera pensée ternaire. La pensée ternaire, si fondatrice pour un franc-maçon, sera une façon non pas de s’extraire de l’analogie, ce qui est impossible et conduirait à notre inexistence, mais d’y développer une approche originale qui ne sera en aucun cas une manière de s’en éloigner, mais au contraire de s’y arrimer afin de créer cette animation particulière et transitoire qu’on appellera substitution. Le terme de substitution a une connotation péjorative par son étymologie, qui signifie : « établir en dessous ».

Le substitut est alors fréquemment rapporté à un subordonné, qui seconde ou remplace le titulaire (substitut du procureur, etc…). Dans l’initiatique, et plus particulièrement au REAA, où le déisme d’un principe architectural universel existe, tout acte est en fait substitution à ce principe premier dénommé GADLU, puisque le GADLU est censé représenter une forme de totalité potentielle. La substitution ne vaut, dans l’initiatique, que par son caractère transitoire : autant cette substitution peut-elle, dans le milieu profane, aboutir à une nouvelle orthodoxie, autant est-elle, dans l’espace maçonnique, l’objet d’une transmutation éphémère visant simplement à accompagner l’initié sur des chemins subsidiaires dont l’intérêt résidera exclusivement dans la potentialité à se souvenir de ce qu’il aura vécu. Ensuite, ce retour à l’initial, mais pourvu de connaissances nouvelles (« Le Maître reparaît plus radieux que jamais ») ne sera en aucun cas un recul, car l’art initiatique ne possède pas de flèche du temps ou de l’espace, il est holistique. L’initié pourra, par ce biais, éprouver des chemins attenants.

Si l’on veut filer la métaphore, la substitution sera, pour paraphraser une sentence nietzschéenne, la vibration d’une corde tendue entre les 2 termes de l’analogie. Cette vibration ne rompra à aucun moment la continuité, simplement ledit fil, en oscillant, s’autorisera momentanément une trajectoire propre. C’est l’acte même de substitution qui fabriquera cette nouveauté, cette voie originale, retournant au terme de cet acte à un statut initial posé depuis toujours. Comment finalement engendrer cette distinction, éphémère mais aussi intriquée dans le mouvement général de la vie ? En usant de la seule échappatoire possible, aussi efficace que temporaire, aussi puissante qu’inféodée, celle de la voie substituée. Le souci avec l’analogie est qu’elle représente stricto sensutout ce que nous pouvons imaginer et faire ; elle est tellement monopolistique qu’il est impossible d’en sortir.  Partant, l’initié devra tenter de se transformer, de modérément s’ « égarer »  mais sans jamais pouvoir mettre de côté cet incontournable « pensum » qu’est l’analogie. Il pourra le faire grâce au mécanisme délicat de la substitution. « Il faut dégager le subtil de l’épais » nous dit le 7ème précepte de la Table d’Emeraude, l’épais étant ici le principe d’analogie, structurel et indépassable, et le subtil ce qu’on peut en retirer de léger, de fin, de précieux, mais aussi de labile, à savoir la substitution. La substitution n’est pas un état, mais une circonstance, nous parlons d’ailleurs de mot ou d’homme substitué au participe passé. La substitution s’entend selon son radical étymologique sub- « sous », entendu dans son sens de « délié, ténu », et non sous l’angle d’une quelconque hiérarchie. Mais comment créer un mécanisme de substitution ? Eh bien, en s’appuyant sur la mécanique symbolique : celle-ci guide l’homme vers ses spécificités tout en lui ouvrant l’accès à la connaissance, mais la méthode façonne aussi, en sous-main, l’individu, appuyant discrètement sur ce qui fait son universalité, en créant ce que j’appellerais des « canaux de similarité » sur lesquels pourront se greffer des éléments d’analogie. Exemple de canal de similarité, la construction individuelle, qu’on peut rapprocher de la construction d’un édifice : ce sera tout l’objet des grades dits de Perfection et d’Exil.

A

utre exemple, celui de l’incarnation, à rapprocher de la symbolique de la rose et de la croix, ce sera l’objet du 18ème degré et de sa centralité intestine. Enfin la philosophie, entendue comme un viatique, un aliment, une couleur qui vivifiera le tracé existentiel bâti un temps sur l’analogie, puis dans un autre temps sur l’incarnation nous sera contée par le prisme des degrés du 19ème au 30ème du REAA. Tout le fil initiatique du REAA sera alors bâti en analogie à la représentation de ce GADLU, à savoir le Temple matériel de Salomon lors des degrés de Perfection et d’Exil, le temple de l’esprit pour cette forme incarnée du divin lors du degré de CR+C, et enfin d’un Temple exclusivement constitué de la somme des rapports établis entre l’initié et le principe créateur, à savoir les degrés philosophiques, et son maître à penser , le Commandeur, Être commandeur du Temple signifie donc prendre la mesure de cet ensemble de relations. Il s’agit là d’une forme hautement perfectionnée du temple, dans laquelle priment sur le temple lui-même les liens qui se font et se défont, et qui accordent donc aux dynamiques d’analogie et de substitution une primauté sur la station, le statut et le fixe.

 Le Temple du commandeur rappelle la création, après l’Exil, des synagogues, mot qui signifie « assemblées », et qui constituent un espace sacré indéfiniment reconstitué, les synagogues n’existant symboliquement que durant le temps du rassemblement des fidèles.  La symbolique peut donc déceler et créer un modèle général, applicable à tous, transformant chaque impétrant selon des lignes de force qui lui sont propres. Mais la symbolique a aussi ceci d’universelle qu’elle crée en chacun des cheminements interpersonnels qui échappent, eux, à la différenciation et qui font que chaque être humain soumis à un même outil se verra peu ou prou façonné par ledit outil de façon assez semblable d’une personne à une autre. La substitution rassemble et distingue à la fois, selon une véritable « tenaille cognitive », qui travaille l’initié à deux niveaux, un niveau immédiat qui nous emmène dans notre construction individuelle, et un niveau que je qualifierais de long et profond dans son installation collective en l’homme, révélant chez chacun d’entre nous une forme de similarité et de continuité relatives à notre espèce. C’est le mélange de ces 2 voies, distinctive et collective à la fois, qui tordra, tel un levier, et qui sculptera, tel un ciseau métaphysique notre nature et notre destinée. La substitution, par la liaison qu’elle apportera entre 2 volontés ontologiquement opposées sera un moyen de créer du mouvement, de la transformation, puis, au bout du bout, de se réaligner au sein d’un ensemble statutaire, apparemment statique et figé.

 

L

a substitution ne peut porter que sur des choses tangibles : mots, corps, édifices, etc…car ce tangible-là n’a pas la possibilité de s’échapper du réel, et c’est d’ailleurs ce qu’on lui demande. La substitution devient alors, dans la recherche initiatique, le seul moyen d’avancer, parmi des hommes ou des évènements qui nous ressemblent. Car la caractéristique principale du monde initiatique, différencié du monde ordinaire, est de posséder un axe visible, là où le profane évoluera au hasard des circonstances. C’est cet axe autour duquel auront lieu toutes les transformations de l’initié. Il n’est qu’à regarder en détail les circonstances des cérémonies d’initiation à tout degré, elles suivent toujours un axe autour duquel se greffent des évènements particuliers, propres au grade considéré.

Et donc, comment peut-on appeler un changement, un basculement qui respecte le fil rouge de cet axe ? une substitution. Le miracle, au sens large, est aussi selon moi de ce tonneau, substituant un réel à un autre réel, mais dans une passation qui demeure invisible. La substitution est donc magnifiquement symbolisée par la cérémonie d’exaltation, au cours de laquelle le candidat suivra un axe invariable, sans jamais s’en départir, et au sein duquel il subira une substitution qui le verra à terme « reparaître plus radieux que jamais ». Il aura alors pu connaitre des remaniements intimes plus ou moins profonds, mais sans jamais dévier de cet axe qui le ramènera au bout du compte à une position similaire mais non identique, avec néanmoins ce surplus de Connaissance qui en fera un homme à la fois nouveau et identique à celui du début, c’est-à-dire à un homme substitué.Spatialement et géométriquement, on se rend compte que cet axe virtuel est posé dès l’entrée du candidat, et qu’il n’y dérogera pas de toute la cérémonie, ce sera la condition sine qua none à son initiation au grade de maître.

En même temps, diverses postures, déambulations, événements vont s’effectuer, mais toujours au sein même de cet indéfectible axe structurel qui est ici celui de l’analogie. Cette unité sera rendue par le caractère « filaire » du parcours de l’impétrant : celui-ci rentre dans le Temple en son milieu, progresse à reculons et torse nu, c’est-à-dire qu’on travaille sa corporéité en l’alignant sur cet axe géométrique de la loge, simplement en faisant varier les circonstances et les conditions. Il se retourne ensuite devant le cadavre face à l’alignement de ce dernier et l’enjambe. Cet enjambement à une double signification, il permet de visualiser dans sa chair une progression mêlant les 2 corps ; et en même temps cette enjambement permet au candidat de maintenir son positionnement axial, tout en vivant un évènement particulièrement singulier, dans les 2 sens du terme. Cet axe sera l’endroit au sein duquel se vivront les métamorphoses du vivant : nudité partielle (fragilisation), marche à reculons (déséquilibre), arrachage du tablier (violence et soupçon), retournement (désorientation) enjambement (confusion et transformation) coup létal (basculement). Tous ces actes patents se cantonneront selon une ligne irréfragable dont ils ne dérogeront pas, avec toute la puissance qu’une telle restriction impose.

Cantonner ces actes, à la fois sur le temps court de la cérémonie, et l’espace court d’un axe indépassable permet de les sublimer, exactement de la même façon qu’on fait passer un solide directement à l’état gazeux, en augmentant simplement pression et température. Le reste est à l’avenant, à savoir que le coup létal, le gisant, la recherche et la découverte du cadavre, et enfin la régénérescence et le relèvement du nouveau maître poursuivront ce travail filaire. Il peut sembler a priori antinomique de parler de la cérémonie du 3ème degré comme étant celle d’une exaltation, car nous venons en effet de voir en quoi une transformation contrainte, dans le temps et dans l’espace pouvait être efficiente, imposée entre les étroites limites des 2 tenants de l’analogie, représentée au début de la cérémonie par le candidat, et à la fin, quelques mètres plus loin par le nouveau maître. En fait, ce terme d’exaltation se justifie à divers égards qui se recoupent, à savoir qu’on n’est jamais aussi libre qu’à l’intérieur d’un cadre qui nous éprouve en permanence, et que la liberté est donc d’abord intérieure.

Ensuite parce que si le substantif « exaltation » emprunte au latin chrétien exaltatio « action de s'élever, de se dresser », il signifiera aussi, lors de l’avènement de la chimie moderne (1680) « se dépouiller de toutes choses impures ». L’analogie avec la chimie organique est frappante : on parle d’exaltation et de sublimation lorsque, je le répète, un corps passe directement de l’état solide à l’état gazeux, avec l’évidente comparaison sacrificielle qui fait passer, par l’holocauste biblique, de la consumation de la matière lourde et grossière du sacrifié à l’avènement des cendres minérales, mais surtout de l’esprit, léger et subtil qui caractérise son humanité. Mais l’exaltation, toujours par analogie à la chimie organique,  permet aussi  une catharsis, en séparant , à partir d’un même objet , ce qu’il y a en lui d’invariant, d’insécable, de noble, et les « vices,  impuretés », ou métaux qui y sont accolés, et qui , eux, resteront au fond de la cornue  : « La chair quitte les os […] Tout se désunit »  reflètera ainsi à la fois une forme de spiritualisation de l’initié,  par l’extirpation des métaux parasites, et recomposant ensuite, par la, concrétion, le  nouveau corps purifié , c’est-à-dire le nouveau maître. Sur le plan métaphysique, la substitution de l’initié se comprend facilement.

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n effet, la franc-maçonnerie, comme toute pratique initiatique, est holistique, c’est-à-dire qu’elle prend en compte en permanence la totalité des chemins possibles nés de l’avancée de l’initié. Comme il est bien sûr impossible à l’entendement humain de considérer pleinement tous les choix que l’initié ne fera pas, c’est sous l’appellation générale et duale de mot substitué et de Parole Perdue que sera rassemblée la totalité des états possibles, totalité que j’assimilerais ici au terme générique de Verbe ou de logos. Pour créer le mot substitué, il conviendra alors d’envisager la Parole Perdue come l’accessit à cette substitution : la parole ordinaire est verbeuse, dans le bon sens du terme, c’est-à-dire solaire, volatile, discriminante, fécondante et révélative. Sa fonction est inséminatrice, elle a l’acutesse de sa singularité et de sa propension à rapidement envahir l’espace et les cerveaux. Dès qu’elle se perd, sa légitimité se transforme. En tout cas elle s’uniformise, ne formant plus avec les autres pertes qu’un fonds commun. En fait, on parle de mot substitué, car le mot est l’agrégation à un moment déterminé d’une parole, d’un contexte, d’une circonstance.

La parole ne peut pas, elle, être substituée, car elle est déjà mouvement par elle-même, elle peut simplement être ou ne pas être. Le mot obéit, lui, à des mouvances qui sont d’autant plus efficaces qu’elles sont incarnées. Là où la Parole est perdue, le mot est substitué : la parole travaille sur le registre de la manifestation à tout crin, elle a cette vertu d’être ostensible, déclarative, et sa perte occupe encore une place importante, à la façon dont un enfant se construit sur l’absence d’un parent parti ou décédé. La parole perdue crée ainsi un appel d’air initiatique, où ne manquera pas de s’engouffrer le mot substitué, la nature initiatique ayant horreur du vide existentiel. L’exaltation soumet un équilibre entre le mot ou l’attitude substituée d’une part, et l’arborescence de choix possibles non réalisés, d’autre part, qu’on appelle Parole Perdue. Ceci est en fait le sens ésotérique profond du mobile de l’assassinat d’Hiram Abif : le narratif évoque le refus de Maître Hiram de donner le mot aux 3 mauvais compagnons.

En fait, en ne donnant pas ce mot, Maître Hiram ne tranche pas dans l’arborescence infinie des choix possibles, le mot substitué se contentant alors de donner le change sans affecter la structure intime de l’univers. Mais on ne trompe pas impunément l’Univers, et l’attitude cavalière de Maître Hiram va se payer comptant. Ce dernier va être assassiné, et les 3 mauvais compagnons se perdre dans la nature, au moins durant un temps. On parlera donc de substitution : ce sera le seul moyen, à prenant appui sur ces « canaux de similarité » d’avancer au sein même de cette analogie sans la trahir, sans la dévoyer. Je vous citerai cette définition subsidiaire de l’analogie, qui me paraît très parlante « Action qui détermine l'apparition dans la langue de nouvelles formes à partir de correspondances qui existent entre des termes d'une même classe ». Ces nouvelles formes pourront alors se substituer aux anciennes, sans déroger au sacro-saint principe d’analogie. Lorsqu’on sort l’analogie du son carcan inertiel de l’analogie, il va nous être possible d’avancer en son sein, sans en dévoyer le message : ce sera l’objectif de la substitution.

C

ette dynamique me fait penser en chimie, aux émulsionnants, substances ajoutées à un milieu par nature instable, le stabilisant par leurs capacités à se lier avec les opposés générateurs de ce déséquilibre. La substitution est de ce tonneau : c’est un émulsionnant initiatique : sans négativer le principe de toute façon incontournable d’analogie, elle exploite en son sein les ressemblances et les différences en s’y liant. L’enjambement du cadavre obéit à cette dynamique faite à la fois d’une distanciation et d’un amalgame à ce corps perdu. La substitution préserve donc les fondamentaux là où la Parole perdue les met sur le bas-côté. La parole n’est jamais véritablement perdue, car le fait de la qualifier comme telle la fait subsister, là où le mot se verra, lui, substitué ; l’étymologie de ces 2 verbes est voisine. Subsister, dont le préfixe est emprunté au latin subsistere « s'arrêter, faire halte, rester, demeurer, résister, tenir bon », est formé de sub- (dessous) et de sistere « placer, poser, se poser, s'arrêter, résister ». Substituer emprunte, lui, au latin substituere « mettre sous, mettre à la place, substituer (un héritier) », formé de sub- et de statuere « établir, poser ». Dans ce cadre, subsister et substituer conditionnent des changements qui vont ou bien dans un axe de continuité qui les légitime, ou bien à côté dudit axe, donc perdu, au moins pour un temps. Le fait même que ces verbes se ressemblent fortement, tout en différant subtilement dévoile le mécanisme de l’analogie, faite d’un va et vient subtil qui lie et écarte en permanence les 2 tenants pour conserver leur intégrité, tout en les versant dans un même élan. Le mot est une concrétion, une finalité, un aboutissement, le produit de la civilisation : à cet égard, il ne peut quitter la sphère du vécu, il n’a pas les moyens de s’« échapper » et donc de se perdre . Tout au plus pourra-t-il être substitué, c’est-à-dire remplacé mais dans un contexte similaire. La Parole, elle, est source, induction, création, elle a cette caractéristique de pouvoir être « perdue », c’est-à-dire mise de côté par l’orthodoxie du moment. Que cette perte soit transitoire ou définitive n’a que peu d’importance, c’est sa valeur absolue qui en conditionne la portée. Si l’on voulait utiliser une image, la Parole serait, dans un son, la porteuse, c’est-à-dire cette trame modifiable à l’envi mais jamais remplaçable, simplement émaillée d’accidents ponctuels qu’on appelle les mots.

Le mot est dans le monde, il lui est consubstantiel, indispensable à l’exercice initiatique qui côtoie sans jamais l’atteindre ce que l’on nomme communément le principiel, l’essence, le GADLU ou Dieu, mais toujours à partir d’une réalité qui est celle du rite et du rituel. La formalisation du mot en condamne l’échappement, il se voit cantonné au monde tangible auquel il appartient tout entier, et c’est bien là qu’il aura une utilité. Le mot correspond à une station du verbe, à son agrégation lorsque les circonstances le rendent possible. On pourrait dire que le mot apparaît et se signale de façon impromptue lorsque les circonstances l’amènent à être utile. Utile est un qualificatif fondamental dans l’esprit du REAA. Au-delà de sa similarité étymologique avec le substantif « outil », utile signifiait au début du 16ème siècle « qui possède les revenus et non le fonds d'une terre ». On pourrait assimiler les revenus aux mots, et le fonds à la Parole Perdue. Ces circonstances sont présentes quand elles imposent, comme dans la Tradition et l’exemplarité, un échange entre humains, dans une promiscuité nécessaire à la transmission dudit mot.

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’est pourquoi chaque grade possède un mot sacré, et presque tous (à part le 13ème degré, qui est déjà dans son essence un passage) un mot de passe. Le mot est l’interface du verbe ou de la parole, fécondant, et de l’être humain, c’est-à-dire de la matière fécondable ou fécondée. Le mot est aussi une interface dont l’envers serait sacré, et l’avers serait « de passe ».  A cet égard, le terme de mot de passe est un pléonasme, dans la mesure où le mot même est déjà l’indice d’une passation entre 2 milieux ou 2 êtres. On utilise néanmoins cette acception car l’initiatique place, à côté du mot de passe le mot dit sacré, qui invite à dépasser un seuil, à franchir un palier permettant à l’initié d’être reconnu et de ne pas se perdre lorsqu’il n’est plus, comme le dit le rituel d’ouverture au 1er degré, dans le monde profane. Par exemple, le mélodrame vécu par Hiram Abif va permettre de décliner ce verbe entre, d’une part la parole perdue, c’est-à-dire tout ce qui sera laissé de côté, du fait même des circonstances, et le mot substitué, véritable survivance d’une situation. Tous les mots sacrés qui caractériseront chacun des grades ultérieurs au 3ème degré sont, dans leur principe, substitués, c’est-à-dire rapportés à un narratif particulier sanctionnant une situation nouvelle et originale, mais toujours référée à un objet particulier.

Ainsi la cérémonie d’exaltation deviendra le Kaïros, c’est-à-dire le point de confluence entre candidat à la maîtrise et ce qui lui sera donné à voir et à apprendre. On lui associe communément le verbe ou le logos, qui a la faculté à se disséminer, se propager, tout simplement parce qu’il est d’une nature différente du milieu à partir duquel il voyage. Pour qu’il y ait propagation, il faut effectivement que ce qui voyage soit de nature différente du milieu dans lequel il baigne, sans quoi ne s’en différentierait-il pas. Si le narratif colore de morale le mélodrame d’Hiram Abif, et sa volonté de ne pas donner aux 3 compagnons le mot des maitres, c’est parce que cette morale est la façon la plus directe de raconter une histoire, de la rendre crédible et compréhensible par tous. La morale a cette vertu de s’adresser à tout un chacun, mais aussi au collectif. Elle est puissante, en particulier dans le monde judéo-chrétien, par les leviers culturels, voire cultuels qu’elle met en branle, celui du mal, du bien, du pécher et de la rétribution théologique en général.

En un mot, la morale est la façon la plus efficace à même de concerner les plus rétifs. Hiram Abi n’existe donc que par sa mort, c’est sa trace qui nous guide, son cadavre que l’on enjambe et sa réapparition en avatar qui permettra de s’y substituer. Cette substitution n’est en rien anodine : Exotériquement, elle permet, par son caractère peu offensif, de ne pas écorner l’image radieuse du vieux Maître. Ésotériquement, la substitution va installer le jeune Maître sans générer une culpabilité toujours nuisible aux nouveaux arrivants. Ainsi le nouveau Maître qu’on devient peut « reparaître plus radieux que jamais », sans être alourdi du syndrome de l’imposteur. Cette légitimité est fondamentale, car elle donnera une force, une solidité et une constance appréciables, qualités dont l’addition s’appellera souveraineté. Le relèvement du maître, entendu autant dans son acception maritime de mesure, que dans son acception posturale, s’effectuera alors par les 5 points parfaits de la maîtrise : il s’agit là de la reconstitution de chevilles ouvrières co-formées par la disposition en miroir de 5 points, et donc de leur analogie structurelle.

Lorsque le candidat a subi le coup létal et qu’il est allongé sur le sol, les 7 maîtres le cherchent symboliquement sans pouvoir le trouver physiquement : à ce moment, le candidat est dans un entre-soi dans lequel l’incarnation, tout comme l’exaltation n’ont pas leur place : l’analogie a alors cesser d’exister ; c’est pourquoi les 7 maîtres tournent autour du nouveau maître sans pouvoir le découvrir, il n’est alors pas visible symboliquement. Seul un rameau d’acacia, porteur d’une forme de verdeur cyclique, de renaissance intemporelle, bornera puis permettra d’identifier sa sépulture. Ce rameau fera revivre, par délégation, un lien analogique qui, de ce fait, va sauter aux yeux des 7 maîtres incarnés. Là où la Parole est perdue, le mot est substitué : la parole travaille sur le registre de la manifestation à tout crin, elle a cette vertu d’être fécondante, ostensible, solaire, déclarative, et sa perte occupe encore une place importante, à la façon dont un enfant se construit sur l’absence d’un parent parti ou décédé. La parole perdue crée ainsi un appel d’air initiatique, où ne manquera pas de s’engouffrer le mot substitué, la nature initiatique ayant horreur du vide existentiel.

Thierry Didier

DE LA SUBSTITUTION - PART VII- et Fin. Thierry Didier
DE LA SUBSTITUTION - PART VII- et Fin. Thierry Didier

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