Clefs pour la lecture d'une légende du roman national
Les Archives nationales (Paris 3è) exposent, jusqu’au 19 mai, "1429 Jeanne d’Arc le premier portrait". Un portrait de la pucelle d’Orléans comme on ne l’a jamais vue. Mais un dessin "imaginaire" qui intrigue les historiens.
On doit ce dessin à un greffier Clément de Fauquembergue qui était chargé de tenir le Registre du Conseil, sorte de Journal officiel des arrêts prononcés par le Parlement mais aussi pour rendre compte de l’actualité. Le 10 mai 1429 lui arrive une nouvelle stupéfiante : les Anglais, qui assiégeaient la ville d’Orléans, ont été mis en déroute par une "pucelle portant bannière". Fauquembergue mentionne en quelques lignes la levée du siège d’Orléans, et croque dans la foulée, sur ouï-dire, le portrait de Jeanne qu’il n’a jamais vue. Ce "portrait imaginaire" intrigue les historiens : figurée cheveux longs et dénoués, avec une poitrine opulente, en robe, épée à sa gauche, son célèbre étendard à droite, elle est loin d'une pucelle en habit d'homme avec l'armure complète que lui avait donnée Charles VII.
Vous allez le constater, tout n'est pas clair dans le dossier Jeanne d'Arc. Si peu clair que le très sérieux quotidien Le Monde titrait le 22 février 1974 sous la plume d'un non moins sérieux universitaire : "On attend que les archives vaticanes nous disent un de ces jours dans quelles conditions un peu roublardes fut donnée à la France tricolore cette sainte prestement débarbouillée des accusations de sorcellerie fabriquées de toutes pièces cinq siècles plus tôt."
Convenons qu'il n'est pas facile de suivre la voie qui va de Domrémy à Rouen sans bâtir un récit qui répugnerait à l'esprit le plus modérément rationaliste. Alors, pour lire la légende de Jeanne d'Arc avec les yeux de l'âme, j'ai consulté un très vieux barde breton qui ne bondit pas d'indignation quand on lui dit que, bien que bachelier, on ne sait ni lire ni écrire, qu'on a vu le beurre dans la salière ou qu'on a remonté la pendule électrique.
Je peux maintenant vous aider à comprendre la légende de la bonne Lorraine "qu'Angloys brûlèrent à Rouen…"
En 1428, une jeune fille se présenta à Vaucouleurs au Sire de Baudricourt. Elle lui déclara qu'elle venait de Domrémy pour rétablir le vrai roi de France sur son trône et qu'elle avait rencontré Sainte Marguerite, Sainte Catherine et, un peu plus tard, Saint Michel.
On nous dit que le Sire de Baudricourt l'a d'abord plaisantée, puis qu'il a été frappé par son assurance, qu'il l'a armée, équipée et fournie d'une escorte. Cela vous semble parfaitement absurde et vous voudriez que l'on vous fournisse une explication du comportement de ce seigneur qui était une autorité militaire. Ces gens-là se parlaient un langage convenu et Baudricourt ne plaisantait pas. Il avait très bien compris l'affirmation de Jeanne car Baudricourt était chevalier ; chacun a sa façon de s'exprimer.
Si vous écoutez avec soin la fille qui venait de Lorraine, ne trouvez-vous pas étonnant qu'elle insiste si fort sur le fait qu'elle vient de Domrémy. Dom Rémy, le seigneur Rémy, c'est bien Saint-Rémy, celui qui a institué le sacre des rois de France. Il y a des gens qui viennent de Saint Rémy et d'autres d'un lieudit Saint Jean. Il y a beaucoup de saints sur le calendrier !
Elle a rencontré Sainte Marguerite. Cela frappe bien fort l'oreille du chevalier qu'est le Sire de Baudricourt. La Marguerite est l'idéal du chevalier comme lui. Ce seigneur a certainement dans sa maison une image de Sainte Marguerite d’Antioche, vierge et martyre. Cette bonne personne n'a sans doute jamais existé mais là n'est pas la question.
Sainte Catherine c'est une autre affaire. Il s'agit de Sainte Catherine d’Alexandrie. Elle non plus n'a jamais existé mais, qui plus est, le Sire de Baudricourt ne l'avait jamais rencontrée. S'il fallait rencontrer tous les gens qui n'existent pas !
Sainte Catherine vierge et martyre mourut sous la roue, supplice qui n'existait pas encore lorsqu'elle est supposée avoir cessé de vivre. Pour cette raison, elle est la patronne des tourneurs, des rouliers, … qui usent de la roue. Elle périt jeune fille après avoir passé l'âge où on le demeure en général. Pour cette raison, elle est la sainte patronne des vieilles filles. Les filles qui ont cessé d'être jeunes se coiffent ce jour-là de bonnets burlesques et la cérémonie est une sorte de parodie de la prise de voile d'une religieuse. Car Sainte Catherine convient à ceux qui entrent en religion. Elle préside à la destinée du chevalier-moine. Baudricourt savait que les chevaliers-moines avaient rencontré la Catherine et qu'ils en attendaient la sainteté. Il suffit d'être célibataire et l'on passe de la Marguerite à la Catherine et nous le comprenons bien, nous qui sommes profanes en ces matières, car il faut encore de nos jours cesser d'effeuiller la marguerite pour coiffer Sainte Catherine.
Ensuite, disait Jeanne, les Saintes lui avaient amené Saint Michel. C'est un peu de cette façon mystérieuse qu'apparaît Saint Michel. Car qui est-il ? Vous le savez tous, la tradition judaïque veut qu'au moment où se sont dressés les anges rebelles contre le Créateur, en face d'eux se leva celui qui poussa le cri sacré qui contient le secret du salut et que nous avons maladroitement articulé dans notre langage "Michel".
Le Sire de Baudricourt lui seul peut admettre, qu'en entendant Jeanne, ce chevalier ait compris qu'il devait la diriger vers le Roi. Et Jeanne vit le Roi. Elle le reconnut dans la foule et lui parla à l'oreille. Cela ne vous rappelle-t-il rien ? Si l'un d'entre nous a reçu un mot de passe, vous savez très bien qu'il sera reconnu dans la foule par celui qui connaît ce signe de reconnaissance.
Jeanne a parlé au Roi à l'oreille et l'Histoire nous affirme que dès lors celui-ci ne douta plus de sa filiation légitime ( je rappelle que la reine Isabeau, surnommée "vénus" par le microcosme royal , avait "l'hymen accueillant"). Il sut qu'il avait reçu le mot de passe, ce mot que se transmettaient nos rois, le fameux mot que le souverain doit apporter durant le sacre lorsqu'il descend, en grand secret, dans la crypte de la cathédrale de Reims en compagnie de l'archevêque.
Alors quoi ? D’où Jeanne tenait-elle tous ces secrets ? C'est une histoire folle que je vous raconte là ! De qui suis-je en train de vous faire le portrait ? À dire vrai, je ne sais pas trop bien et je crois que j'en ai trop dit.
J'en ai trop dit ! Oui, peut-être, mais Jeanne en a dit surtout à ses juges et je vous incite à lire le compte-rendu de son procès. Ses juges, qui sont des gens bien informés, lui demandent si Michel était nu ou vêtu ; que ceux qui ont des oreilles pour entendre entendent ! Le procès de Jeanne fut un interrogatoire exigeant prononcé par des gens informés et auquel répond une accusée bien mieux informée qu'eux. Personne ne s'y est trompé. Et pas même l'évêque Cauchon, prélat de Beauvais, ni le confesseur de Jeanne car si elle eût accepté de reprendre l'habit féminin, elle eût cessé d'être la remplaçante du Roi et toute sa mission accomplie était perdue.
Et bien, le temps est venu de vous décevoir : j'ai parlé jusqu'à maintenant comme si j'avais le secret de la voie qui mène de Domrémy à Rouen en passant par Orléans. En vérité, je n'y comprends rien. Je ne comprends pas comment cette fille, qui s'appelait Jeanne, savait parler le langage convenu des chevaliers et comment elle avait appris les signes et les mots par lesquels les gens de cette catégorie se reconnaissaient au Moyen-Âge comme se reconnaissaient les ouvriers, les financiers, les brigands et les religieux dans ce temps où personne ne possédait de papiers d'identité. Elle nous a assuré qu'elle avait reçu des voix qui venaient de Dieu. Je ne sais par quel chemin mais je crois que le contraire n'est pas possible.
Vous allez rire et vous aurez raison, il y a deux autres solutions. Ou bien Jeanne a tenu ces propos par hasard ; il est vrai que cela est possible : un singe placé devant une machine à écrire peut taper par hasard un sonnet de Ronsard, pourquoi pas; ou bien alors Jeanne reçut un message du diable…
C'est ce que pense l'évêque Cauchon et son opinion mérite un sérieux examen. Cet homme-là en savait plus que vous, plus que moi et lorsqu'il entendit dans la bouche d'une fille ce qui se disait Jeanne, il jugea que, seul, le démon avait pu révéler à une jeune fille ce qu'un garçon eût difficilement pu connaître. Cauchon ne croyait pas que le Roi de France était et devait être l'oint du seigneur. Il jugeait qu'un prince étranger, le roi d’Angleterre, s'il faisait l'affaire, pouvait devenir le chef d'un état qui n'avait besoin que d'un chef et le roi d'Angleterre était, sauf sa naissance étrangère, tout à fait le digne héritier des anciens rois. Cauchon qui ne croyait pas qu'en France le roi était désigné par Dieu ne crut pas à la mission divine de Jeanne. Ce prélat est tout à fait digne d'estime ou bien alors il nous reste à mésestimer 98 % de nos contemporains qui pensent exactement comme lui. Je répète qu'il a attribué les connaissances de Jeanne à une confidence du démon. La plupart de nos contemporains s'en garderaient bien. Alors comment vont-ils expliquer l'énigme de Jeanne ? C'est alors que de grands esprits, dont les ouvrages ingénieux remplissent les bibliothèques, vous diront que Jeanne d’Arc était la fille bâtarde du Duc d'Orléans ou qu'elle était tout bonnement un jeune homme déguisé. Un homme déguisé en femme qui s'habillerait en homme ! C'est le comble du travesti !
Tout cela est bel et bon mais le tribunal des juges ecclésiastiques eût été bien vite informé si de telles informations eussent suffi à dissiper tout le mystère de Jeanne d’Arc car, croyez-moi bien, c'est là un beau mystère et mieux valait l'imputer au démon. Quant à moi, je suis bien incapable d'y faire passer une lanterne et mon seul souci aura été de vous faire remarquer que, comme il en va souvent des choses de ce monde, le mystère est souvent évident pour ceux qui sont informés des rites auxquels Jeanne se référait. L'une des plus robustes nourritures dont puisse se repaître l'ignorance, c'est la certitude que tout ce qui existe est explicable.
En 1431, Jeanne a été brûlée à Rouen ; ses cendres ont été dispersées. C'était trop tard pour l'autopsie. On a eu, depuis lors, recours aux plus folles ressources de l'imagination, la plus folle bien sûr étant de supposer qu'elle n'avait point été brûlée.
J'ose espérer que vous ne conserverez pas le sentiment que j'ai tenté ici de fournir une nouvelle explication du personnage de Jeanne. Il a passé tant de soleil et tant de pluie sur la place du marché de Rouen depuis que notre héroïne y a connu l'horreur de sa mort, depuis qu'elle a trouvé la paix du repos, qu'il faudrait être un bien habile historien pour prétendre déchiffrer un long message sur si peu de cendres. À travers les remparts de la nuit, il m'a simplement paru que je comprenais en quoi la plus part de nos contemporains croient qu'il y a un mystère. J'ai eu l'impression que je savais pourquoi ni Baudricourt, ni le Roi, ni le Connétable de Richemont, ni aucun haut seigneur du royaume n'a douté de la parole de Jeanne : elle affirmait qu'elle venait de Domrémy, leur parlait au nom de Marguerite, de Catherine et de Michel. Tout ce qu'elle disait était juste et parfait. Déjà, sur les champs de bataille, on entendait brailler les bouches à feu ; le canon était déjà là, la chevalerie s'en allait prendre sa retraite en forme de gisant. Cent ans plus tard à peine savait-on que les mots de Jeanne étaient justes et parfaits. On allait bientôt croire qu'il y avait un mystère dans la reconnaissance du Roi à Chinon.
J'ai essayé de vous montrer qu'il n'y a, à mes yeux, de mystère que dans les circonstances où elle avait appris ces mots-là. Ce mystère-là ne peut pas être résolu, j'en suis certain. Il est du domaine de l'irrationnel. Il est un des mystères constitutifs de ce que nous appelons l'Histoire parce que nous savons profondément, secrètement, mystérieusement qu'il ne s'agit pas là seulement du temps passé.
Yann
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