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inkielkraut nous dit encore : « Être moderne, c’est se séparer, et survivre, c’est être quitté… » On ne peut comprendre cette phrase qu’en ayant saisi le sens profond du terme séparé : Kadosch, en hébreu, c’est-à-dire celui qui coiffe, donc qui se distingue en étant relié, qui s’affranchit sans oublier. La modernité sépare donc et devient apothéotique, le préfixe -apo signifiant à la fois « écarter, éloigner », mais aussi « relatif à » conditionnant, je le répète, ce double objectif de la franc-maçonnerie qu’est la structuration et l’émancipation consubstantielle à la progression de l’initié. C’est pourquoi le rite s’ « autosuffit », il est potentialité tout autant que différentialité : il n’a pas besoin de garant , car il colle, par principe, à l’entendement humain, et qu’à ce titre il appartient à tout le monde: c’est sa mise permanente « en tension » qui contraint tout initié à aller de l’avant, avec du « matériel » qu’on lui prête, qu’il acquiert puis qu’il « rend » à chaque passage de degré ; cette opération n’est pas blanche, car ce qu’il rend est l’outil utilisé , et non le substrat qu’il vient d’acquérir par l’usage judicieux du rite et du rituel ; nous avons là une nouvelle fois l’explication fondamentale du dépôt des métaux à la porte du Temple ou de la loge, rendre ne signifiant pas « se défaire » , mais se séparer d’une forme d’instruction devenue alors superfétatoire .
Les métaux, terme générique du 1er degré, deviennent ainsi, quel que soit le grade, les « tuteurs historiques » de toutes les initiations ultérieures. Ainsi si la Vérité est « inaccessible à l’esprit humain », comme nous le signifie un rituel maçonnique, il faudra voir cette inaccessibilité non comme un statut posé définitivement, mais comme l’expression d’une multiplicité infinie de valeurs que l’homme ne peut embrasser dans sa totalité. Pourquoi ? Eh bien parce que l’homme est le résultat éphémère d’une forme de sélection et que cette spécialisation outrancière s’oppose au caractère révélatif, et donc plénipotentiaire d’une Vérité qui se veut métaphysique, c’est-à-dire au-delà de la Physis grecque, c’est-à-dire de la génération, de la naissance de toute chose existante. Ce en quoi Empédocle ajoute qu'« il n'y a naissance de rien, mais seulement mélange, échange de choses mélangées », ces choses mélangées rappellent l’essence même de la modernité, et de la fusion leibnizienne du passé et du présent dans un continuum qui est justement le terreau de cette modernité.
C’est également pourquoi il existe un mot de passe et un mot sacré : le mot de passe autorise, par sa signification, à ce que le candidat devienne « éprouvable » : le mot de passe porte l’énergie de la transition, et le mot sacré accueillera ensuite l’initié dans les arcanes de sa nouvelle légitimité. Je reprendrai ici l’exemple du Chevalier du Serpent d’Airain, très campé dans une réalité posée, et qui doit donc, dans ce cadre, abandonner toutes prérogatives : il va, au 26ème degré, se perdre, se brûler et se déséquilibrer, c’est-à-dire s’éloigner des prérogatives qui ont fait sa force et son originalité. En clair, il s’ouvre à une pensée plus méditative. Loin de le détruire, ces épreuves le mordanceront, c’est-à-dire provoqueront chez celui-ci des réarrangements susceptibles de faciliter son adaptation au degré suivant, c’est-à-dire d’acquérir une nouvelle connaissance. C’est pourquoi la modernité est quelque chose, au bout du compte, de violent et d’agressif : tenir compte du passé s’identifie, pour un moderne, à d’abord sculpter brutalement au ciseau du présent la masse confuse du passé.
Confuse non dans sa nature même, mais confuse suivant le calque linguistique du grec sunkhusis, qui signifie : « verser ensemble ». Rendre confuse la masse du passé correspond alors à en modeler le sens profond pour pouvoir la lier à l’incise du présent. C’est ce que vivra à son échelle le Chevalier d’Orient et de l’Épée,16ème degré du REAA. De prime abord, cette image du Chevalier une truelle dans une main et l’épée de l’autre a quelque chose de flatteur, qui semble refléter une certaine omnipotence, une certaine polyvalence. Au 16ème degré, l’épée et la truelle associées sembleront les objets d’un compromis dans lequel est engagé le Chevalier d’Orient et de l’Epée. MAIS si l’on se place du point de vue de l’entité soldatesque, elle est plutôt évidence de compromission, et constat d’un semi-échec larvé, celui de l’inaptitude révélée de celui qui s’appuie uniquement sur une face des choses, en en négligeant l’autre. Zorobabel est ici « distendu », « écartelé » entre truelle et épée, il ne sait pas contrôler les forces opposées qui subsistent en lui, qui sont pourtant les forces en jeu de la modernité.
Cette faiblesse prend sa source dans la naissance même de Zorobabel, dont le nom signifie « semence de Babel », et qui donc naquit sur sa terre d’Exil sans jamais connaitre les affres de la déportation. Zorobabel sera l’archétype de celui qui peut, sans entraves apparentes, exprimer la légitimité et la profondeur de ses sentiments et de ses aspirations, mais avec la fermeté d’un individu neuf. Il fut construit sans ce passif que constituait le reniement aux lois de Moïse. Zorobabel est symboliquement l’expression de l’élan nouveau, à la fois dégagé des carences de ses pères, mais aussi orphelin de leurs valeurs intrinsèques, de celles qui fondent la modernité. Zorobabel est donc un survivant, au sens où l’entend Roland Barthes, sans cette filiation culturelle qui lui aurait donné la légitimité d’un descendant. Ce manque le rendra incapable d’être moderne, ce qui l’exposera directement aux samaritains, restés en territoire conquis, qui furent capables d’enrayer, d’entraver la volonté de Zorobabel à pouvoir terminer sans eux cette réédification. Cette opposition de front matérialisera deux degrés plus tard le mécanisme de survenue de l’Apocalypse, qui sera l’accomplissement, au niveau macrocosmique, du « différend microcosmique et postural » de Zorobabel.
Au 17ème degré, si l’on plonge l’objectif dans les entrailles de ce Chevalier, ce compromis devient sujet, et l’omnipotence apparente du constructeur-combattant se transformera alors en une lutte intestine, celle de la projection cosmique d’un combat front à front avant tout intérieur, qu’illustre si bien l’Apocalypse, et qui est celui de la modernité. Ce travail de rapprochement ne sera possible que si nous sommes, comme le souligne l’instruction du grade, « des initiés nés une deuxième fois ». Cette seconde initiation est en fait celle que nous vivons entre chaque degré maçonnique, la 1ère ouvrant à la nouveauté du grade ultérieur, et la seconde étant la prise en compte du grade que l’on quitte. C’est ce qui distingue un philosophe profane, fut-il majeur, d’un initié : le philosophe va décliner la modernité sur une multitude de terrains situés en aval ou à la périphérie du concept, là où l’initié va mettre en exergue l’amont du processus lui-même, c’est à dire l’extraire du contexte pour en fabriquer un usage profitant au plus grand nombre.
L’expression confessionnelle ou philosophique de la modernité passera, au niveau de la Bible, mais aussi du REAA, par l’avènement de l’Apocalypse, entendue comme une révélation : mais quelle révélation ? Eh bien celle du nécessaire combat entre l’Ancien et le nouveau, entre le Mal et le Bien, et plus généralement entre les 2 tenants de toute expression et formalisation humaine. Ce combat n’est pas moral ou pragmatique, il est juste évident et incontournable : Alain Finkielkraut nous dit : « Le nouveau ne succède pas à l’ancien, il l’affronte […] Être moderne ce n’est pas un constat, c’est un combat […] Le sens de l’actualité réside dans le duel sans merci que se livrent le Bien moderne et le Mal rétrograde ». Á part qu’ici, le Bien n’est pas moderne par nature, c’est sa confrontation au Mal qui conditionne sa modernité.
Thierry Didier. A SUIVRE...
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