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’immédiateté a aussi toute sa place : l’exposition au feu brûlant du dernier voyage, ou le déséquilibre soudain de l’épreuve de l’air se voient, à notre corps défendant, d’une brièveté absolue. Elles seront les prémisses de l’Idée maçonnique, entendue comme le ferment et le catalyseur de toute pensée : c’est ce qui définira ensuite le caractère progressif de l’exercice maçonnique, où le temps long sera toujours scandé et ponctué par le temps immédiat. Si, lors de la cérémonie d’initiation, le candidat s’oppose intrinsèquement à l’action indivise et incisive de chaque élément alchimique pris isolément, c’est parce que l’humain est culturellement et fondamentalement le mix de tout ce qui l’a précédé. Il devient ainsi d’autant plus atteint que l’acutesse de l’élément sera affirmée, à la façon dont est affilée une arme blanche, conditionnant alors son « entrée en matière », locution pour le moins explicite.
Or nous savons combien l’orthodoxie qui résulte d’un savant mélange préalable est ontologiquement opposée à tout ce qui est susceptible d’en amender le contenu et les principes. C’est pourquoi tout appareil est névrosé, au sens freudien du terme, c’est-à-dire que ce qui le constitue devient, dès qu’il est créé, un obstacle à sa propre évolution. Ce décalage crée un abyme au-dessus duquel on doit immédiatement, pour paraphraser Nietzsche, tendre une corde. Cette corde symbolique sera un appendice fragile, qui ne dépendra finalement que du bon vouloir de celui qui s’y soumet. Et c’est là où le moment de vérité viendra inséminer ce bon vouloir. Quel que soit le temps de maturation, il existe en effet des moments-carrefour où les choses se débloquent d’un coup : les Grecs appelaient ça le Kaïros.
Les alchimistes parlaient, eux, de conjonction planètes-métaux, qui présidaient au bon déroulement d’une opération en cours. Cette conjonction portait en elle un caractère d’immédiateté, d’impératif et d’inexorabilité. En loge, le moment de vérité sera celui au cours duquel le franc-maçon se trouvera un point de similitude supplémentaire (temps immédiat) avec le milieu dans lequel il évolue (temps long) : patiemment assemblés un à un, ces points de similitude constitueront le fil rouge de notre progression individuelle. En fait, temps long et immédiat ne sont pas à opposer, ils constituent les 2 mamelles de toute manifestation. Les cérémonies d’initiation à chaque degré, qu’il soit vécu ou communiqué, constitueront alors une somme de temps courts et longs, installant une pensée nouvelle et profondément marquante.
Cette saillie est créatrice, et nécessite bien souvent cette fulgurance afin de s’imposer à ses tiers : regardons, à d’autres degrés, l’« immédiateté active » de Johaben, au 6ème et 9ème degrés, qu’on attribue narrativement à un manque de maturité. En fait, cette supposée immaturité n’existe pas, puisque le récit légendaire est constitué d’un continuum de personnages et de situations qui interviennent au moment opportun, et qui ne sont que des modes de pensée et d’attitude s’imbriquant les uns aux autres durant le fil de la narration. A ce temps court du Secrétaire intime et du Maître élu des 9 succèdera alors dans le REAA le temps long, numériquement pondéré, celui du 10ème degré, à travers le temps d’acheminement des 2 derniers compagnons, leur séquestration dans la Tour d’Achizar et leur exécution structurée, tous opus régi par les nombres et la durée. Si, dans le récit de la Tour d’Achizar, 10ème degré du REAA, c’est la notion de réclusion qui ressort en premier lieu, c’est en fait, sous la gouvernance du temps chiffré, celle de la maturation qui prédomine lors de la séquestration des deux compagnons.
La maturation est une évolution de l’homme par rapport à ce qu’il a déjà mis en place : elle a cette vertu d’impliquer l’individu dans l’action qu’il mène sur lui –même : il est sujet et objet, à l’image de l’alchimiste : la maturation n’est pas à proprement parler un temps long, mais un temps qu’on pourrait qualifier de « suffisant », inhérent à la fois au milieu dans lequel l’être évolue, et à sa nature propre. Ce confinement par les nombres annoncera la mesure du temps comme de l’espace, en affranchissant l’initié, libre alors de déambuler dans le temple du 12ème degré. La notion de maturation sous-entend celle de temps passé : on a coutume de l'y associer, mais ce n'est qu'à moitié vrai car il ne s'agit pas là du temps linéaire, que tout le monde vit et que personne ne maitrise, mais d'un temps qui n'appartient qu'à soi. La maturation maçonnique n'est pas qu'une confrontation avec l'autre, mais aussi à soi-même : c’est la raison pour laquelle le temps passé par un apprenti ou un compagnon sur sa colonne est variable.
Géométriquement, si l’on visualise le temps immédiat comme un point, le temps long pourrait en être la circonférence. L’instruction du 12e degré du REAA, Grand Maître Architecte reprendra ce principe : ne nous dira-t-elle pas que « le centre du cercle représente l’esprit humain là où la circonférence représente le champ des connaissances humaines » ? Il sera ainsi possible de corréler les 2 temps à des valeurs discursives comparables Ce sera tout l’objet, également, de l’instruction du 5ème degré, du REAA, Maître Parfait, placé entre « la volonté de Dieu et l’action donnée au premier corps mouvant ». Cette nouvelle distribution de la vie en 2 pôles, qu’on retrouve dans d’autres expressions symboliques du grade, telle, « La pureté de nos mœurs (principiel) et la rectitude de l’intention (matériel) » vont permettre de placer l’initié au sein d’un concert permanent, et les 2 temps en seront une autre déclinaison possible.
Cette approche discursive ouvrira alors au temps dit cyclique, qui est une forme de syncrétisme entre temps long et court. Le cycle porte en germe le souvenir de ce qui l’a fondé, et c’est ce même souvenir qui induira à un moment donné l’amorce d’une nouvelle révolution. C’est tout l’objet du 22ème degré du REAA, Chevalier de Royal Hache, où les fragments minéraux enfouis, lors du 21ème degré nourriront au degré suivant par leur minéralité les cèdres du Liban, symboles vivants d’une continuation spirituelle par cette matière infiniment renouvelable dont seront faites les « saintes entreprises », c’est à dire les arches et les temples. Le 22ème degré privilégiera l'évidence du manifesté, de la verdeur et du natif, qui sont une façon de renouveler l’existence en la rendant répétable à l’envi. Alchimiquement le cèdre qui succède aux cendres se réfère à la couleur verte de l’Opus alchimique, qui prolonge l’œuvre au Noir, aride mais nécessaire, en un cycle perpétuel. Cette dynamique s'appelle au 22ème degré du REAA la récolte : « Les arbres sont bons pour la coupe » nous dit le rituel. Le cèdre est la continuation de le recherche ésotérique, en ce sens qu’il se nourrit de cette terre mêlée, qui est le fond de l’humanité, dans lequel s’agrègent les faits de l’initiatique, matérialisés donc au 21e degré par les différents fragments enterrés mais retrouvés. Nous effleurons encore l'alchimie en assimilant au cèdre la Materia Prima, pérenne et constante quant à sa nature, indéfiniment renouvelable. Le signe du grade exprime d'ailleurs la croissance et l’abattage perpétuels, selon un cycle primal et reproductible à l’envi.
Quelque part dans sa sève et dans sa structure, le cèdre possède partie de ces fragments, car le cèdre lave, blanchit, et régénère, en quelque sorte, tout en les pérennisant, les acquis du passé. Comme nous l’a révélé le sous-sol prussien au 21e degré, la matière est aussi une mémoire, qui porte en elle à la fois l’Esprit, c’est-à-dire l’héritage ésotérique et sacré de ce qui l’a engendré, mais aussi la Lettre, c’est-à-dire la prédisposition à se perpétrer, et à se régénérer : « les arbres repoussent » qualifie, au 22ème degré, cette prédisposition. Et l ’abattage ne signera pas la fin de leur vie, mais simplement cette transition « circulaire » qu’est le temps cyclique. Pour en revenir au temps long, celui-ci sera aussi une façon, non pas de se dégager du cadre étroit de la sacralité maçonnique, mais de nuancer l’importance relative du temps et de l’espace.
Á cet égard, des personnages de la Bible seront susceptibles d’exercer une action qui ira à l’encontre de la flèche du temps, par exemple le combat avec un être putatif pour Jacob : Gn 32, 27 : "laisse-moi aller, car déjà l’aurore se lève."[Jacob] répondit : "Je ne te laisserai pas sans que tu m’aies béni. » La scène se passe « en pleine nuit », dans un temps relatif sans point de référence clair. La nature incertaine de l’opposant à Jacob contribuera à ce flou artistique temporel. Je citerai aussi l’exemple parlant de Josué 10,12-13 : « Alors Josué parla à l'Eternel, le jour où l'Eternel livra les Amoréens aux enfants d'Israël, et il dit en présence d’Israël : Soleil, arrête-toi sur Gabaon, Et toi, lune, sur la vallée d'Ajalon ! Et le soleil s'arrêta, et la lune suspendit sa course, jusqu'à ce que la nation eût tiré vengeance de ses ennemis ». Dans cet énoncé, ce sera non la nature même de Josué qui sera transcendante, mais son action sur un temps brièvement suspendu.
Dans ce cas, c’est l’arrêt, ou la négativation du spatiotemporel qui manifestera une approche du divin. Plus que de considérer le temps sacré comme « anhistorique », une négation étant toujours préjudiciable à l’avancée de l’initié, nous pourrions faire de ce temps sacré l’amalgame entre ces 3 composantes subjectives que sont temps immédiat, cyclique et long. Il n’est de toute façon pas possible de caractériser plus avant ce temps qui nous accompagne, mais le syncrétisme est toujours préférable à la négation. En effet, dans un univers non défini, les choses se propagent nécessairement suivant une ligne de fuite dont nous ne percevons pas l’origine, et sont donc le témoin de cette vision parcellaire qui est la nôtre : cette vision parcellaire est poussée au maximum dans le postulat de théologie négative, où la négation serait l’amie du moindre.
Sur le plan théologique, Leibniz y ajoutera le concept de théodicée ontologique, qui veut que ce que nous percevons de l’univers n’est pas exempt de défauts, car sinon l’univers serait Dieu lui-même, invisible car transcendant dans son essence. Si certains outils symboliques du 1er et 2ème degré deviennent au 3èmedegré des armes par destination, puis au 12ème degré des instruments, ça n’est pas parce que la substance desdits objets se modifie, mais parce qu’ils ne sont qu’un avatar en prise avec un état d’esprit différent. Dit autrement, c’est l’approche et l’appréhension évolutive, dans le temps, de l’initié qui va en moduler l’usage. Or, l’instrument a cette vertu de maintenir à équidistance spatiale, mais aussi temporelle, sujet et objet. Cette équidistance est fondamentale, car elle transcende la notion d’un espace-temps indéfini. Cette équidistance ne relève pas d’un égalitarisme imposé, mais de la nature propre d’un initié hautement qualifié, titulaire, dans le REAA, du grade de Grand Commandeur du Temple, 27ème degré, où les initiés siègent à une table ronde, à équidistance du centre ; ils sont ici tous décorés de la même façon, et le président sera nommé « le premier parmi ses égaux », formule adroite et ambivalente.
Le temps long deviendra ainsi une forme d’ équidistance temporelle ou d’équitemporalité, empreinte de pondération et de tempérance, car elle permettra le recul, mettant en œuvre la « stratégie de l’écart », chère à la psychologue Anne Bourgain. L’écart est ce pas de côté ou ce recul apodictique que propose la pensée quand elle ne se soumet pas à la facilité, au prêt-à-penser, et qu’elle prend le temps de faire les détours nécessaires. Cet état de fait convoquera notre statut d’architecte, au niveau duquel les outils de l’apprenti et du compagnon seront alors transformés en instruments. Le compas uniciste du grade de Maître, par exemple, se verra décliné, pour le Grand Maître Architecte, en 3 occurrences qui matérialiseront les possibilités nouvelles offertes à cet « Maître augmenté ». Ces formes multiples témoigneront simplement d’une appréhension plus complète de l’initié, qui ajoutera à celle de centralité, c’est-à-dire d’individuation de la créature, celle de proportion, de perspective et de variété, qui viendront renforcer l’œil et l’esprit du franc-maçon, dans le temps comme dans l’espace.
Le statut d’architecte permettra également d’imaginer l’homme comme pouvant fabriquer mimétiquement, mais à son échelle, un modèle restreint de l’environnement spatio-temporel dans lequel il baigne. Au-delà de son caractère progressiste et perfectionniste, ce statut aura la vertu d’ouvrir l’horizon à des perspectives nouvelles, qui ne seront malgré tout que la projection imparfaite et relative de notre position ontologique d’être humain, « Souvenez-vous que vous n’admirez l’Univers qu’en proportion de votre faiblesse » : cette sentence du 4ème degré contribuera plus à la contrition philosophique qu’à l’élargissement de notre conscience, qu’elle pointa néanmoins du doigt par l’émersion elliptique de la notion de proportion.
C’est comme si la proportion apparaissait ici plus comme un jalon, une méthode-limite comportant 2 versants : celui, introspectif d’une part, et celui ouvrant au monde, ostensible, solaire, ouvert nous donnant à nous confronter plus directement à l’espace-temps dans son ensemble. Cette notion de proportion appuiera une vision relative de l’observateur, par rapport à ce qu’il est censé voir. Un décalage ontologique existera, un peu comme celui qui oppose, ou à tout le moins confronte la physique quantique régissant l’infiniment petit, de celle, relativiste régissant l’infiniment grand.
D’ailleurs dans ces 2 postulats, le temps varie : il peut être « courbé » sous les lois de la relativité, ou intriqué, voire simultané sous les lois quantiques. Le temps cessera donc d’être un invariant lorsqu’on le confrontera à ces 2 théories-limite. Cette proportion spatiotemporelle se manifeste chez l’humain par la notion de perspective. On parle donc au sujet de la cérémonie d’initiation au 24ème degré, de 3 perspectives, entendues comme les 3 volets dont la représentation particulière ne dépend que de la capacité du moment du récipiendaire (il est indiqué au candidat à ce degré que ce qu’il cherche a toujours été visible : D- « Comment êtes-vous devenu éclairé ? R- « En étudiant le Livre de la Loi, perpétuellement ouverts aux yeux de l’Univers »). Le temps long peut justifier au moins 2 origines : celle d’être une des 3 occurrences du temps sur sa nature et sa durée, à savoir le temps immédiat, le temps cyclique et le temps long. Mais être également le syncrétisme asymétrique de l’espace vu comme visible et indéfini, et du temps, vu comme invisible et défini.
La flèche du temps, sorte de tsunami qui emmènera en permanence tout sur son passage, ressassera indéfiniment une mise à jour perpétuelle qui tiendra plus, en bon français, du « reset » que d’une actualisation pleine et entière. Ces 3 temps sont des perspectives aussi imparfaites que relatives. Le terme de perspective procède à la fois de la vision spatiotemporelle qu’a l’individu, que de la chose vue, en conservant la relativité dudit regard. Un perspectif était à la Renaissance, un miroir, cette signification suffisant à caractériser l’aspect subjectif du terme. Á cet égard, et ceci dès la Renaissance, la perspective fut définie comme une différenciation entre la vision de la Nature, et sa représentation graphique moderne dans l’espace, mais aussi dans le temps, par sa distribution étagée.
Le temps apparaîtra, dans toute sa puissance, dès le 17ème degré marquera, comme le dit l’instruction du grade, « le lien entre les valeurs de l’Ancien Testament et celles du Nouveau Testament ». Donc entre la transcendance et l’immanence, et plus particulièrement sur le plan maçonnique, entre une vision quelque peu distanciée, voire ineffable du principe créateur, et son incarnation au sein de l’initié. On ne peut pas mesurer l’incarnation à l’aune de la transcendance, ni la transcendance à l’aune de l’incarnation, car ce qui prévalait dans un univers déterminé n’aura plus lieu d’être dans un autre. C’est pourquoi une phase de transition sera indispensable, où l’initié devra se « perdre » partiellement, tout en conservant une structuration suffisante à même de l’inviter à percevoir la suite des évènements. C’est l’Apocalypse qui servira de support biblique pour illustrer cette phase compliquée, où temps et espace semblent chaotiques.
Une phrase apparemment anodine est d’ailleurs inscrite à la fin de l’instruction du 16ème degré : « le retour de l’Ambassade est fêtée par des étoiles réparties indifféremment ». Cet adverbe souligne une approximation qui n’est pas dans les habitudes du rituel, et qui sera une façon de nous amener progressivement aux mouvances temporelles du 17e degré. La sensation que nous aurons de vivre un moment où, comme il est dit « règne la confusion », sera incontournable. Mais cette confusion sera aussi une opportunité nous obligeant à fabriquer notre propre vision du monde. Cette vision sera assimilable à cette fin des temps décrite et narrée dans divers textes bibliques de l’Ancien et du Nouveau Testament, c’est-à-dire à l’avènement d’un temps particulier se situant initiatiquement entre phrase d’ouverture et phrase de fermeture des travaux du 17e degré, c’est-à-dire entre « Les temps sont proches », et « Il n’y a plus de temps ». Cette finesse sémantique permise au Chevalier d’Orient et d’Occident permettra de considérer dans un même élan la proximité d’un fait et sa consommation : c’est un défi pour le langage, en ce sens qu’il ne pourra qu’imparfaitement exprimer cette transition. Car la fin des temps n’est en aucune façon une extrémité. La fin des temps pourrait s’assimiler au mur d’airain décrit au 8ème degré, et qui, je cite encore cette phrase du rituel, « nous masque encore partiellement les ornements du Temple ». La fin des temps sera une forme d’abandon temporaire du centre, ce sera l’aveu implicite de notre impuissance provisoire à pouvoir regarder notre avenir, tout simplement parce qu’autant l’homme substitué nous a donné, durant les grades de Perfection, latitude à nous projeter, autant l’homme incarné que nous deviendrons au 18e degré ne s’anticipera pas. Tout le challenge sera d’encadrer la fin des temps par des bornes savamment déterminées : ces bornes, je le répète, « les temps sont proches » et « il n’y a plus de temps » découperont ainsi une période sans rien préjuger de ce qu’elle pourra contenir.
Si nous avons décidé de fabriquer la fin des temps, c’est donc pour accompagner le déplacement du centre, depuis l’extérieur vers l’intérieur de soi-même, depuis le Temple vers la Croix, depuis l’homme substitué vers l’homme incarné, depuis le 16e degré vers le 18e degré. Cette migration sera un moment charnière où interviendra l’eschatologie, terme un peu barbare qui signifie le discours ou le dialogue avec le « dernier » : ce « dernier »n’est pas que la mort, ce sera aussi l’expression de toutes les fins, provisoires ou définitives, qui nous affectent ou qui nous allègent. Initiatiquement, cette approche incitera à nous confronter aux confins de nous-mêmes, car confiner c’est étymologiquement « faire avec la fin », cette fin n’étant pas une extrémité, mais l’objet transitoire d’une réalisation. La puissance de l’eschatologie permettra de créer une tension bénéfique entre soi et une fin supposée, afin de mettre le doigt sur ici et maintenant, avec une force de conviction sans équivalent.
L’eschatologie servira à nous rassurer, à nous ancrer dans la réalité immédiate, à limiter les impasses mentales qui se dressent devant nous lorsque notre esprit tente d’embrasser une nouvelle réalité. Car nous aurons besoin, pour nous éloigner de nos terreurs, de les illustrer, afin de les rendre plus lisibles. D’où le texte très allégorique de l’Apocalypse de Jean, avec ses cavaliers et ses armées du ciel. Autant le symbole sera-t-il nécessaire pour structurer la pensée, autant l’allégorie permet-elle le lien entre raison et imagination, afin de transcender cette fin des temps qui n’est qu’un plafond de verre. Ainsi la puissance de la vision apocalyptique de Jean imposera-t-elle à notre esprit des « pare-feu », des boucliers oblitérant sinon le sens, du moins la violence de la manifestation : l’allégorie sera ce pare-feu. La « fin des temps » sera donc la prise de conscience d’un changement de statut, car la fin des temps c’est aussi, initiatiquement, analogue à ce que l’économiste Joseph Schumpeter appelait la Destruction Créatrice, c’est-à-dire une forme de renouvellement perpétuel de la société, et donc de l’homme.
Thierry Didier.