Ne pas éteindre les Lumières.
« LE MEPRIS CIVILISE »
Un essai, une réflexion, loin des opportunismes de circonstance, se réveiller pour éviter les extrêmes.
Carlo Strenger bi National Suisse et Israélien , psychanalyste, et professeur de psychologie à l’université de Tel Aviv. Très engagé dans la résolution du conflit Israélo Palestinien. Il publie régulièrement des articles dans Haaretz, The Guardian, Die Welt, The New York Times. Il fait partie du comité d’observation du terrorisme au sein de la fondation mondiale des scientifiques.
Dans ce deuxième essai paru en France, après « La Peur de l’Insignifiance » LE MEPRIS CIVILISE trouve sa place dans la collection ‘ L’Esprit d’Ouverture’ chez Belfond, ce choix n’est pas un hasard.
Mon article sera long, non pas pour la difficulté de lecture de l’ouvrage, mais simplement parce que les idées développées sont novatrices.
Dans son avant propos Carlo Strenger écrit :
« Un essai sur le droit et le devoir qu’à le monde de défendre ses valeurs fondamentales (…) liberté, droit à la critique et franche discussion »
« Le droit à la critique et à la satyre, ne sont l’apanage d’aucune ethnie, d’aucune nation, ni d’aucune religion, mais appartiennent à l’humanité toute entière »
Il s’interroge sur la culture occidentale et revient sur le siècle des Lumières, en reprenant les termes Ernst Bloch (Philosophe Marxiste non orthodoxe, adepte du principe de l’utopie) :
« Il s’agissait pour l’homme de se débarrasser de la peur et de la dépendance face à des autorités externes quelles soient religieuses ou politiques de proclamer son autonomie et de marcher debout »
Il rappelle que le mouvement des Lumières visait l’universel, une quête de vérité, d’un ordre politique juste.
Après 1945, il s’est opéré un glissement selon lui, mais malheureusement constaté tous les jours, une tentative de rationalisation de l’exploitation impérialiste du monde de l’homme blanc (Hégémonie qualifiée de Fardeau Blanc par R. Kipling).
Le Lumières sont alors reléguées au rang d’un mensonge culturel fondamental, et le processus d’autocastration se traduit par le concept de « Politiquement correct ».
L’interdiction de critiquer par principe, interdiction de défendre ses valeurs, posture favorable à l’émergence des extrêmes et leur amplification.
Il faut arrêter de se ‘flageller’ et se réapproprier les Lumières, pour marcher à nouveau debout.
« Cette idéologie du Politiquement correct est une grossière déformation du principe de tolérance formulé par les Lumières »
« La tolérance des Lumières est sensée protéger l’homme et sa Liberté de conscience et n’est pas une absolution globale, pour toutes les pratiques religieuses, philosophiques et culturelles. »
A ce principe paralysant, anesthésiant de ‘Politiquement correct’, l’auteur propose de substituer son concept de « Mépris civilisé », qui rectifiera si j’ose dire des principes, des comportements, des valeurs, qui nous apparaissent comme inhumains, incohérents, immoraux, à la condition que cette rectification se fasse sur des fondements scientifiques. Ce « Mépris civilisé » devant être dirigé contre des credo ou valeurs, jamais contre des hommes. Mépriser sans haïr, ni déshumaniser, défendre le principe d’humanité.
Puis l’auteur aborde le cas de Salman Rushdie et le droit à l’exercice de la critique intellectuelle, en rappelant le sort qui fut réservé à Giordano Bruno, Voltaire ou Spinoza. A ce propos il conseille la lecture de john Locke et sa « lettre sur la Tolérance » (consultable sur internet).
Le Politiquement correct a donc totalement renversé le principe de tolérance tel qu’issu des Lumières.
L’auteur nous invite à nous forger une opinion responsable, c’est de la maçonnerie qui ne dit pas son nom. Nous méfier de nos convictions, des prés établis. Son « Mépris civilisé » est une invitation à une autodiscipline intellectuelle qui s’engage à collecter, évaluer au delà des émotions trompeuses, revenir à une conscience éclairée.
C’est aussi admettre une hiérarchisation, une notation issue de compétences acquises…. Éviter le nivellement par le bas qui n’est qu’une frustration sans fin. Réagir, mais être conscient de sa capacité ou de son incapacité à juger de tout en toutes circonstances.
Au sujet des religions refuser l’attitude du « Politiquement correct » au profit du « Mépris civilisé » qui s’exprimera par une critique des faits religieux, identifier ceux qui méritent d’êtres remis en question quand ils sont en contradiction avec les Lumières, comme par exemple le mythe d’Abraham. Définir ainsi clairement comme Kant la limite entre foi et savoir. La foi étant au-delà de la raison.
Un chapitre du livre évoque notre capacité à supporter les offenses en effet nous sommes tous profondément ancrés, formatés dans nos cultures respectives elles constituent notre identité et sont aussi notre prison. Il ne s’agit pas là de tout admettre mais de laisser la porte ouverte à la critique. Bénéficiant nous mêmes de la réciproque. L’incapacité des ultras à supporter les offenses les font basculer dans la violence.
L’auteur conclu sur « la passion de la liberté »
« Le savoir humain est toujours provisoire, ce qui fait que la critique comme moyen d’autocorrection est la seule possibilité d’aborder de nouveaux problèmes »
Il déclare :
« Le principe du Mépris civilisé doit être compris comme un expédient des Lumières inaccomplies et donc pensé dans ce cadre »
Notre vie ne peut avoir en effet comme idéal, comme but de limiter constamment les risques, il nous faut « renouveler cette passion existentielle pour la Liberté, surtout lorsque celle-ci est menacée ou réprimée. »
Ce concept de « Mépris civilisé » doit agir comme un réanimateur de conscience, une affirmation de ce que l’on est, c’est en ce sens un souffle de Liberté retrouvé qui rend obsolète le « politiquement correct ».
A lire d’un seul jet, comme un cri au milieu du conformisme ambiant, ce sont les Lumières qui apparaissent à nouveau et l’homme réapparait ainsi plus radieux que jamais.
JFG
LE MEPRIS CIVILISE- de Carlo Strenger. Collection l’Esprit d’Ouverture – Éditions Belfond – Traduit de l’Allemand par Pierre Deshusses- sur 153 Pages- 14 €.
Pour aller plus loin avec Carlo Strenger.
https://www.youtube.com/watch?v=D65QFkqfZ4o
Sur Internet Articles dans le Point et L’express, les Inrocks. Émission sur France Inter et RFI.