LES FRAGMENTS, L’UNITÉ
Les fragments de la pensée peuvent-ils avoir un sens, une unité, une direction, une cohérence ? Le multiple peut-il faire un, faire un tout.
Un prisme triangulaire décompose la lumière, peut-on recomposer ses rayons en une grande et unique Lumière, donnant un chemin de vie.
Réunir ses rayons de lumières fugaces, qui traverse l’esprit, pour tracer un plan, construire en soi un temple pour accueillir la Lumière. Au commencement il y avait une Lumière unique, pure, blanche en la passant dans un prisme elle se décompose comme un arc-en-ciel en autant de lumières différentes, cette dispersion de la lumière est-elle un passage nécessaire, comme l’écoute des différences qui enrichit et permet de retrouver l’unité. Les lumières, l’esprit des lumières, la raison conduit elle a retour à une lumière unique.
En ces temps difficiles en dépoussiérant ma bibliothèque, un rayon de lumière, transperçant la fenêtre s’est posé sur le livre des Pensées de Pascal.
Ces pensées libres, sans carcan, un recueil de pensées, comme un vase qui reçoit l’eau et les fleurs de l’esprit. J’ai donc posé sur mon bureau ce livre, comme un itinéraire spirituel, une carte aux multiples étapes où l’esprit stationne.
Les pensées de Pascal sont des fragments de la pensée de son esprit qui voyage sans cesse, ces étapes s’appellent et appellent le devoir, le sens droit, la justice, la grandeur de l’humain, jusqu’à l’ordre ultime de la charité et le mystère de l’amour divin.
Il n’y a pas que le Pari chez Pascal, il y a tous ces fragments qui font l’unité, l’harmonie, la sagesse, la force et la beauté.
Il y a deux éditions de référence des Pensées de Pascal, celle de Brunschvicg et celle de Jacques Chevalier éditée dans le livre de poche, c’est celle que je possède, elle est préfacée par Jean Guitton, qui écrit ce qui pourrait figurer dans un rituel maçonnique :
« En somme, Pascal, toujours soucieux de concilier les contraires, avait voulu réunir les avantages de l’improvisation et de l’ordre ce qui exige une réflexion constante. Et cet ordre de ses pensées il n’avait pas voulu l’arrêter une fois pour toutes, soit parce qu’il ne se croyait point si malade, estimant encore avoir dix ans devant lui (il mourut à 39 ans), soit plutôt parce qu’il savait que, pour toucher la raison et le cœur, il faut user de plusieurs ordres à la fois pour atteindre ce désordre ordonné, cet ordre multiple qu’il appelle ‘ordre de la charité’. »
Ou plus encore sur l’unité :
« Ayant connu le monde des corps, celui des esprits, celui de l’amour, apercevoir les ressemblances de ces mondes si divers, l’unité de structure de toutes choses, comme un visiteur de cathédrales, qui, ayant observé les fondements, les piliers, les arcs, les portails, le chœur, l’abside, apercevrait l’unité du Tout, multiplié, diversifiée par les parties participantes. ‘La nature s’imite ‘ disait Pascal, ou encore : ‘ Tout est un, tout est divers. Tout est un, mais l’un est dans l’autre comme les Trois personnes.’ Tel est l’avantage de cet esprit d’interruption qui a permis à ‘l’effrayant génie’ de tout conquérir, et surtout de tout comparer, et finalement de tout unir. »
Et si la pratique de l’Art Royal avait tout simplement pour but l’éveil du cœur. Jean Guitton écrit :
« La première de ces puissances est le cœur : il faut éveiller une inquiétude, faire une trouée dans l’indifférence de l’homme naturel, ami de l’intérêt et des plaisirs. »
En ces temps difficiles, ce sont des trous béants qui se creusent dans l’intérêt, le profit extrême, la course à la finance, à la mondialisation sauvage, nous retrouvons j’espère pour un long moment, que la vie ne se résume pas à un bas de bilan, ou un compte en banque bien garni. Mais il est temps de repenser au bien commun, à l’altérité.
Je vous invite sans préjugés à découvrir ou redécouvrir les Pensées de Pascal. Lire ces fragments, c’est réunir ce qui est épars en un tout, c’est voir dans ce désordre apparent, qu’il y a un ordre en devenir, c’est être à l’écoute de l’écho de son cœur, de son désir caché de spiritualité. Là est pour moi le véritable pari de Pascal, celui de l’amour pas celui d’une croyance religieuse dogmatique. Cela vous permettra de découvrir un ami qui n’est rien d’autre que vous-même.
Jean-François Guerry.
L’humilité de ce génie mort en pleine jeunesse est exemplaire, s’il croyait en Dieu, il n’avait pas la foi du charbonnier, mais celle du cherchant, inlassable pèlerin à la recherche de la vérité, en ayant la certitude de ne pas la trouver.
« Je ne sais pas qui m’a mis au monde ni ce que c’est que le monde, ni que moi-même ; je suis dans une ignorance terrible de toutes choses ; je ne sais ce que c’est que mon corps, que mes sens, que mon âme et cette partie même de moi qui pense ce que je dis, qui fait réflexion sur tout et sur elle-même, et ne se connaît pas non plus que tout le reste. »
Pour aller plus loin quelques pensées :
45- « Les rivières sont des chemins qui marchent et qui portent où l’on veut aller. »
L’homme dans la nature :
84- « Que l’homme contemple donc la nature entière dans sa haute et pleine majesté, qu’il éloigne sa vue des objets bas qui l’environnent. »
84- « C’est une sphère infinie dont le centre est partout et la circonférence nulle part. »
84- « Car enfin qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout. Infiniment éloigné de comprendre les extrême, la fin des choses et leur principe sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable, également incapable de voir le néant d’où il est tiré, et l’infini où il est englouti. »
84- « On se croit naturellement bien plus capable d’arriver au centre des choses que d’embrasser leur circonférence. L’étendue visible du monde nous surpasse visiblement ; mais comme c’est nous qui surpassons les petites choses, nous nous croyons plus capables de les posséder ; et cependant il ne faut pas moins de capacité pour aller jusqu’au néant que jusqu’au tout : il la faut infinie pour l’un et l’autre, et il me semble que qui aurait compris les derniers principes des choses pourrait aussi arriver jusqu’à connaître l’infini. »
84- « Et ce qui achève notre impuissance à connaître les choses, est qu’elles sont simples et que nous sommes composés de deux natures opposées et de divers genre, d’âme et de corps. Car il est impossible que la partie qui raisonne en nous soit autre que spirituelle ; et quand on prétendrait que nous serions simplement corporels, cela nous exclurait bien d’avantage de la connaissance des choses, ni ayant rien de si inconcevable que de dire que la matière se connaît soi-même ; il ne nous est pas possible de connaître comment elle se connaitrait. »