UN CENTRE D’UNION FRATERNEL – Comment et pourquoi ?
Dans presque toutes les professions de foi des multiples obédiences maçonniques (trop nombreuses à mon avis), l’on trouve cette affirmation sous diverses formes : « La franc-maçonnerie est un centre d’union de tous les hommes, qui sans elle ne se seraient jamais rencontrés. »
C’est sans doute pourquoi cette vieille dame de plus de 300 ans est toujours en vie. Elle fait exception dans une société de consommation où ce qui était en vogue le matin a souvent disparu des écrans l’après-midi.
Alors comment et pourquoi l’ordre maçonnique as t’il un caractère intemporel et universel.
Il sera question de franc-maçonnerie de tradition, fidèle aux principes qui ont présidé à sa création dans sa forme spéculative, mais se référant aux traditions anciennes, dont les principes et les enseignements peuvent se rejoindre en une tradition primordiale. Cette franc-maçonnerie spéculative est datée historiquement entre 1500 et 1700, mais elle n’est par nature jamais achevée. Elle suit un fil d’Ariane dans le labyrinthe des diverses formes qu’elle a prise en restant fidèle à cette tradition unique, dont le but est de faire jaillir la lumière des ténèbres, de rétablir l’ordre sur le chaos, en recherchant sans cesse la parole perdue.
Comment donc, en rejetant les dogmes religieux pour ne se saisir que des secrets, du sacré des religions leurs messages enfouis, en clair leur ésotérisme. C’est par cette porte d’entrée du dedans que l’on entre dans un temple de l’universel. Le franc-maçon cherche d’abord ce qui rassemble plutôt que ce qui divise. Le langage du cœur, les visions intérieures, les reflets de l’âme, le perfectionnement de l’homme. Sont des voies communes à toutes les religions non polluées par leurs ismes.
La franc-maçonnerie n’est pas non plus une philosophie dans le sens, d’une théorie, d’une école, qui souvent ne sont que les expressions des idées d’un seul homme. Si elle est une forme de philosophie elle associe la theoria à la praxis. Elle retient les valeurs petites et grandes des philosophies, que sont les vertus universelles, pour s’efforcer de les mettre en pratique, ce n’est donc pas une philosophie universitaire, moraliste, mais une éthique de vie, de sa vie, une pratique conforme à celle des philosophes, ceux de l’antiquité.
Elle n’est pas non plus un parti politique, même au sens le plus noble de la politique, elle accueille toutes les opinions pourvu qu’elles soient sincères et au service de l’homme. Le franc-maçon s’oblige à les examiner renonçant à un aveuglement partisan, il le fait à l’aide de ses outils symboliques. Le maillet et le ciseau pour la recherche de la connaissance véritable, l’équerre pour la droiture, la règle pour l’harmonie du temps, la perpendiculaire de la justice, le niveau qui équilibre, le compas de l’ouverture jusqu’à 90° pour ne pas s’éloigner de la droiture de l’équerre, le fil à plomb qui rappelle que toutes les choses d’ici-bas sont semblables à celles d’en haut. Tous les outils symboliques sont nécessaires au maçon, leur cohésion forme un tout.
Ainsi donc la franc-maçonnerie, n’est ni une religion, ni une philosophie particulière, ni un parti politique, mais il n’y a pas d’incompatibilité à être à la fois franc-maçon et adepte d’une religion, d’une philosophie ou membre d’un parti politique.
La franc-maçonnerie concentre le meilleur de toutes ces choses. Ainsi le franc-maçon trouve sa place au centre entre la rigueur de l’équerre et l’ouverture du compas, il est un point de jonction.
Frithjof Schuon écrit à ce propos :
« Celui qui adhère à un intangible credo religieux, philosophique, scientifique ou politique, a tort de se diriger vers la Porte du Temple : il ne pourra se comporter qu’en intrus, s’il est admis à franchir le seuil du sanctuaire voué à la recherche d’une vérité strictement impartiale, excluant tout préjugé et toute doctrine formulée d’avance. Celui qui reste ancré dans son système, sera toujours prisonnier d’idées et de concepts ; il démontre ainsi qu’il n’a pas soif d’indépendance, qu’il ne désir pas s’émanciper, qu’il ne serait se passer de tutelle, qu’il n’est pas un homme libre, condition indispensable pour aspirer faire partie de la fraternité des Maçons libres.
Des préoccupations d’ordre pratique ont ainsi fait perdre de vue la liberté spirituelle qu’implique une mort libératrice conduisant à une nouvelle naissance. Pour se dire initialement né libre, il faut s’être affranchi de l’esclavage profane.
Tant que les illusions nous retiennent captifs, nous ne jouissons pas de l’indépendance nécessaire pour chercher notre libre orientation vers le vrai.
Prisonniers du convenu, de ce qui est passivement admis dans notre milieu, notre époque, nous ne pouvons nous associer aux esprits émancipés ayant l’ambition de découvrir par eux-mêmes une vérité qu’ils refusent d’accepter d’autrui.
Se dégager de la mentalité de cette foule, équivaut à sortir des rangs du troupeau : c’est renoncer à la lueur conventionnelle qui éclaire une collectivité, pour s’enfoncer dans la nuit à la recherche de la vraie lumière. »
Si l’on suit les principes de la franc-maçonnerie, l’on mesure l’ampleur de la tâche, le chemin long de l’initiation, la persévérance nécessaire.
Comment y parvenir ! Par un lent travail sur soi, par la réalisation d’une véritable metanoïa, une transformation, qui fait souvent avouer aux maçons, mes proches me disent, que j’ai changé. C’est par la pratique, par la voie initiatique, par le travail en profondeur de son soi, par le travail d’élévation de sa conscience. C’est prenant contact avec son inconscient personnel, en s’ouvrant aussi à l’inconscient collectif que l’on réalise cette metanoïa que Carl Gustav Jung appelle l’individuation. C’est cette métamorphose de l’être, de son être intérieur, la recherche de son maître secret, de son maître intérieur que décrit si bien Marie Madeleine Davy.
Porter son regard sur cette belle fleur de lotus qui s’ouvre éclatante à la lumière du matin, couverte de rosée céleste et se souvenir qu’elle est née dans des eaux boueuses est un beau signe d’espérance. On la retrouve cette fleur dans les chapiteaux qui ornent les colonnes d’entrée du temple.
C’est une véritable conversion du regard sur toutes les choses qui s’illumine par la force de l’esprit. C’est au-delà du rationnel, de l’orgueil intellectuel. Oswald Wirth parlait ainsi aux jeunes initiés commençant leur route vers la lumière :
« …C’est par ses facultés intellectuelles que l’homme se distingue de l’animal. La pensée le rend libre : lui donne l’empire du monde. Pensez c’est régner. Mais le penseur doit toujours être un être d’exception. Autrefois, l’homme eût le temps pour d’abandonner au recueillement, et s’est perdu en rêve ; de nos jours, il tombe dans l’excès inverse. La lutte pour la vie l’absorbe, au point qu’il ne lui reste pas de temps pour méditer avec calme et cultiver l’art de penser.
Cependant, cet Art appelé le Grand Art, l’Art Royal ou Art par excellence, il revient à la Maçonnerie de le faire revivre parmi nous.
L’intellectualité moderne ne peut continuer à se débattre entre deux enseignements qui excluent, chacun d’eux, le penser : entre les églises basées sur une foi aveugle et les écoles qui décrètent les dogmes des nouvelles sciences scientifiques. Étant donné que tout conspire pour nous éviter, à nous les contemporains, la peine de penser, il est indispensable qu’une institution puissante ranime le flambeau des traditions que nous oublions. Nous avons besoin de penseurs, et ce n’est pas notre enseignement universitaire qui peut les former. Le penseur n’est pas l’homme qui sait beaucoup. Ce n’est pas celui qui a la mémoire surchargée de souvenirs qui l’embarrassent. C’est un esprit libre, qu’il n’est pas nécessaire de catégoriser ni d’endoctriner.
Le penseur se fait lui-même. La Maçonnerie le sait, raison pour laquelle elle évite d’inculquer des dogmes… »
Cette vision de la Maçonnerie de Oswald Wirth, à son époque, conserve toute sa valeur et met en exergue notre époque et ses travers, les dogmes religieux, scientifiques, le renoncement des individus à leurs libertés, la vacuité des universitaires, les surcharges inutiles de nos esprits, notre soumission au trans humanisme à l’intelligence artificielle, qui bientôt remplacera l’homme par application sur smartphone. La Maçonnerie a donc un avenir !
J’anticipe, j’en arrive a balbutier le pour quoi de la quête initiatique. Cela tient à l’indicible, à l’innommable, qui n’est pas le méprisable du profane, mais la Lumière secrète qui brille dans le cœur de l’initié.
Le pour quoi, c’est ce désir du réel, du vrai, du bien, du beau. C’est cette utopie, de ce qui est au-delà de la raison. C’est la vision du chevalier de l’esprit qui met le genou à terre dans l’attente du souffle de l’adoubement. C’est ce rêve d’une nuit remplie d’étoiles que l’on voudrait toutes suivre dans leur course. C’est aussi le sourire de ceux que l’on aime, les larmes de joie de la mère retrouvant son enfant. C’est le simple partage du pain avec ses sœurs et ses frères. C’est le souhait exprimé par Fermin Vale Amesti alias Albanashar Al-Wali :
« Que la lumière maçonnique, accentuée par ton propre effort de recherche, te permette, comme aux rois mages de la sage légende, de te guider par la lumière de l’étoile de l’intuition, afin que tu puisses t’approcher du merveilleux endroit où se trouve la caverne dans laquelle vit l’être véritable. Quand tu l’auras obtenue en toi, l’étoile du matin se lèvera en ton intérieur, te parlera le langage du cœur, et la perception de la vérité s’établira en ton âme….
Pour quoi enfin ! Pour pouvoir lire en toutes circonstances le livre de la vie avec les yeux du cœur. Être en harmonie avec le cosmos, par la pratique d’une ascèse spirituelle qui n’est pas une morale profane, ni un puritanisme religieux, ni une mièvrerie banale. Mais une force, un réveil, l’installation d’une paix intérieure, d’une beauté intemporelle, insoupçonnée, qui n’était qu’à l’état d’intuition et qui se révèle être une joie sans limite, la joie de l’amour fraternel.
Jean-François Guerry.