C’EST MA VIE, C’EST LA VIE…
Ce n’est pas l’enfer, ce n’est pas le paradis, c’est ma vie. Ce n’est pas du volcan sicilien Salvatore Adamo que je vais vous parler. Mais d’un autre poète italien plus ancien Durante Degli Alighieri, dit Dante. Il est à l’Italie, ce que Cervantès est à l’Espagne, le père de la langue. Ce florentin s’est rendu célèbre grâce à son poème La Divine Comédie. Il fut aussi un homme politique, il a appartenu au courant des guelfes favorables au Pape en opposition aux gibelins favorables à l’empereur.
Dante fut un ésotériste, sa muse réelle ou imaginaire est connue sous le nom de Béatrice, il la rencontre alors qu’elle n’avait que neuf ans. L’on pense qu’elle fut l’inspiratrice de sa Divine Comédie. Un rapport a été fait entre ses neuf ans lors de leur rencontre, et les neuf cercles de l’enfer, et les neuf sphères de son Paradis, précédé par les sept gradins du purgatoire. Béatrice aurait été sa guide sur ce chemin initiatique.
Dante a enrichi son poème avec des images, des figures mythiques de l’antiquité ainsi que des personnalités de son temps.
Ce poème est un fil d’Ariane, dans un labyrinthe qui va des ténèbres de l’Enfer au monde intermédiaire du Purgatoire, jusqu’au monde céleste du Paradis. Des secrets voilés de la vie terrestre au sacré qui ouvre la porte de l’âme. C’est un parcours de vie qui mène à l’empyrée, là où règne le feu céleste, régénérateur, dans cette sphère cosmologique de l’antiquité grecque et chrétienne.
Cette allégorie ne peut qu’ouvrir la porte de l’imaginaire du cherchant en quête de lumière. Le poème est un cantique en trois parties : Enfer, Purgatoire, Paradis. L’on peut oser un rapprochement avec le Cantique des Cantiques attribué au Roi Salomon, qui au premier degré apparaît comme une succession d’odes à l’amour sensuel, ou est-ce l’amour de l’âme de l’être intérieur. La comparaison peut-être faite aussi avec le Cantique des Oiseaux du poète et soufi persan Farid- al- Din Attar, poème de 4500 distiques, qui nous mène jusqu’à l’illumination en suivant la huppe oiseau symbolique du Roi Salomon.
Revenons à l’Enfer de Dante, il est composé de 34 chants, suivi par les 33 chants du Purgatoire et se termine par les 33 chants du Paradis. Formant un ensemble de 100 chants, nombre symbolique 1, de l’unité.
L’Enfer est représenté par un cône descendant composé de neuf cercles jusqu’au Cocyte le lac souterrain où se trouve Lucifer prince des ténèbres. Cette spirale descendante est une caverne souterraine, véritable cabinet noir, cabinet de réflexion, le voyage souterrain est un passage obligé pour pouvoir remonter vers la lumière par une spirale ascendante.
Ouvrons les yeux sur des extraits du chant I du poème de l’Enfer, cherchons les correspondances, avec le chemin initiatique. Début du chant :
« Au milieu du chemin de notre vie.. »
(* notes de Jacqueline Risset traductrice du poème : Suivant Dante et Isaïe, notre vie humaine dessine un arc dont le centre le point culminant est l’âge de 35 ans, c’est à cet âge que Dante fit un voyage à Rome.)
Vu au travers du prisme maçonnique on peut y voir le midi de la vie, le moment favorable où l’on fait le point sur son passé, et où l’on envisage de donner un sens à sa vie. C’est le milieu de la vie humaine.
« Je me retrouvai par une forêt obscure car la voie droite était perdue.»
(* au sens allégorique les vices et l’erreur, période d’égarement moral et intellectuel.)
Je dirais la période de la vie ou la matière domine l’esprit. Où l’équ…est encore sur le comp..
« Elle est si amère que mort l’est à peine plus ! (…) Je ne sais pas bien redire comment j’y entrai tant j’étais plein de sommeil en ce point où j’abandonnai la voie vraie. »
Le poète est là dans un état d’errance, de sommeil spirituel, ses yeux sont voilés, son esprit plongé les profondeurs des ténèbres. Il a abandonné la voie vraie. Cela me rappelle le psaume 137 qui évoque l’exil à Babylone, écrit sur le rideau qui dissimule l’arche :
« Si je t’oubli Jérusalem, que ma main droite se dessèche. » La droite sera jetée par-dessus l’épaule, ce psaume est repris dans certaines cérémonies maçonniques. Dans la main droite l’on peut voir la voie vraie et juste, la voie spirituelle.
« Je regardai en haut et je vis ses épaules vêtues déjà par les rayons de la planète qui mène chacun droit par tous ses sentiers. »
La planète est ici le soleil, les rayons sont des rayons de lumière et feu, ils indiquent le chemin de la lumière.
« Je repris mon chemin sur la plage déserte, et le pied ferme était toujours plus bas que l’autre. »
(* le pied ferme est le pied gauche, alourdi et empêché par les passions humaines. Au Purgatoire, la marche sera de plus en plus légère et rapide. Au Paradis Dante volera.)
Un parallèle peut être fait avec la marche gauche, malhabile, trainante de l’apprenti maçon, il est demi vêtu par la lumière encore pâle, il est normal que son pas soit lourd, il vient à peine de sortir des ténèbres. Puis viens la marche du compagnon il a vu la lumière de l’étoile, il est capable de faire des pas de côté, de voyager sur toute la surface de la terre. Enfin celle du maître qui s’élève au-dessus du cadavre et se dirige vers le centre après avoir dominé ses passions, il est capable de se situer entre la matière et l’esprit.
« C’était le temps où le matin commence, et le soleil montait avec toutes étoiles (…) »
(*on pensait au Moyen Âge que le monde avait été crée et le ciel mis en mouvement au début du printemps. En 1300 l’équinoxe de printemps tombait le 12 mars. Toutes ces étoiles sont celles de la constellation du Bélier.)
Quand le soleil monte, c’est le point du jour, et la grande lumière commence à paraître. Le printemps annonce le renouveau. Le Bélier porteur du feu solaire est la force régénératrice, force de la vitalité du printemps.
Puis, viens dans le poème, le Lion de l’orgueil (45), et la Louve amaigrie de l’avarice (48).
« Tandis que je glissais vers le bas lieu, une figure s’offrit à mes regards, qu’un long silence affaiblie. Quand je la vis dans le grand désert, ‘Miserere de moi’. »
(* (…) la raison lorsqu’elle s’est tue pendant longtemps, a du mal à se faire entendre. Celui qui à cause du long silence du soleil, c’est-à-dire pour l’obscurité du lieu, apparaît indistinct à la vue.)
On ne sort pas aussi facilement des ténèbres, cela demande un long travail de préparation pour être en capacité d’affronter la lumière, il convient d’être prudent de se protéger le visage avec la main droite, glaive en main gauche ou en montant sur la montagne au stade ultime du perfectionnement une main doit encore nous protéger de la lumière ardente du buisson. Ou les mains levées vers le ciel, vers la voûte e sacrée. Il faut connaître les gestes et les paroles, et rester humble devant la lumière. Les chrétiens l’expriment ainsi, je ne suis pas digne de vous, mais dites seulement une parole et je serais guéri, car ils ont la foi et la volonté du bien.
« (en parlant de la bête) et quand elle est repue elle a plus faim qu’avant. (…) jusqu’au jour où viendra le lévrier, qu’il la fera mourir dans la douleur.
Lui ni terre ni métal ne le nourrira, mais sagesse, amour et vertu, et sa nation sera entre feltre et feltre. »
L’on imagine ici la bête comme la barbarie toujours assoiffée du sang de la vengeance. Puis vient le chien-guide de celui qui ne voit pas, le chien le conduit à la caverne, vers l’épreuve là où il y a une source, ce chien n’est pas fait des vils métaux, il apporte les vertus de la justice, de la sagesse, de l’amour. Cela rappelle certains degrés de l’initiation maçonnique dits de vengeance ou mieux d’élection, mettant en scène un chien, une source et une caverne. La conclusion la nation entre feltre et feltre, ce feltre est un humble tissu de feutre, la lumière est dissimulée sous un modeste voile, que l’on ne peut lever qu’avec une sincère humilité.
Voilà quelques réflexions sur le chant I de l’Enfer de Dante qui en comporte 34, c’est dire la puissance révélatrice de ce poème qui est venu habiter depuis 1300 l’imagination de nombreux artistes poètes, écrivains comme Honoré de Balzac avec sa Comédie Humaine, Lautréamont et ses Chants de Maldoror, musiciens comme Rossini et Liszt, peintres comme Botticelli ou Domenico di Michelino, metteurs en scène de théâtre, de cinéma et même de jeux vidéos.
Espérant que ces quelques lignes vous incite à plonger dans l’Enfer, puis le Purgatoire et enfin le Paradis, cette trinité est un peu l’histoire de notre vie. C’est ma vie…chante Salvatore.
Jean-François Guerry.
Sources : Dante « La Divine Comédie L’Enfer. » Traduction de Jacqueline Risset.
Notes : le notes avec * sont de Jacqueline Risset.