C’EST PAS L’ENFER, C’EST PAS LE PARADIS…
C’est la vie, c’est la vie du troisième monde, le monde intermédiaire, le Purgatoire de Dante. La sortie de l’Enfer où nous aurions été mis suite à la chute, la faute originelle de nos parents et que nous serions irrémédiablement tous condamnés à payer jusqu’à la fin des temps. Dante avec son Purgatoire, a-t-il mis fin, à cette dictature du choix entre le bien et le mal, ce manichéisme dogmatique. Du choix qui n’en n’est pas un, qui se hasarderait à dire ouvertement qu’il choisit le mal contre le bien, quoique !
Le Purgatoire, s’est l’ouverture vers la lumière, vers l’homme des lumières.
(* Tombant des cieux l’ange rebelle Lucifer est allé se loger au centre de la planète, ouvrant ainsi l’entonnoir qui servira d’Enfer. La masse de terre déplacée par cette chute forme une montagne qui s’élève sur la mer de l’hémisphère sud inhabité, cette montagne qui est une île, est le Purgatoire. ( Jacqueline Risset introduction au Purgatoire de Dante)
Au sommet de cette île est le paradis terrestre.
Les hommes volontaires, prennent le chemin qui monte à la couronne qui surplombe la terre. Ils devront maîtriser leurs passions et pratiquer la vertu pour espérer atteindre la couronne du sommet, de ce monde intermédiaire entre terre et ciel. Les âmes courent le long du fil à plomb entre le centre du temple et la voûte céleste ou sur l’échelle mystérieuse.
Le Purgatoire de Dante est donc le monde des hommes, la terre des métamorphoses, le lieu de passage entre le mal et le bien, entre l’extérieur et l’intérieur, le lieu des alternances entre ombre et lumière. Le Purgatoire est aussi un chemin vers le sacré, la voie du passage de l’horizontale à la verticale, le chemin de son soi, le regard vers l’intérieur. Voyez et méditez !
C’est un chant qui monte, qui s’incarne, une création du beau, une tension vers la vérité. Que cherchez-vous ? La Lumière. Comment y parvenir en pratiquant les vertus et en fuyant les vices. L’homme aspire à se vêtir d’ailes pour s’élever dans l’azur. Il veut sortir du labyrinthe de la nuit, il cherche le fil d’Ariane, le plan de l’architecte, véritable Icare il rêve de percer les secrets voilés derrière les nuages.
Mais a-t-il définitivement vaincu son orgueil ? Son corps est-il assez léger ? Son âme assez pure et fine ?
Dante figure l’homme dans son ascension de la montagne sur la corniche des orgueilleux, il lui faudra trouver le chemin de l’humilité et de l’intelligence du cœur. L’homme devra passer plusieurs fois dans le feu régénérateur devenir un véritable phénix. Il atteindra le bonheur terrestre celui de l’amour en montant sur les ailes du pélican.
Pour Dante le bonheur complet est l’alliance du bonheur terrestre et du bonheur céleste.
Au moment où nous allons retrouver la joie de nous asseoir sur la plage au petit matin pour voir le soleil se lever, rouge du feu purificateur, au moment où la terre se fait paradis pour les hommes.
« Douce couleur de saphir Oriental qui accueillait dans le serein aspect de l’air pur jusqu’au premier tour, recommença avec délice à mes regards dès que je sortis de l’air mort qui m’avait assombri le visage et le cœur.
La belle planète qui invite à aimer faisait sourire tout l’Orient en voilant les Poissons qui l’escortaient.
Je me tournai à main droite, attentif à l’autre pôle, et je vis quatre étoiles jamais vues, sinon par les premiers regards.
Le ciel semblait se réjouir de leurs flammes. »
(* Extrait des notes de Jacqueline Risset traductrice. En voilant les Poissons Vénus couvre de sa lumière la constellation des Poissons deux heures avant le lever du soleil.)
C’est le passage des ténèbres à la lumière, les yeux sont désilés, le bandeau tombe, l’on peut voir l’Orient.
(*Les premiers regards figurent les 4 vertus cardinales (prudence, justice, force, tempérance) les premiers regards sont aussi ceux d’Adam et Êve)
Avec le lever de la lumière, le déchirement du voile des apparences, apparaît la nécessité de la pratique des vertus.
« Je vis près de moi un vieillard solitaire digne de son air plein de révérence (…) Qui êtes-vous qui remontant le fleuve aveugle avez fui la prison éternelle ? »
(* le vieillard est ici Caton d’Utique grand défenseur de la république.)
L’on peut y voir le Vénérable Maître interrogeant le postulant à sa sortie des ténèbres du cabinet de réflexion et désireux de recevoir la lumière.
« Mon guide alors me prit aux épaules et par voix et par mains et par signes rendit humbles mon front et mes genoux. »
Le postulant aux mystères est accompagné par l’expert, les mots, les gestes lui sont révélés genoux à terre, il effectuera son premier travail.
« Comment je l’ai tiré serait long à te dire ; d’en haut descend une vertu qui m’aide à le conduire…. »
Cette vertu est-elle incarnée dans le principe du GADLU ?
« Qu’il te plaise d’approuver sa venue il cherche liberté qui est si chère… »
« Où tu laisseras l’habit… »
L’habit est ici le corps matière.
« Va donc, et entoure cet homme d’un jonc très lisse, et lave son visage, pour effacer toutes ses taches ; il ne conviendrait pas l’œil voilé par quelque brume d’aller devant le haut, qui est des gens de Paradis. »
L’homme qui vient des ténèbres et qui entreprend son chemin initiatique, il doit se purifier, se laver par l’eau de toutes ses taches. Sans cette préparation, cette purification, ce vide, il ne pourrait entreprendre cette montée vers le sacré, le céleste. Il se doit d’être humble, cette humilité est figurée par sa vêture, poitrine dénudée, un pied nu, yeux bandés, ni-nu, ni-vêtu. L’humilité est symbolisée ici par le jonc.
La canne des compagnons, était autrefois faite en jonc, en mémoire sans doute de Maître Jacques qui aurait trouvé refuge dans un marais. Le jonc peut être assimilé aussi au roseau qui plie mais ne rompt pas. À l’humble bâton du pèlerin de Saint-Jacques, au roseau qui fut remis à Judas comme un sceptre en signe de dérision. Ce jonc qui pousse dans les eaux primordiales est aussi symbole de purification.
« Cette petite île, tout autour, tout au bord, là-bas où les vagues frappent, porte des joncs sur sa vase molle ; nulle autre plante, portant feuillage ou tronc épais, ne peut y vivre, parce qu’elle ne sait y seconder les chocs. »
Ces vers renouvellent l’importance de l’humilité, qui fait pousser de magnifiques fleurs spirituelles à l’instar du lotus qui pour dans « la vase molle » des eaux fétides et pourtant orne la partie la plus haute des colonnes du temple leurs chapiteaux.
L’homme en chemin…
« Quand nous fûmes là où la rosée lutte avec le soleil… (…) Là selon le vouloir d’un autre il me ceignit oh merveille ! Telle il avait choisi l’humble plante, et telle elle renaquit, là où il l’avait cueillie aussitôt. »
Ainsi se termine le chant I du Purgatoire de Dante qui en comporte trente trois, véritable conte initiatique, alchimique, propice à mettre en œuvre la métamorphose de l’être intérieur.
Notre monde n’est donc pas l’Enfer, ni le Paradis au sens commun, mais de monde intermédiaire ce Purgatoire monde transitoire en évolution constante. Monde de l’espace temps de la vie humaine microscopique et infini grand par l’esprit, monde du perfectionnement de l’homme, qui peut par son travail, par une succession d’épreuves, de passages, de portes franchies, vers le bien atteindre ce qu’il croyait impossible la joie du cœur. Peut-être pas le bonheur, mais la vie saine purgée des scories encombrantes et inutiles à force de polir sa propre pierre. Atteindre ce lieu indescriptible ou l’âme vit en harmonie avec notre corps. Cette révélation est une apocalypse terrestre vécue ici maintenant, c’est pas l’Enfer, c’est pas le Paradis est-ce un Purgatoire ?
Jean-François Guerry.
Sources : ‘La Divine Comédie’ Le Purgatoire. De Dante.
Notes : avec les * sont de Jacqueline Risset la traductrice de la Divine Comédie.
CITATIONS CHOISIES
La divine Comédie, tome 2 : Le purgatoire de Dante Alighieri
D'où vient que ton orgueil lève si haut la crête,
oubliant que tu n'es qu'un avorton d'insecte,
un vers dont la nature a raté la façon?
La Divine Comédie de Dante Alighieri
Quand l'escalier, monté en courant, fut tout entier au-dessous de nous, et que nous nous trouvâmes à la dernière marche, Virgile arrêta ses regards sur moi
et me dit : "Tu as vu, mon fils, le feu qui n'a qu'un temps et le feu éternel, et tu es arrivé en un lieu où, par moi-même, je ne vois pas plus avant.
Je t'ai conduit jusqu'ici par ma science et mon art; prends désormais ton plaisir pour guide; tu es sorti des chemins ardus et étroits.
Vois là-bas le soleil qui luit sut ton front; vois l'herbe tendre, les fleurs et les arbustes qu'ici la terre produit d'elle-même.
Jusqu'à ce que viennent, pleins de joie, ces beaux yeux qui en pleurant m'ont fait venir à toi, tu peux t'asseoir, tu peux errer parmi ces plantes.
N'attends plus de moi ni paroles ni gestes : ton jugement est libre, droit et sain, et ce serait une faute de ne pas agir à son gré;
c'est pourquoi je te donne sur toi-même la couronne et la mitre."
La Divine Comédie de Dante Alighieri
J'ai vu déjà, au lever du jour, le ciel paraître à l'orient tout rose, et par ailleurs teinté d'un bel azur,
et la face du soleil alors naître voilée, de sorte que les yeux pouvaient supporter longtemps son éclat tempéré par les vapeurs;
de même, dans un nuage de fleurs, qui, des mains des anges, montait et retombait sur le char et tout autour, couronnée d'olivier sur un voile blanc, une dame m'apparut en manteau vert, vêtue d'une robe couleur de flamme ardente.
La divine Comédie, tome 1 : L'enfer de Dante Alighieri
Ô vous qui avez l'entendement sain,
voyez la doctrine qui se cache
sous le voile des vers étranges.
Chant IX, (61-63).