LE SENS DE L’HONNEUR
Alors que la Grande Loge de l’Alliance Maçonnique Française est entrée dans sa neuvième année d’existence en Juin dernier, paraissait le 6ème Cahier de l’Alliance sur le Thème : Le sens de l’Honneur – Une force d’âme qui oblige. Dès sa parution j’avais souligné la qualité de ce Cahier dans la lignée des précédents. Alors que la GLAMF va tenir son convent en cette fin de semaine, le 7ème Cahier de l’Alliance sa Revue d’Études & Recherche Maçonniques paraît à propos sur le thème La Tradition – un héritage, une source, un label.Je reviendrais prochainement sur ce dernier Cahier.
Un contributeur du Blog Rémy Le Tallec, trop rare dans ses expressions, a souhaité revenir sur le 6ème Cahier, enrichissant ainsi la réflexion, c’est le témoignage de la qualité de ces Cahiers qui sont un outil d’accompagnement pour tous ceux qui veulent progresser dans la voie de l’initiation Maçonnique. Les « profanes » quant à eux y trouveront des thèmes de réflexion et peut-être l’envie un jour, selon leur désir de frapper à la porte du temple.
Je laisse la parole et les clés à Rémy Le Tallec, et je souhaite un bon convent à tous les Frères de la GLAMF.
Jean-François Guerry.
Le Sens de l’Honneur, une force d’âme qui oblige
(Cahiers de l’Alliance, n°6, juin 2020)
L’honneur, la morale, la loyauté, la probité, ces mots qui expriment les valeurs humaines les plus profondes n’ont plus cours. Ce numéro des Cahiers de l’Alliance, intitulé « Le sens de l’honneur, une force d’âme qui oblige », vient avec pertinence rappeler ces caractéristiques de « l’honnête homme » selon l’acception traditionnelle des siècles derniers, souvent reniée aujourd’hui au nom de la modernité et de la liberté, et rappelle plus encore, celles de « l’homme d’honneur » qu’est censé devenir le franc-maçon.
Sur le sens de l’honneur, tous les auteurs se rejoignent pour rappeler l’exigence de l’être humain social, et a fortiori du maçon, à pratiquer une éthique de l’honneur et de la vertu.
Ces variations sur le sens de l’honneur permettent d’entendre les voix/voies de l’expérience de chacun des auteurs, ce qui forme une remarquable symphonie dont chaque mouvement pourrait être développé à lui seul.Où l’on retrouve comme points de repère, les noms de ces vertus si mal considérées dans le monde profane,
Un débat réunissant Natacha Polony, Alexandre Adler et Eric de Montgolfier, fait appel aussi bien à la philosophie grecque, - ascendance prestigieuse qui mériterait d’être plus souvent interrogée - qu’aux périodes les plus sombres de l’histoire contemporaine où la noirceur tragique du déshonneur triomphant illumine par contraste l’honneur courageux de certains humains. Le spectre vaste et inattendu de ce débat resitue l’humanité de la notion d’honneur dans la vie de chacun au quotidien, et en éclaire son actualité intemporelle.
Une éthique de la considération
La philosophe Corinne Pelluchon développe une pensée rayonnante « Au-delà même d’une éthique de l’honneur». Sous le double patronage de Paul Ricoeur et de sa « visée bonne avec autrui dans des institutions justes », et d’Emmanuel Lévinas et son « visage de l’altérité », elle propose une éthique de la considération, qui engloberait l’harmonie du monde vivant. L’honneur ne serait plus simple adhésion à des normes extérieures, mais référence à des critères relevant de sa propre conscience et de sa raison, à une intériorisation de l’éthique. Une « éthique pensée comme processus de transformation de soi sur un plan spirituel, car il engage le rapport à l’incommensurable ». Corinne Pelluchon argumente ainsi son « éthique de la considération » : La considération est l’attitude globale sur laquelle se fondent les vertus ; elle résulte d’un processus d’individuation, dans lequel la personne intègre en son esprit le monde commun. Et la clef de la considération est la « transcendance » : elle passe par un approfondissement de soi qui élargit la subjectivité et la transforme. « Je sais alors que vivre est toujours « vivre de » et « vivre avec » et même « vivre pour », et j’ai le désir de transmettre un monde habitable ». On le voit, la pensée de Corinne Pelluchon mériterait d’être interrogée à l’aune de la maçonnerie.
Première marque traditionnelle, premier témoin de l’honneur, le « Serment », auquel Claude Beau redonne à bon droit histoire et vie, car c’est un sujet finalement assez peu traité en maçonnerie, alors qu’il est médiateur de nos valeurs maçonniques. Serment ou Obligation, on lui préfère souvent le terme « engagement », qui est moins exigeant, moins engageant, plus consensuel, et qui permet de traiter de choses plus matérielles qu’éthiques. De la Bible à la société du Moyen Age, des bâtisseurs de cathédrales à la maçonnerie spéculative, du geste aux pénalités symboliques, on sait gré à Claude Beau, ancien Grand Maître, pour ce retour aux sources, et à la signification oubliée du serment. Retour aux sources où la parole avait un sens, le sens de l’honneur justement, cette fondamentale histoire avait besoin d’être racontée. (« Le serment maçonnique, ses origines, son histoire »)
Autre pilier du dossier, « Honneur, vertu et voie initiatique ». Avec l’érudition ébouriffante, la simplicité et la maîtrise pédagogique qu’on lui connaît, Francis Bardot nous embarque sur le chemin (j’allais dire sur le bateau), de l’initiation, en y agrégeant en viatique tout ce que peut contenir, éprouver, nécessiter toute progression initiatique. La séparation d’avec un monde profane, où la morale, l’éthique, la loyauté, la probité, l’honneur, la dignité humaine sont bannis des journaux, des radios, des écrans télé et des réseaux dits sociaux, au profit des marchands de bonheur illusoire. La séparation d’avec l’ego, l’individualisme, l’égotisme.
Certes, il laisse au passage quelques questions en suspens, mais on le sait, Francis Bardot a choisi de pratiquer une maçonnerie de spiritualité, une progression intérieure par le « Monde « d’en haut », et par le chemin d’une ascèse stoïcienne dont il épouse les valeurs : courage, prudence, tempérance, justice, et dont les traductions symboliques emplissent nos rituels. Et il rejoint la fraternité des humains « dont la transcendance commune est la dignité humaine ».
En post-scriptum de ce dossier, une forte et heureuse « Méditation sur l’honneur » de Jean Dumonteil où l’honneur est inséparable de l’éthique, de l’engagement, de l’humilité, de la fidélité, de la fraternité. « Avons-nous oublié la force de ces paroles qui nous ont été adressées au tout début de notre parcours initiatique ? » interroge-t-il. Encore un bonheur de lecture où se posent plus de questions que de réponses dogmatiques. Donc, une ouverture sur l’avenir de l’honneur de notre ordre maçonnique.
« Un homme d’honneur », ainsi était qualifié le franc-maçon dans les Constitutions d’Anderson, en 1723… !
Rémy Le Tallec.
PS : On peut lire utilement de Corinne Pelluchon, « Ethique de la Considération » (Seuil, 2018)
VIENT DE PARAITRE-
La Tradition
un héritage, une source, un label…
La Tradition ne peut être considérée que comme un label qui permettrait de différencier les obédiences maçonniques.
Pour autant, la Tradition n’est ni un talisman, ni une posture confortable qui permettrait de se proclamer héritiers et surtout détenteurs d’une vérité oubliée.
Au contraire, la Tradition est une source sans cesse jaillissante pour peu que les Francs-maçons continuent leur travail afin de la désencombrer de tout ce qui en obstrue l’accès à nos contemporains dans la société désenchantée et techniciste où nous vivons.
Alors oui, il faut revendiquer cette ambition de Tradition, même si cela peut paraître un pléonasme pour les initiés, car la Franc-maçonnerie, vécue authentiquement, est par essence traditionnelle. Elle est la source permanente et toujours actuelle du questionnement sur notre responsabilité d’homme.
Au sommaire
Jean-René DALLE, Revendiquer la Tradition
François-Xavier TASSEL, L’« invention » de la tradition
Gaston-Paul EFFA, La Tradition comme livre de vie
Jean DUMONTEIL, La transmission au-delà des mots
Pierre PELLE LE CROISA, L’étincelle de lumière sous la cendre
Jacques BRANCHUT, Tradition primordiale et mythes anciens
Richard BACIN, Traditions africaines
Jean DUMONTEIL, Méditation sur Tradition et transmission
Cahiers de L’Alliance n°7, LaTradition, Ed Numérilivre, Paris, octobre 2020,
120 pages, 18 €. – abonnement 3 numéros, 48 €.
A commander sur www.esophoros.fr ou www.numerilivre.fr
Au rythme de 3 numéros par an, les Cahiers de L’Alliance se proposent de traiter des grands sujets intemporels de la pensée maçonnique et d’aborder les défis auxquels la tradition spirituelle est aujourd’hui confrontée.
Ils sont édités par la Loge nationale de recherche de la Grande Loge de l’Alliance Maçonnique Française.
Directeur de la rédaction : Jean DUMONTEIL - Rédacteur en chef : Jean-Claude TRIBOUT
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