Miracle grec, marmite d’Alexandrie, vase d’oxford, œuf maçonnique, pas d’inquiétude le Blog ne change pas de thème. Je confesse au grand désespoir de mon épouse être un piètre cuisinier (je ne fais pas beaucoup d’effort), je ne suis pas meilleur dans la culture des légumes, je préfère les fleurs de mon balcon, mon jardin est plutôt rempli de livres. Je vois quand même le ciel !
Mon ami Rémy Le Tallec, qui s’il y avait des demi-dieux en ferait peut-être partie, mais c’est un homme avant tout, un homme qui frôle tellement l’humilité qu’il finit par en être une incarnation. Il paraît que cette vertu est inatteignable à par l’esprit humain !
Il n’y a que ses très proches qui savent que Rémy fût un critique musical très réputé, lanceur de talents en France, en Bretagne et chez nos cousins du Québec.
J’ai découvert il y a quelques années, bien caché, dans son salon bibliothèque, le livre de Gilles Vigneault « Les Gens de Mon Pays. » C’est l’édition intégrale des chansons enregistrées du poète. Hubert Reeves et Rémy Le Tallec ont rédigés ensemble respectivement la préface et l’introduction.
Rémy a écrit dans cette introduction. « La chanson Mon Pays (Considérée comme l’hymne officieux du Québec) brave le temps et les modes pour faire désormais partie de la mémoire collective, depuis ce fameux jour de la superfrancofête qui a consacré à jamais leur trio Royal, Félix Leclerc avant coutume de dire que dans la chanson québécoise, il représentait la lampe à huile, Gilles Vigneault l’ampoule électrique et Charlebois le néon… mais que l’important c’était la lumière. »
Rémy Le Tallec nous invite donc à une promenade lumineuse, dans le passé et le présent pour éclairer notre avenir, c’est un message d’espérance, il nous invite en compagnie de Christiane Rancé et Stéphane Barsacq à la découverte des lumières de Lucien Jerphagnon.
Rémy cisèle les mots, ses mots, il nous faudra donc s’y arrêter pour découvrir les secrets qu’ils cachent, deux étapes seront nécessaires sur ce chemin lumineux.
Jean-François Guerry.
Lucien Jerphagnon vu par Christiane Rancé et Stéphane Barsacq
Les références à Christiane Rancé et Stéphane Barsacq, auxquels Jean-François a consacré un article vendredi dernier, m’ont fait immédiatement penser à Lucien Jerphagnon, historien de la philosophie, dont ils ont l’un et l’autre préfacé plusieurs ouvrages. Christiane Rancé, a préfacé « A l’école des Anciens » (Ed Perrin, 2014), et publié un recueil d’entretiens « De l’amour, de la mort, de Dieu et autres bagatelles… » (Ed Albin Michel, 2011). Et l’on doit à Stéphane Barsacq les préfaces de « Connais-toi toi-même… et fais ce que tu aimes » (Ed Albin Michel, 2012) et « L’homme qui riait avec les dieux » (Albin Michel, 2013)… entre autres.
Lucien Jerphagnon, historien de la philosophie grecque et latine
Professeur émérite des universités, Lucien Jerphagnon (1921–2011) était un éminent spécialiste de l’Antiquité grecque et de l’Antiquité romaine, avec leur histoire, leurs modes de vie, leurs mythes et leurs dieux, leurs empereurs, leurs philosophes, leurs penseurs et écrivains, auxquels, il a consacré la majeure partie de son œuvre. (« Les divins Césars, idéologie et pouvoir dans la Rome impériale »(Ed.Tallandier, 2004)
De son immense bibliographie, on trouve tout en haut de son hit-parade, Augustin, auquel il a consacré l’édition des « Oeuvres Complètes », trois tomes en Pléiade, et puis Plotin, Platon, etc …
De Lucien Jerphagnon, je me souviens avec une grande précision, des circonstances de ma première rencontre avec l’un de ses ouvrages, et celle où j’ai appris son décès. Ma première rencontre, c’était avec son livre « Les dieux ne sont jamais loin » (Ed. Desclée de Brouwer 2002), que lisait la fille d’un ami, décédée peu de temps après, qui accepta de me le prêter le temps d’un week-end en bord de mer. Aussitôt rentré, j’ai acheté ce bouquin pour le lire à loisir, et ce fut le début d’un compagnonnage avec l’antiquité grecque et romaine sous le bienveillant patronage de Lucien. A l’annonce de son décès, j’étais de nouveau en bord de mer, sous un autre ciel lumineux, et je vois toujours la chambre spartiate et le petit écran de télévision porteur de la mauvaise nouvelle. Chagrin.
Car, entretemps, j’avais pris le temps de me passionner pour l’historien philosophe et plusieurs de ses bouquins, et appris à aimer son regard malicieux, son esprit subtil et sa voix limpide, dans de rares émissions littéraires à la télé et à la radio.
Philosophe et historien, ou plutôt historien de la philosophie, car il aimait à préciser « qu’un historien qui ne se consacre qu’à l’histoire est un archiviste qui se contente d’énumérer les traités et les batailles…et qu’un philosophe qui ne fait que de la philosophie se balade dans les concepts sans que personne n’y entende plus rien, sauf peut-être lui-même »…
…. « Toute philosophie est nécessairement historique. Une philosophie dépend de l’air de son temps. L’idéal pour l’historien de la philosophie est d’essayer de respirer l’air du temps de la philosophie qui l’intéresse. Il faut savoir non seulement ce qu’on pensait, mais aussi ce que l’on faisait, disait, je dirais même ce que l’on mangeait et buvait, quelle conception on avait de l’amour, de la haine, de la religion, de la politique, du bonheur… ».
Lucien Jerphagnon avait ce don particulier de faire vivre devant nous, de nous faire vivre avec les personnages historiques quels qu’ils fussent, aussi bien Plotin que l’empereur Auguste, un grec lambda ou un romain de la plaine du Po, l’empereur stoïcien Marc Aurèle, ou Augustin, Aristote ou Platon…
Dans une sorte de complicité respectueuse, il partage avec nous un regard neuf – je vois son œil pétillant - avec l’élégance d’un vocabulaire familier bien enraciné dans notre siècle, et un solide humour d’une finesse rare. (Il a dédié l’un de ses livres à Pierre Dac).
Avec lui, on ne peut plus considérer l’histoire en général, et ses personnages en particulier comme des abstractions, mais bien comme des histoires de vie et des êtres de chair et d’émotion. Avec en filigrane une érudition aussi discrète que profonde, et une acuité psychologique exercée par les milliers d’ouvrages patiemment étudiés et la compagnie d’illustres collègues saisis de la même passion, Paul Veyne, Jankélévitch…
L’histoire et les mythes à la première personne
Cette proximité à la première personne, qui en fait un enchantement de lecture et d’apprentissage est une constante dans le climat de l’œuvre de Lucien Jerphagnon, y compris dans ses livres historiques. Et il s’en explique à plusieurs reprises.
A la fin du « Bonheur des Sages », « Ici, je ne puis parler qu’à la première personne. A chacun ses expériences. Car il s’agit de fréquenter les disparus comme s’ils vivaient encore, les lire et les relire. Il y aura bien quelque chose qui la dernière fois m’aura échappé. Alors je regarde du plus près que je peux. Si je pouvais partager un moment le regard que ce vivant d’alors portait sur le ciel d’Athènes, d’Alexandrie ou de Rome ? Sur son présent à lui, sur son passé, sur l’avenir qu’il imaginait ? Voir ce qu’il voyait, en éclairer mon présent, qui lui aussi m’échappe comme lui échappait le sien… ».
(Entre parenthèses, quel maçon ne rêve pas d’entendre ceux qui ont créé les premières assemblées, ceux qui ont écrit les rituels ? Leur projet de vie, leur projet de se rencontrer régulièrement entre gens d’ici et de partout, sans autre distinction que d’être des hommes libres et de bonnes moeurs ? Leurs inquiétudes ? A quelle liberté aspiraient-ils ? Que mangeaient-ils à leur faim ? Quelle pandémie craignaient-ils ? Pourquoi tel mot, telle phrase plutôt qu’une autre dans ces fameux rituels ? Quel sens donnaient-ils aux mots, aux phrases de ces rituels ? Les serments prononcés avaient-ils un sens ?)
(Entre parenthèses encore : quel maçon ne lit et relit ses rituels, pour en tirer encore et toujours une interprétation symbolique nouvelle qui ne l’avait pas encore nourri, une direction nouvelle qui ne l’avait pas encore dirigé ?)
« Les mythes ont comme tout le reste une dimension psychologique, sociologique, politique même, on s’en doute bien, tout cela changeant selon l’air du temps et des temps »….
« Chaque génération a ses modes, sinon ses obsessions, sa vision du mythe, du monde et de la mort. Les individus ont personnellement aussi leur façon d’envisager la vie ou la survie, leur drame intérieur et leurs raisons d’interpréter ainsi ou autrement tel ou tel épisode de la légende des dieux et des héros »… ». D’une couche géologique à l’autre, l’esprit du temps change, et avec lui le regard qu’on porte sur les mythes, selon ce qu’on en attend »…
Rémy Le TALLEC
Superfrancofête 1974 Québec