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la Franc Maçonnerie au Coeur

la Franc Maçonnerie au Coeur

Un blog d'information, de conversations sur le thème de la Franc Maçonnerie, des textes en rapport avec la Franc Maçonnerie, comptes rendus et conseils de lectures.

Publié le par Jean-François Guerry
LES FRÈRES ET HAÏTI

LES FRÈRES ET HAÏTI

Les 10 et 11 mai avait lieu la 10ème Fête du Livre à Quiberon, à quelques pas de la plage, les visiteurs comme d’habitude ont rencontrés les auteurs majoritairement de romans, une place aussi de choix pour la littérature enfantine. Beaucoup d’adultes, malheureusement très peu d’adolescents, sans doute à la plage ou devant leurs écrans en pleine conversation avec leurs centaines d’amis sur les réseaux ?

Parmi les 60 auteurs présents, j’ai pu dialoguer avec Stéphane Pair à propos de son livre Furie Caraïbe Éditions 10/18. J’ai toujours été intrigué par la malédiction qui semble accabler Haïti et le contraste avec la République Dominicaine. Le roman de Stéphane est un roman noir historique, un polar noir. Il raconte le terrible destin d’Haïti à travers l’affrontement sans merci que se livrent deux caractères féminins extrêmement forts. Rosalie une éminence grise du régime Duvalier et Sybille une étudiante révolutionnaire et vengeresse. Sur fond de désordres d’un régime dictatorial, ou violence et corruptions sont orchestrées par des politiciens corrompus alliés des gangs. Haïti connait cette situation depuis son indépendance en 1804.

Pourquoi j’écris ces quelques lignes, et quel rapport avec la Franc-maçonnerie ? Quand je suis parvenu à la 33ème page du Roman (simple coïncidence sans doute ?), j’ai lu que Rosalie une protagoniste affidée au régime de François Duvalier alias Papa Doc- (1907-1971) un médecin drôle de thérapeute qui après avoir été ministre de la santé a réussi à se faire élire président à vie, c’est quand même plus simple ! Je reviens à notre Rosalie. Elle avait mis au point un système de récupération des lettres écrites par les prisonniers politiques pour les analyser au profit de son Papa Doc. Stéphane Pair, l’auteur du roman écrit, L’idée de confisquer les lettres clandestines des détenus de Fort Dimanche vient de Rosalie, et les artisans du système sont des surveillants francs-maçons, comme Barthélémy. En quelques décennies, par l’entremise de leur réseau, un nombre important de membres du Grand Orient d’Haïti se sont imposés surveillants dans les prisons du pays. Rosalie demande au sergent Barthélémy de convaincre ses collègues de mettre leur obédience de côté et d’aider la République en danger. Il ne s’agit pas de confisquer les lettres aux prisonniers, a bien insisté Rosalie mais de s’assurer qu’ils ne répandent pas la mauvaise parole. (En quelque sorte une bonne œuvre pour que la Parole ne soit pas perdue.) La force du dispositif consiste, après lecture par la directrice, à bien acheminer les lettres à leurs destinataires pour ne pas éveiller le soupçon. Les nombreux détenus sont ainsi mis en confiance, incités même à écrire à leurs proches sous le sceau du ce secret maçonnique. (…) Petit à petit les détenus s’épanchent dans leurs écrits. Ils livrent des noms, des lieux. Rassurés par les « frères » surveillants, ils incitent d’autres détenus n’appartenant pas à la Franc-maçonnerie à communiquer avec l’extérieur. « L’idée est brillante. Elle permettra de traquer le ver dans le fruit de la révolution ».(Apogée du secret maçonnique, au service de Papa Doc protecteur de la Franc-maçonnerie.)

Après la lecture de ce passage du livre de Stéphane Pair, je me suis interrogé pourquoi cette mise en cause des Francs-maçons, pour vendre plus, un peu de sensationnel ne nuit pas. Mais quand même cela repose sans doute sur un fond de vérité ou une rumeur.

Il faut pour comprendre faire un retour sur l’histoire, Haïti est née de la séparation de l’île d’Hispaniola en deux, elle était alors le plus grand des territoires francophones des Grandes Antilles et le plus peuplé. Elle est devenue indépendante en 1804, sa devise est Liberté Égalité Fraternité, et l’Union fait la force. Elle est surnommée : « La perle des Antilles. »Avant la Révolution Française est créé une Société des Amis des Noirs, les années 1793 et 1794 voient la mise en place de l’abolition de l’esclavage. En 1794 Toussaint Louverture est nommé gouverneur à vie. Puis se succéderont des chefs d’états, l’île est fortement imprégnée par la religion catholique romaine. Quand en 1905 en France la loi de séparation de l’église et de l’état, Haïti préfère conclure un concordat avec l’église. Dès lors une opposition constante va avoir lieu entre l’église catholique et la Franc-maçonnerie. Les principaux chefs d’états haïtiens seront Francs-maçons et protégeront leur institution. Le président le plus célèbre Louis, Etienne, Félicité, Lysius Salomon (1879-1888) offrit le 11/07/1880 une fête mémorable au Grand Orient et à la Franc-maçonnerie Haïtienne.

Papa Doc, qui fût très critiqué par l’église catholique puissante en Haïti va expulser l’archevêque, les prêtres et les jésuites. Il sera excommunié dans les années 1960. Se tournant vers le peuple, il fera exécuté les élites, il s’alliera avec les milices en particulier les tontons macoutes on arrive à notre roman de Stéphane Pair et sans doute l’explication de son passage concernant les Francs-maçons.

On remarque que dans les troubles récents, Jimmy Cherizier ce sanguinaire milicien qui se fait appeler Barbecue selon Journal Paris Match serait Franc-maçon depuis 2004 ! Je le cite concernant ses hommes : ces hommes ne sont pas des chefs de gangs ! Ils aident les gens ! Ils ont restauré les quartiers… Sur ma foi maçonnique, dans les zones du G9, il n’y a pas de vols, il n’y pas de viols, pas de kidnapping. En clair tout va bien, la joie est dans les cœurs. Pas sûr quand même que l’association des Tontons macoutes, de Barbecue et des Francs-maçons soit pertinente.

Pour aller plus loin quelques notes ci-dessous, bonne lecture.

                                            Jean-François Guerry.

Stéphane Pair

Stéphane Pair

NOTE SUR LE LIVRE DE STÉPHANE PAIR
Sous le régime impitoyable des Duvalier, la liberté à un prix
1971, Haïti. Rosalie Adolphe est certainement la femme la plus puissante du pays. Au service du président François Duvalier, elle traque sans pitié les opposants au régime, allant jusqu’à participer à de véritables massacres comme celui dans lequel la famille Sansaricq a perdu la vie.
1986, Sybille est la dernière survivante de la famille Sansaricq. Membre de la rébellion, elle cherche à se venger des miliciens qui ont brutalement tué les siens, vingt ans plus tôt. Accompagnée de Jacques, un trafiquant dont elle est éperdument amoureuse, elle est décidée à mettre fin au régime violent des Duvalier et à libérer Haïti.
Journal Paris-Match

À l’entrée de l’immense marché de la Croix-des-Bossales, cet homme qui a pour modèle Che Guevara pénètre dans une baraque et salue ses lieutenants, TiJunior, le nouveau chef de la Saline, jeune et émacié, et, plus loin, « Mikano », le chef du gang de Wharf-Jérémie, en costume africain jaune, ancien taulard, de haute stature, sombre et discret, également accusé de massacres. « Ces hommes ne sont pas des chefs de gang ! Ils aident les gens, ils ont restauré leur quartier », assure Barbecue, franc-maçon depuis 2004 : « Sur ma foi maçonnique, dans les zones du G9, il n’y a pas de vols, pas de viols, pas de kidnappings. » Fils d’un chapelier et d’une mère vendeuse de poulets frits, Jimmy Cherizier explique tenir son surnom du métier de sa mère et non de sa réputation de brûler ses victimes.

NOTES EN DÉSORDRE

Le concordat de 1860, signé entre Haïti et le Saint-Siège, continue à être la base légale régissant les rapports entre l’État et l’Église catholique romaine.

 

 Comment les principaux acteurs politiques, religieux et intellectuels d’Haïti ont-ils réagi face à cette phase de la laïcisation en France ?

 

Quelques années après l’indépendance nationale (1804), le sentiment antifrançais, suscité par la mémoire de l’esclavage et de la colonisation, a lentement cédé le pas à une francophilie parmi les élites haïtiennes.

 

La plupart des écrivains français ne considéraient-ils pas Haïti comme « la Petite Afrique de l’Amérique ! 

 

 On lit ainsi dans Le Moniteur du 1er septembre 1860 que 

  • 18 Le Moniteur, 1erseptembre 1860, no 397, p. 1.

le traité, qui a été conclu entre Sa Sainteté le Pape et la République, est un véritable progrès. Depuis longtemps, la nécessité d’avoir chez nous des prêtres d’une moralité éprouvée, par suite d’un concordat avec le Saint-Père, se faisait sentir, et des démarches avaient été constamment faites à ce sujet, mais sans succès

En facilitant l’établissement régulier du culte catholique dans le pays, ce traité aidera à la propagation de la morale universelle, de la morale chrétienne. L’influence du christianisme anéantira toutes ces doctrines, tous ces cultes antireligieux qui sont aussi opposés à la vraie religion qu’aux principes de notre pacte social ».

 

 Le concordat inaugure l’ère de la « Bretagne noire », car Haïti, la « Fille Aînée de l’Église dans le Continent Occidental », était devenue spirituellement une « colonie bretonne » comme l’indique une plume catholique des années 1880 


Dans les faits, le clergé concordataire se charge de la question sociale et du contrôle de la culture et de l’éducation. Durant une quarantaine d’années, il s’est trouvé confronté à des élites profondément catholiques, mais également ancrées dans une franc-maçonnerie anticléricale. Cette dernière, affaiblie par des crises internes intermittentes, affiche le visage d’un mouvement sans idéologie politique dès la fin du xixe siècle.

Il est pourtant curieux de constater que ce même clergé concordataire, dans son Bulletin religieux d’Haïti, évoquait l’encyclique de Léon XIII (24 juin 1893) sur la nécessité de « fonder des séminaires dans les Indes Orientales » et d’assurer « la formation d’un clergé indigène qui soit non seulement capable d’aider le ministère européen, mais encore de porter le fardeau de la charge pastorale ». Finalement, c’est au cours des années 1960 que le président François Duvalier (1957-1971) accomplit de force la « nationalisation » du clergé catholique

Le début du xxe siècle met ainsi fin à la présence de figures anticléricales dans les gouvernements haïtiens et occasionne, à plusieurs reprises, des présidences marquées par un discours messianique et soucieux du bon rapport avec l’Église catholique. Par exemple, dans son allocution du 16 décembre 1900, le président Paul Augustin Tirésias Simon Sam (1896- 1902) déclare que « Dieu qui voit tout, qui sait tout, me protège manifestement. C’est lui qui m’a élu par la voix du peuple, alors que je n’étais pas candidat à la présidence ». Il précise aussi que « si l’on réfléchit, si l’on veut se reporter à l’Histoire, on constatera que mon gouvernement, sous l’égide de Dieu, est le seul qui, depuis Boyer, ait atteint près de cinq années d’existence sans troubles, sans coups de fusil ».

Mais serait-ce en réaction au foyer d’opposition des missionnaires catholiques établis dans les colonies françaises, particulièrement le Madagascar, et en Haïti que son auteur anonyme écrit :

  • 40 Anonyme, Les Missions et la question religieuse à Madagascar, Meulan-Hardricourt, Imprimerie Albert (...)

En luttant contre le prosélytisme religieux, je fais acte de civilisation et je défends les intérêts véritables de l’indigène. Les missionnaires et les philosophes humanitaires, si toute liberté leur était laissée, nuiraient à l’évolution des indigènes vers la civilisation. Entre les missionnaires et nous, la divergence des vues est absolue. Je ne crois nullement à l’action civilisatrice des religions. La civilisation est fille des progrès industriels et scientifiques, issue des changements économiques déterminés par ces progrès. Une race peut concevoir une religion d’ordre philosophique, elle restera l’inférieure des races à religion plus vulgaire, mais arrivée à un développement scientifique et par corollaire matériel plus marqué. […] Quand la religion chrétienne s’impose à une race, sans que parallèlement ou antérieurement se soit développé, par une évolution plus ou moins rapide, l’esprit social, né du progrès matériel, propre aux nations européennes, on obtient Haïti, une parodie des sociétés et des états européens

celle de France vote la loi du 9 décembre 1905 qui permet de mettre fin à son concordat déjà centenaire66Le Soir souligne alors que :

L’abolition du concordat et la substitution du nouveau régime faisant suite à la séparation des Églises et de l’État amènent un grand changement dans les conditions actuelles, d’après lesquelles l’État a à satisfaire aux besoins de milliers d’églises, payant les appointements des évêques et des prêtres et ayant à s’occuper de l’administration du système religieux. Une commission nommée par le ministre des cultes a commencé à étudier les changements qui doivent être faits pour passer de l’ancien au nouveau système. Ces changements sont divisés en trois catégories :

1- Classement des propriétés de l’État, comprenant les tableaux et objets d’art évalués à plusieurs milliards de francs.

2- Réorganisation des salaires du clergé, qui seront graduellement diminués jusqu’à leur extinction.

  • 67 Le Soir, mercredi 3 janvier 1906, no 1, p. 2.

3- Formation de sociétés civiles qui devront s’occuper de l’administration des églises.

. e tournant décisif dans l’histoire des rapports entre l’État et les religions en France est donc perçu en Haïti comme une bataille longue et compliquée où la foi devrait s’incliner devant la militance anticléricale. Si la presse, en particulier Le Soir, en fournit les différentes phases et leurs conséquences immédiates, il n’existe à notre connaissance qu’une seule brochure d’un militant catholique haïtien jetant un regard défavorable sur la loi du 9 décembre 1905. Pour le reste, jusqu’à preuve du contraire, les intellectuels haïtiens se seraient plutôt enfermés dans un parfait silence. Pour une fois, s’inspirer de la France leur aurait semblé impossible ou tout au moins inapproprié compte tenu de la situation nationale.

 

En Haïti, la laïcisation des institutions françaises a suscité beaucoup plus d’inquiétude que d’enthousiasme. Seul État officiellement francophone (même si la grande majorité ne parle que le créole haïtien) dans les Amériques, Haïti a conclu un concordat avec le Saint-Siège en 1860. Cet accord a occasionné un rapprochement avec l’ancienne métropole par l’implantation de congrégations religieuses françaises et l’institution d’un épiscopat traditionnellement breton.

Certes, le clergé breton et les autorités publiques s’opposeront sur le mariage, mais celles-ci ne rendront pas effectif le projet de dénonciation du concordat engagé par des parlementaires francs-maçons. 

Durant l’occupation américaine d’Haïti (1915-1934), les revendications en faveur de l’institution d’un « clergé indigène » et la dénonciation de la collaboration des missionnaires bretons avec les autorités américaines prendront un caractère anticlérical70. Mais il a fallu attendre 1946, au moment des débats sur la réforme constitutionnelle suite à la chute du président Élie Lescot (1941-1946), pour que l’autorité de l’Église catholique soit sérieusement ébranlée. S’inspirant encore de la France qui vient d’approuver une constitution (27 octobre 1946) insérant la laïcité comme une dimension de l’identité républicaine, une frange de la gauche haïtienne voulut rompre avec la « tradition constitutionnelle » haïtienne en matière religieuse. La tentative échoua.

Grand Maître de l'Ordre prit la parole pour justifier la nécessité d'une relation très cordiale entre l'État et la franc-maçonnerie. Cette dernière, dans son discours, fut présentée comme un vecteur du « principe du bien moral et la sève de la prospérité matérielle » et « la véritable sauvegarde des nations après Dieu » 19. Ce qui expliquerait, d'après lui, son succès auprès de certaines puissances étatiques. Le président Salomon rappela, à son tour, la pertinence du principe de la fraternité sans laquelle persistera le dogme de la « la suprématie de l'homme sur l'homme » et déclara: « la maçonnerie est appelée à jouer un grand rôle dans le mouvement de l'esprit humain, et c'est parce que j'en ai l'intime conviction qu'après avoir accepté d'être le premier Magistrat de mon pays, j'ai consenti à être le grand Protecteur de notre Ordre » 20.

En définitive, l'attribution de ce titre honorifique semble une forme de légitimation du pouvoir politique par la franc-maçonnerie haïtienne.

Cette dernière, en contrepartie, s'assure de la protection de l'État haïtien qui appuie ses activités.

2. Solidarité maçonnique lors des crises politiques

À l'occasion de l'annonce du rétablissement du président Boyer, une messe d'action de grâce fut chantée aux Gonaives le 21 novembre 1841.

Les institutions de la société exprimèrent ainsi leur soulagement vis-à-vis de l'écartement d'une éventuelle crise de succession au plus au niveau de l'État. De son côté, par l'intermédiaire de la Respectable Loge L'Heureuse Indépendance, « la société Franc-Maçonnique voulut aussi donner un nouvel embellissement à cette fête, en donnant un

banquet, pour porter la joie et l'effusion dans les cœurs » 21. Y prit part notamment l'abbé Leloup (curé de Gros-Morne et de Plaisance), lui-même franc-maçon, aux côtés du vénérable Richard Dauphin. Ce dernier dédicaça l'événement à la gloire du chef de l'État. « À ce digne maçon, a-t-il dit, qu'il vive longtemps pour le bonheur de ses concitoyens et la prospérité de son pays » 22.

Deux ans plus tard, Boyer prend le chemin de l'exil. Cet événement occasionne une crise politique qui génère une succession de gouvernements éphémères entre 1843 et 1847. Dans ces conditions, les groupes d'influence identifient leurs ennemis potentiels et les persécutent.

Toutefois, plusieurs individus sont sauvés de la potence en raison de leur appartenance à une quelconque loge maçonnique. En témoigne le récit suivant :

Lors de la révolution qui, il y a quelques mois, éclata dans la république d'Haïti, un créole espagnol, nommé Eugène-Marie Lagratia, était cité comme un des plus riches et des plus recommandables négociants du Port-au-Prince. Bien que complètement étranger à toutes les agitations politiques, il devint suspect d'être révolutionnaire, et craignant les suites de cette suspi-cion, il songea à fuir ; mais il fut arrêté avant d'avoir pu y parvenir. Ce simple projet de fuite fut jugé digne d'être puni de mort, et on le condamna à être immédiatement exécuté. Le fatal piquet qui devait le fusiller était prêt. Le malheureux, à genoux auprès de son cercueil, priait avant d'avoir les yeux bandés. A ce moment suprême, hors celle du ciel, il sentit tout-à-coup des bras l'étreindre, et il s'évanouit. En revenant à lui, il se trouva dans un corps-de-garde, en face de l'officier haitien chargé de commander le piquet d'exécution. Ce dernier avait reconnu dans l'infortuné patient, implorant le ciel à l'heure de son agonie, un frère qu'il se rappelait avoir vu naguère dans une loge maçonnique. En conséquence, il avait cru devoir prendre sur lui de suspendre le supplice 23.

Cet humanisme des « fils de la veuve» 24 est aussi relaté par l'historien Thomas Madiou fils, lui-même franc-maçon, lorsqu'il traite de l'épisode du massacre des Français sur l'ordre de Jean-Jacques Dessalines

(1804). « On vit des Haïtiens, francs-maçons, sauver des Français de la même congrégation qu'eux. D'autres hommes également francs-maçons profitèrent de la confiance que leurs frères devaient naturellement avoir en eux, pour mieux les trahir. Il faut dire, à la gloire de l'institution toute philanthropique de la Franc-Maçonnerie.

un franc-maçon français, ayant séjourné durant six années

en Haïti, affirme être témoin de la solidarité maçonnique : Un des devoirs principaux de la Franc-maçonnerie d'Haïti est de porter aide et secours à son Fr:. Combien de vies, notre Institution n'a-t-elle pas sauvées ? Vous savez comme les Révolutions y sont fréquentes : il n'y a que quelques semaines encore que nos Journaux nous racontaient les combats ensanglantant le Nord de l'ile. Dans ces moments, la vie d'aucun Haïtien n'est sûre, car tous sont politiciens et une dénonciation vous a bien vite conduit à l'échafaud ou au gibet. C'est alors qu'un Fr:. aide son Fr:., en lui fournissant les moyens de fuir. Pendant mon séjour à Haïti, j'ai vu faire à plusieurs reprises le signe de détresse : « À moi, les enfants de la Veuve », qui n'est connu là que des Maîtres, et plusieurs ont été sauvés! En ce qui concerne les secours financiers, il est très rare que la Loge, comme telle, y participe. La raison du procédé doit être cherchée peut-être dans le fait que les Haïtiens en général, qu'ils soient Maçons ou non, sont très hospitaliers, que les Indigènes ont très peu de besoins et que les blancs étrangers trouvent, le cas échéant, des secours financiers ou les moyens de se rapatrier soit chez

leurs compatriotes, soit dans leurs consulats 26. Cette solidarité, en d'autres termes, est présentée comme une caractéristique essentielle de cette franc-maçonnerie. En effet, dans toutes les circonstances, les frères servants sont appelés à faire montre d'humanisme à l'égard des autres initiés. L'historien Alexis-Beaubrun Ardouin (1796-1865), lui-même franc-maçon 27, lance ainsi des éloges discrets à l'égard de cette association. Il évoque comment le général Borgella, exposé à la mort, fut sauvé par un franc-maçon français avant l'indépendance (1804) : « Parmi les méchants se trouvent toujours des hommes bons. Borgella était franc-maçon, et connu pour tel par plu- sieurs des blancs des Cayes. L'un d'eux, nommé Desclaux, véritable frère et vénérable de la loge des francs-maçons de cette ville, le recommanda à toute la bienveillance de Pierret, franc-maçon lui-même » 28.

3. Tensions dans la franc-maçonnerie et crises politiques Au moment des épreuves politiques, cette solidarité maçonnique

montre quelquefois ses limites. D'ailleurs, des recherches approfondies

FRANC-MAÇONNERIE EN HAÏTI

 devraient vérifier la responsabilité de certaines loges dans les conjonctures de crise qui se succèdent au cours du XIX* siècle. Selon Gaétan Mentor, la franc-maçonnerie a contribué activement au renversement

du président Jean-Pierre Boyer : Le 16 juillet 1838 dans la partie de l'Est et le 25 décembre 1842 à Jérémie, deux sociétés secrètes sont créées par deux francs-maçons, Juan Pablo Duarte et Honoré Féry, dans le but d'initier une révolution visant à renverser le gouvernement du F: Jean Pierre Boyer, Président à vie de l'île. Le serment des « Trinitaires », nom de la société secrète, était fait au nom de la Très Sainte, Très Auguste et Indivisible Trinité du Dieu Tout Puissant, terminologie toute maçonnique et les paroles secrètes des adhérents étaient Dieu, Patrie et Liberté, qui deviendra la devise de la République Dominicaine. (...) Nous ignorons le mot de passe de la société secrète jérémienne composée, entre autres, des FF:. Honoré Féry, Antoine Laforest, François Elie Dubois, Sémexant Rouzier, Blanchet, Lhérisson, etc. Nous ignorons si Margon, Vice-Président de la société était franc-maçon. Nous croyons fort possible

que Cadet Fouchard et Philibert Laraque furent membres de l'Institution 29. Il faut aussi intégrer dans l'analyse de la conjoncture de la « crise de 1869 » ce qu'on pourrait appeler le « paramètre maçonnique », c'est-à- dire le poids des loges maçonniques dans le jeu politique. L'arrestation

en territoire dominicain du président haïtien Sylvain Salnave (1867- 1869), reçu franc-maçon dans la loge capoise L'Haïtienne # 6 avant de devenir Président du Souverain Chapitre de Royale Arche Les Philadel- phes # 7, aurait des causes beaucoup plus complexes. Le général domi- nicain José Maria Cabral, franc-maçon, décide d'arrêter Salnave dont la tête est mise à prix en Haïti. Le président déchu est remis aux autorités haïtiennes dont les figures de proue sont alors les francs- maçons Nissage Saget, Michel Domingue, Nord Alexis, Pierre Mom- plaisir Pierre, Paulémon Lorquet, Boisrond-Canal, etc. C'est ce dernier qui commanda le peloton d'exécution le 15 janvier 1870. En réaction, le général dominicain Gregorio Luperon (1839-1897), franc-maçon, déplora la réaction du général Cabral et lui adressa une protestation datée du 2 mars 1870 de laquelle nous extrayons ces termes : Une religion politique à laquelle je n'ai jamais renié, me place depuis longtemps en opposition à toutes les trahisons. Homme essentiellement national, j'ai combattu M. Baez dès sa réapparition sur la scène politique de mon pays, et je continuerai à le combattre tout autant que mon souffle me le permet. Comme conséquence de ce but, j'ai dû être et j'ai été en lutte ouverte contre le gouvernement de M. Sylvain Salnave, qui était l'appui le plus puissant du traitre qui aujourd'hui dirige les destinées du peuple dominicain. Ami par intérêt et par principes de la révolution qui a renversé le tyran d'Haïti, aujourd'hui, je ne peux moins d'être également ami loyal et conséquent du gouvernement qui représente cette même révolution actuellement

terminée. Cependant, au milieu de ce triomphe splendide, et très utile à ma cause, au milieu de cette régénération si favorable aux intérêts et aux croyances du Parti National Dominicain, se dresse un fait qui souillerait mon honneur et celui de mes concitoyens, si une protestation énergique et catégorique ne s'élèverait pas contre lui (sic) 30. Pour mieux saisir l'esprit de cette protestation, il faut considérer que les faits reprochés à Cabral ne peuvent être considérés comme un acte de trahison que dans la seule mesure où Luperon, figure du natio- nalisme dominicain, laisse primer le principe de la solidarité maçonnique dans son raisonnement. On peut formuler l'hypothèse, en raison du fait que les principaux collaborateurs des présidents appartiennent souvent aux loges qu'ils fréquentent, que celles-ci ont abrité des réseaux d'acteurs luttant pour le contrôle du politique. Prenons le cas du conflit opposant le parti libéral au parti national durant les années 1880. D'après

Jean Price-Mars, le général Jean-Pierre Boyer Bazelais (1833- 1883) appartient à une famille doublement historique. «Il était le petit fils de Louis Laurent Bazelais, le Chef d'État Major de Jean Jacques Dessalines (...) et également le petit-fils de Jean Pierre Boyer, le Président de la République qui succéda à Pétion » 3%. Il est le fils d'Azéma Boyer (fille du président Boyer) 32 et du sénateur Charles Bazelais, Grand Maître de l'Ordre 33. Ce dernier fut aide de camp du président Fabre Nicolas Gefirard (1859-1867) qui renversa l'Empire de Faustin 1°* (1849-1859) 34. L'annuaire de la loge

du Mont-Liban # 22, pour l'année 1857, comporte le nom de « S. G. Ms Louis-Étienne-Félicité de Salomon jeune, duc de St.-Louis du Faustin Ir 36. Charles Bazelais (1794-1866) et Lysius Salomon (1815-1888 se sont donc probablement croisés dans cette loge, regrou- pant des politiciens influents, où ils ont pu développer leurs propres réseaux de sympathisants. Pourtant, le président Lysius Salomon et Jean-Pierre Boyer Bazelais 37, chef de file du parti libéral, s'affron- teront dans l'une des guerres civiles les plus violentes du xix° siècle

en Haïti (1883). Les tensions entre francs-maçons haïtiens, à caractère politique, ne s'arrêtent pas là. Après la chute du président Salomon (1888), les conflits se multiplièrent entre les loges les plus influentes. Il faut étudier davantage cet aspect de l'histoire de la franc-maçonnerie haïtienne pour peser le poids du régionalisme et du charisme de généraux présidentiables sur la vie interne des loges. Ces aspects sont perceptibles dans une note publiée en 1889, dans La Fraternité, sur la « révolution de 1888». Rédigé par Fénelon Duplessis, Grand Maître de l'ordre maçonnique d'Haïti et adressé aux 35 respectables loges symboliques et 65 souverains chapitres supérieurs de son obédience, ce document souligne clairement que cette révolution est « une reven- dication politique et maçonnique » 38. Duplessis revient sur les crises

internes à la franc-maçonnerie qu'il impute au président Salomon. Il fait aussi l'éloge du général franc-maçon Séide Thélémaque, une grande figure de l'insurrection, qui mobilisa les forces du nord du pays contre Salomon 39. Mais c'est un autre franc-maçon qui succède au président Salomon : le général François-Denis Légitime. Nous retrouvons son nom dans l'annuaire de la loge Les Cœurs-Unis # 24 40. Ancien ministre, puis sénateur de la république, Légitime incarne à l'époque l'intelligence au pouvoir. Mais son mandat présidentiel est perturbé par des conflits répétés avec l'opposition. C'est ainsi qu'un particulier anonyme adresse au journal maçonnique français, dans une lettre en date du 31 septembre 1889, le rapport suivant : Un Fr :. et un Confrère qui me fut, dès les premières relations Maçonni- ques, des plus sympathiques et qui m'inspira une sincère estime, vient d'échapper au plus grand des périls et d'être rendu à la liberté. C'est le Fr :.S. Audain, Directeur du journal le Peuple, de Port-au-Prince (Haiti). Traîné en prison et mis aux fers sous le Président Légitime, le 28 Mai, et son journal suspendu, il devait être exécuté le 7 Août, lorsqu'il fut sauvé par une imposante manifestation populaire. Mais il eût infailliblement péri sans la chute du Président Légitime, amené par la répulsion que Légitime inspirait à la majorité des Haïtiens et la victoire du général, Président intérimaire,Hyppolite (sic) 47. Ces éléments laissent supposer que les hautes instances de la franc- maçonnerie haïtienne n'ont pas toujours la capacité ou la volonté d'assurer la médiation lors des conflits politiques mettant aux prises des « fils de la veuve ». Leur neutralité et leur passivité seraient-elles, durant ces moments difficiles, la garantie de la pérennisation de l'institution maçonnique ? Des recherches complémentaires méritent d'approfondir cette question.

Une présence protestante dans la franc-maçonnerie ? Au xIx' siècle, se faire initier dans une loge maçonnique était une affaire de prestige qui facilitait le contact avec les plus importants personnages des sphères politique, sociale et commerciale du pays. La franc-maçonnerie doit être considérée, dans l'histoire de cette période, comme un puissant acteur dans le jeu politique en Haïti. Disposant de plusieurs organes de presse, particulièrement L'Œil et La Fraternité qui soutiennent souvent les positions du pouvoir politique, ses influences sur l'opinion publique restent toutefois limitées à cause du nombre élevé d'analphabètes en Haïti à l'époque. Cette franc-maçonnerie est un lieu de distinction sociale où se croisent des membres des élites sans distinction de couleur et de religion

 

 

Si, aujourd'hui, certaines missions protestantes indigènes d'Haïti rejettent l'idée d'une compatibilité entre le protestantisme et la franc-maçonnerie, il semble qu'au cours du xIxe siècle et jusqu'aux années 1940, plusieurs leaders protestants se soient affichés comme des « fils de la veuve ». C'est le cas, par exemple, du poète et homme d'État Etzer Vilaire (1872-1951), secrétaire de la loge Réunion des Cœurs, bien connu comme l'une des principales figures du méthodisme du pays.

On retrouve, dans l'annuaire maçonnique de la Respectable Loge L'Étoile d'Haïti, le nom de l'épiscopalien James-Augustin-Théodore Holly (1829-1911), consul général du Libéria près de la République d'Haïti et grand représentant de la Grande Loge Nationale des États-Unis de l'Amérique du Nord près le Grand-Orient d'Haïti 45. Dans l'annuaire de 1890 de cette même loge figure également le nom de Lusimon Hayson, directeur de l'école wesleyenne des Gonaïves.

En Haïti, la franc-maçonnerie a attiré maints intellectuels et politiciens protestants désireux d'intégrer les réseaux de sociabilité et de pouvoir. Mais il ne fait aucun doute que les loges sont constituées majoritairement de catholiques. Il est difficile de déceler, à cause de l'indisponibilité des minutes des réunions maçonniques, un quelconque conflit inter-religieux dans le fonctionnement des loges. Toutefois, au cours de la seconde moitié du xIx° siècle, des protestants francs-maçons alimentent des polémiques avec le clergé catholique et réclament l'indigénisation de l'épiscopat et sa neutralité politique. Dans un livre publié en 1886, le diplomate britannique Spenser Saint-John estime que le protestantisme haïtien n'est pas assez puissant pour contrecarrer l'hégémonie catholique. Ce protestant franc-maçon confie avoir « émis l'opinion que le clergé protestant aurait dû s'entendre avec les loges des francs-maçons et accepter de se charger de toutes les cérémonies funèbres qu'on lui aurait demandées. Sa popularité et son influence y eussent beaucoup gagné : je crains que mes avis n'aient paru trop profanes ».

Pourtant, Spenser Saint-John rapporte que lors des funérailles d'un franc-maçon, le président Michel Domingue (1874-1876) décide de participer à une importante procession maçonnique devant s'achever à la cathédrale de Port-au-Prince. Contre toute attente, le défilé est contrarié par un messager du vicaire qui tenait à annoncer que « le service ne se ferait pas tant que l'on n'aurait pas renoncé à la procession maçonnique. Le président devint furieux, et, comme il était extrêmement violent, il allait donner ordre à un bataillon de vaincre cette opposition » , mais un conseiller lui rappela que « les protestants ne sont pas opposés à la franc-maçonnerie » . C'est ainsi que la procession maçonnique fut réorientée vers la « cathédrale protestante » dirigée par l'évêque épiscopalien James-Augustin-Théodore Holly. « Presque toute l'assistance était catholique; c'était probablement la première fois que le président, avec ses aides de camp et ses ministres, et toute leur suite, se trouvaient réunis dans un temple protestant »

Au plus fort des tensions entre la franc-maçonnerie haïtienne et le clergé concordataire, composé essentiellement de Bretons, les écrits de Louis-Joseph Janvier ont eu une réception favorable dans les milieux anticléricaux et maçonniques so. Ce protestant, connu pour son dévouement patriotique et ses qualités intellectuelles, propose la « pro-testantisation » du pays pour finir avec les conséquences du concordat du 28 mars 1860 sr. L'interprétation de ce traité, aux yeux de ses détracteurs, est la source des conflits entre le temporel et le spirituel.

De plus, il constitue une base légale qui favorise le catholicisme au détriment des courants religieux concurrents.

La position politique de Louis-Joseph Janvier rejoint-elle les aspirations des cultes réformés qui, à cette époque, ne regroupent qu'une infime minorité de la population haïtienne ? Il nous parait plutôt la formulation d'un idéal politique porté par une minorité protestante en quête de visibilité et de reconnaissance au sein d'une franc-maçonnerie à dominante catholique. En fait, l'option de la « protestantisation » indique clairement une voie alternative aux décideurs politiques anticléricaux et nationalistes qui hésitent à laïciser l'espace public .



 Des idéologies politiques au sein de la communauté maçonnique ?

Ces considérations nous portent à nous interroger sur la circulation de possibles idéologies politiques qui auraient alimenté la franc-maçonnerie haïtienne. Cette dernière porte, en effet, la marque d'un ensemble de courants d'idées et de positionnements politiques qui ont traversé, selon des contextes historiques bien précis, les élites intellectuelles et gouvernantes du pays.

Dans le contexte de la quête de reconnaissance de la souveraineté nationale, les discours politiques tendent particulièrement à combattre l'esclavage et à défaire les théories racistes. D'ailleurs, tout au cours du xixe siècle, l'État haïtien s'évertue à faire valoir sa position anti-esclavagiste tandis que de nombreux intellectuels du pays développent et défendent des thèses anti-racistes dans des sociétés savantes françaises. En 1832, preuve que les élites haïtiennes réprouvent l'idée même de l'esclavage, le Grand Orient se fixe ainsi sur une affaire concernant l'esclavage. Voici le contenu de l'acte d'accusation reproduit dans le journal officiel de l'Etat haïtien:

Le Grand-Orient des anciens, francs et acceptés Maçons d'Haïti, somme le nommé Louis Glandon, demeurant à l'ile Sainte Lucie, membre de la Respectable Loge, No. II, séante à l'O :. de S.to-Domingo, de comparaître à la grande chambre symbolique, dans sa tenue du 29 janvier 1833, pour répondre à l'accusation portée contre lui, pour le fait d'avoir replongé dans l'esclavage, neuf infortunés, qui, s'étant échappés de Puerto-Rico, se dirigeaient à Haïti, et ont été pris en mer et remis à leur ancien maître par ledit Glandon; et faute par ce maçon de se soumettre à la présente sommation, il sera jugé par contumace conformément aux statuts généraux de l'ordre.

0 :. du Port-au-Prince, 29 juillet 1832.

Par décision de la G :. Cham : Symbolique,

C. Ardouin, Adj :. au Gd :. Sec :, 53

Dès la présidence de Jean-Pierre Boyer, la franc-maçonnerie se destine clairement à influencer le pouvoir politique. Elle ne se contente pas de recruter des autorités publiques. Bien plus tard, à partir de la présidence de Sylvain Salnave (1867-1869), elle devient aussi le fer de lance de l'anticléricalisme face au clergé concordataire dans le cadre d'un conflit qui devait durer plus de 30 ans (1867-1905) 54. D'ailleurs, la francophilie d'une frange importante des élites intellectuelles a certainement influencé leurs discours. Les francs-maçons haïtiens sont au courant des luttes menées en France pour laïciser la vie sociale etNationalistes, la plupart d'entre eux s'insurgent contre ce qu'ils perçoivent comme une volonté de l'épiscopat de ne pas indigé- niser le clergé catholique. D'autres, en revanche, s'attaquent aux manœuvres politiques des prêtres étrangers susceptibles d'influencer la gestion dela res publica. C'est ainsi qu'en 1883, s'adressant à l'archevêque de Port-au-Prince, le journal pro-maçonnique L'Œil publie un

article dans lequel on lit : La monarchie de droit divin n'avait-elle pas été sinistre et infâme avec l'inquisition, avec les oubliettes de la féodalité, les in pace du Clergé et les lettres de cachet ? Y a-t-il eu jamais rien d'aussi infâme, d'aussi anti-social, d'aussi anti-religieux que la conduite de rois faux-monnayeurs, incestueux et adultères, excommuniés et fauteurs de schismes et d'hérésies, faisant souffleter les papes, volant les trésors des églises et corrompant la foi et les mœurs publiques ? (...) Et parce que Haiti s'émancipant d'un affreux esclavage, a imité l'exemple de la France, vous Mr., vous appelez ses lois et ses institutions illégitimes, en opposition à l'esprit de la Législation haïtienne et inapplicables en Haiti : Nos pères ont été donc, selon vous, des imbéciles qui se sont fait des lois contraires à leurs vrais intérêts ? Et tous les Gouvernements qui, après eux, les ont défendues, ne sont pas plus intelligents ? Mais quel est, quel doit être l'esprit de la Législation haïtienne ? N'est-ce pas l'esprit de ces mêmes principes qui inspiraient les constituants français de 1791 ! Comme la France, Haïti, au jour où elle se créait des lois et des institutions ne sortait- elle pas, par un héroïque effort, des fers de l'esclavage physique et moral,

sous le fouet du maître et sous l'enseignement du prêtre, son complice ? N'avait-elle pas, comme la France, à inaugurer un nouvel avenir (sic) ? On sent aussi l'influence maçonnique française sur la plume de Louis-Joseph Janvier. En effet, en France, la condamnation officielle de la franc-maçonnerie par le Vatican donne lieu à l'intensification d'actions anticléricales qui touchent notamment le domaine politique. L'ultramontanisme est critiqué par les intellectuels et politiciens républicains qui remettent en question la légitimité du concordat de 1801. Par ailleurs, les protestants libres penseurs s6 et les francs-maçons s7 jouent un rôle important dans la lutte pour l'institutionnalisation de la laïcité. Le docteur Janvier, qui a vécu l'essentiel des années 1880 en

France, écrit en 1883 : Il nous faut, en Haiti, vis-a-vis du catholicisme ultramontain qui monte et envahit tout, il nous faut un large courant de protestantisme qui puisse battre en brèche cette religion caduque ailleurs et qui croule définitivement en Belgique et en Italie à mesure que la lumière se répand dans ces pays européens. Il nous faut, au lieu d'un catholicisme qui tend au catholicisme épuré que j'appellerai l'haitianisme, une espèce de religion où, à l'imitation.

LA FRANC-MAÇONNERIE EN HAÏTI

l'ancien gallicanisme, le clergé soit entièrement dans la main du gouverne- ment temporel, même au point de vue des doctrines; il faut que les dogmes enseignés et pratiqués ne soient pas en désaccord avec cette donnée, à savoir que : l'Etat haitien est tout, l'Église n'est rien que par l'État auquel elle doit obéissance absolue. Sans quoi, virilement et dès à présent, on pourrait s'arrêter à l'idée de séparer l'Eglise de l'État, d'empêcher aux enfants des écoles d'aller au catéchisme, d'interdire les processions, de défendre toute réunion de congrégations, quelles qu'elles soient, de supprimer le Budget des cultes ; et, sans s'arrêter à si peu, pour ne pas laisser les choses retourner à l'état où elles étaient avant la signature du Concordat, on pourrait demander des pasteurs protestants à l'Angleterre, à la France et aux Etats-Unis, tenter la Réformation en grand de la République haïtienne, ensemencer les cerveaux de croyances saines, vigoureuses, viriles, abolir toutes les fêtes ecclésiastiques et faire en sorte qu'Haïti soit sinon un pays absolument protestant, mais, à tout le moins, un pays où l'antagonisme des chapelles et des églises soit tel que, dans vingt ans, le rôle temporel soit prépondérant en tout partout et sur tout. S'il n'en était point ainsi, avant un demi-siècle et malgré la libre-pensée qui subsiste encore en Haiti grâce aux sociétés maçonniques, les gouvernants haïtiens seront complètement à la merci des prêtres étrangers et il n'y aura aucun gouvernement haïtien, aucun gouvernement national possible s8. Le courant anticlérical qui traverse la franc-maçonnerie connait le déclin quand l'Eglise catholique entreprend de lancer sa première campagne antisuperstitieuse (1896-1900). Par cette initiative, le clergé concordataire entend freiner les progrès du protestantisme et éradiquer le vodou dans les milieux populaires. Il enterre désormais son discours antimaçonnique même si, en réalité, il n'y a aucun rapprochement réel entre l'Eglise catholique et la franc-maçonnerie. Par ailleurs, si un semblant d'unité se construit entre les loges maçonniques au moment de défendre le tablier contre l'intransigeance de la soutane, la fin du xIx° siècle marque ainsi un déficit idéologique dans une franc-maçonnerie haïtienne occupée, dès 1905, à gérer des crises intestines.

 

Conclusion

 Il est évident qu'on ne peut appréhender la franc-maçonnerie

haïtienne comme un monolithe, c'est-à-dire un mouvement où les

Conclusion Il est évident qu'on ne peut appréhender la franc-maçonnerie

haïtienne comme un monolithe, c'est-à-dire un mouvement où les

adhérents et les loges se rejoignent dans leurs intérêts politiques. Sur ce point, nous avons établi que des conflits entre des réseaux de francs- maçons ont eu des répercussions politiques sur la destinée du pays. La franc-maçonnerie a joué un rôle majeur dans plusieurs crises politiques en Haïti au xIX° siècle. En effet, les loges peuvent être considérées comme des cellules associatives où se regroupent, en fonction de leur sensibilité idéologique, des acteurs de l'administration publique, de la société civile et du monde commercial susceptibles d'influencer le jeu politique. De ce fait, dans un contexte marqué par le timide développe- ment de partis politiques, les loges n'ont pas toutes le même poids dans

les conflits de pouvoir. Mais la franc-maçonnerie haïtienne a été aussi le principal vecteur d'une conception de la laïcité forgée à l'occasion des polémiques avec un clergé concordataire composé essentiellement de Français. Elle réclamait, de manière précise et avec l'appui ouvert de certains leaders protestants, un désengagement de ces prêtres étrangers à l'égard des affaires politiques du pays. En définitive, des investigations plus poussées doivent être menées pour mieux comprendre les rapports entre la franc-maçonnerie haï- tienne et le domaine du politique au regard des pratiques régionales du XIX* siècle so. De même, quand on sait que les élites nationales étaient majoritairement francophiles, il convient aussi de développer des étu- des approfondies pour mieux saisir les modalités de circulation et d'adaptation des idéaux importées de la franc-maçonnerie française dans les loges haïtiennes.

 

Conclusion

En 1881, le concordat est dénoncé par des parlementaires proches de la franc-maçonnerie Rappelons qu’en 1870, à l’avènement de la présidence de…. Néanmoins, comme le fait remarquer le secrétaire d’État aux cultes, lors d’une séance du Sénat (23 septembre 1890) :

 

« Pour une raison ou pour une autre, la dénonciation faite en 1881 n’a pas eu de suite, car l’opinion publique, mue par des sentiments opposés à ceux qui avaient donné lieu à cette dénonciation, ne l’avait pas sanctionnée, et le peuple avait senti l’impérieux besoin de continuer à jouir des bienfaits résultant du Concordat » .

Cette appréciation suggère que les tensions entre le clergé catholique, les dirigeants politiques et les francs-maçons ont probablement laissé la population dans une certaine indifférence. Les idées républicaines françaises, transposées dans la réalité haïtienne, pouvaient-elles être comprises et digérées par une population retenue à l’écart de la politique par un système militariste ?

Le clergé concordataire avait-il raison de craindre autant la franc-maçonnerie haïtienne ? À notre avis, il a jugé cette dernière sans tenir compte de ses spécificités propres ]Cette franc-maçonnerie, au moment de la signature du concordat,…. Plus clairvoyant, Victor Schoelcher dénonce, en des termes ironiques, l’orientation de la franc-maçonnerie haïtienne :

 

« Il n’est pas de petite ville qui ne possède sa loge. Les curés se font recevoir maçons, tout le monde est maçon ; mais la franc-maçonnerie haïtienne n’est point une association qui veuille travailler au bonheur commun, c’est une réunion d’hommes qui s’amusent à des simagrées bonnes pour les enfants, ou qui fraternisent dans de joyeux festins » .

De même, l’écrivain protestant Spenser Saint-John , diplomate britannique, se plaît à rappeler que :

 

« Tous ceux qui connaissent la franc-maçonnerie savent qu’elle ne cherche qu’à favoriser les associations amicales, dans un but d’aide mutuelle et de charité. L’exercice de ses anciens rites, mystérieux il est vrai, mais innocents et même puérils, n’était pas digne de lui attirer l’inimitié d’un clergé sérieux. Les Haïtiens sont fort attachés à cette institution, à cause de la pompe qu’elle déploie dans les funérailles » .

Au début du vingtième siècle, l’œuvre missionnaire des prêtres bretons aborde sa quatrième décennie. Grâce à ses écoles congréganistes, elle a instruit des centaines d’élèves, pénétrés des doctrines catholiques, qui intègrent progressivement la scène politique et intellectuelle. Ce détail peut expliquer, en partie, l’essoufflement du mouvement anticlérical en Haïti à la fin du xixe siècle. La priorité de l’Église catholique n’est plus de combattre la franc-maçonnerie, mais de maîtriser la progression numérique des cultes réformés et de déraciner le vodou. Aussi décide-t-elle de lancer sa première campagne antisuperstitieuse (1896- 1900). Pour prouver au monde entier qu’Haïti n’est pas une terre de « superstition », mais plutôt de « civilisation », d’importantes personnalités intellectuelles et maçonniques prendront part à cette initiative. Au détriment d’une franc-maçonnerie affaiblie, l’Église catholique a réussi à faire valoir sa conception de la « civilisation » en imposant ses propres valeurs dans l’espace public. C’est ainsi que, dans une instruction pastorale de 1899, Mgr Kersuzan déclarait à ses fidèles :

 

« C’est l’Église qui a civilisé le monde ; c’est elle aussi qui perfectionnera la civilisation d’Haïti, en la pénétrant de la morale de l’Évangile » .

 

 

 

Bien sûr je n'adhère pas à toutes ces notes ou fragments de textes. L'on peut comprendre toutes les complexités de cette île si proche de nous.
LES FRÈRES ET HAÏTI

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