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’est en cela que l’avatar ne pourra jamais être confondu avec une idole. Cette 2ème perspective préservera malgré tous les fondamentaux : elle en maintiendra les bases, se contentant de moduler leur expression. Ce recul, même dans la violence et le malheur, ne fermera pas la porte à un réveil ultérieur. La 3èmeperspective, symbolisée par la 3ème déambulation, 6+1 pas vers l’avant, relèvera de l’intégration réussie d’éléments a priori contradictoires : il procèdera de l’Unité retrouvée (Éden) comme le souligne l’instruction. Il conviendra cependant d’ajouter que c’est uniquement sur le plan didactique que l’on distingue ces 3 perspectives, car dans la réalité, l’homme est un savant mélange permanent de ces 3 mouvements, un système complexe tripartite qui interagira en permanence avec sa propre constitution et son environnement. L’intérêt, ici, de développer cette pensée perspective et de décortiquer sa dynamique sera que l’objet, en l’occurrence l’avatar, est lui-même fait de cette tripartition dont les perspectives sont un miroir. Un perspectif était d’ailleurs à la Renaissance, un miroir, dont l’image renvoyée symbolisera l’approche relativiste de l’observateur. Ainsi le relatif liera de façon irréfragable un évènement à la façon dont on le perçoit et dont on le considère. Et c’est cela qu’on appelle un avatar.
Dans l’absolu, l’avatar est omniprésent dans l’entendement humain, tout simplement parce que nous admettons le relativisme et la subjectivité de notre regard : chaque chose visible, physiquement ou intellectuellement, est admise, pour un initié, comme étant un avatar. L’avatar est le témoin progressif et l’objet évolutif de ce cheminement, car il est une forme d’émulsionnant existentiel et métaphysique, possédant à ce titre un pôle spirituel et un pôle matériel. Ainsi une civilisation philosophiquement clivante ne pourrait pas générer d’avatar, ce dernier constituant un reproche vivant pour toute société totalitaire centrée sur une seule vérité, pour le coup institutionnelle. L’avatar est l’autre nom de la liberté de conscience, car personne ne peut savoir s’il voit ou ressent un objet quelconque de la même façon que son prochain : le bleu est-il perçu suivant la même « texture » visuelle ? L’odeur du safran est-elle identique pour tout un chacun ? Ces questionnements apparemment sans objet auront le mérite de maintenir une certaine « laxité » dans notre entendement, un relativisme de bon aloi, et finalement une inévitable tolérance.
Le 1er avatar que nous rencontrons en franc-maçonnerie est l’outil, qui agit dans la symbolique constructrice des 2 1ers degrés. Au 3ème degré, cet outil deviendra une arme par destination, ce qui signifie qu’on passera d’un supplétif à un objet qui est, en quelque sorte, retourné contre soi-même. Le narratif martial du grade de Maître nous obligera à y voir une arme, portant des « coups », blessants puis létaux. Ces coups seront tout autant une « ouverture » et un champ des possibles enclenchés par le dépassement ontologique du statut de Hiram Abif, qui de héros devient victime. Si Hiram Abi est assassiné, c’est parce que l’outil, de pacifique, sera devenu contondant, de par sa séparation temporelle et spatiale. Le maillet, le niveau et la perpendiculaire ne sont encore que des outils aux 2 premiers degrés, ils « collent » à la main de l’initié qui se construit, que cette main soit factuelle ou métaphysique. Par contre la course, la vitesse et l’angle d’attaque de l’outil devenu, durant la cérémonie d’exaltation, une arme, ne seront réalisables que parce que l’outil deviendra séparé de ce sur quoi il agit, contrairement à son usage utilitariste, qui nécessite, lui, une continuité entre l’homme et son ustensile.
Cette séparation reflètera un statut dans lequel sera mesuré en permanence une distance. La distance de l’épaule ou du crâne de Hiram Abi servira alors d’élan imprimant à l’outil son caractère blessant puis létal. Si certains outils symboliques du 1er et 2ème degré deviennent au 3ème degré des armes par destination, puis au 12ème degré des instruments, ça n’est pas parce que la substance desdits objets se modifie, mais parce qu’ils ne sont qu’un avatar en prise avec un état d’esprit différent de la part de l’initié. Dit autrement, c’est l’approche et l’appréhension évolutive, dans le temps, de l’initié qui va en moduler l’usage. Ces instruments du Grand Maître Architecte deviendront alors de véritables interfaces entre un initié libéré des 3 mauvais compagnons et le milieu ambiant qu’il devient légitimement capable de parcourir, en y déambulant sans contraintes. Dans l’absolu, l’avatar sera donc une forme de relativisme qui permettra au religieux et à l’initiatique de s’exprimer au travers de sa substance. Ce relativisme n’est pas de la relativité, dont la notion est perçue négativement, mais une façon d’utiliser le prisme de la matière afin d’entreprendre le divin. D’une certaine façon, la notion de perspective permettra, je le resouligne, cet abord, car elle sera elle-même une manière bien à soi de comprendre ce relativisme, qui est tout sauf subjectif.
Ce sera la somme indéfinie de toutes les perspectives possibles qui nous aidera ensuite à nous rapprocher d’une forme de vérité « totale », inaccessible à l’esprit humain. La perspective, par sa mécanique ternaire disséquée plus haut dans ce texte, viendra mimétiquement se plaquer sur cette variété, en devenant elle-même une forme d’avatar, que ne démentiront pas ses occurrences plurielles : en géométrie, la perspective est une technique de la représentation en deux dimensions d’objets en trois dimensions, donc une façon de planifier une vision spirituelle. En architecture, c’est la vue qu'on a, à partir d'un endroit déterminé. En sociologie, c’est l’angle sous lequel on envisage quelque chose. En psychologie cognitive, c’est un ensemble d'événements, de projets ou d’évolutions qui se présente comme probable ou possible. En démographie, c’est l’évolution future d'une population. En mathématiques, ce sera la projection centrale (ou conique) d’un espace ponctuel. En urbanisme, c’est une grande voie ou promenade en ligne droite… En fait la perspective, quel que soit le domaine exploré, apparaitra comme un mécanisme ternaire lissé, conclusif, où les 3 composantes se verront résolues en une seule.
Quel que soit la vision, l’entendement ou l’abord qu’en fera l’humain, ces 3 composantes seront l’irréfragable nécessité permettant de comprendre une réalité à partir de notre faiblesse crasse et de notre incomplétude ontologique. L’avatar ne se limitera donc pas, pour nous maçons, à l’incarnation en un individu ou un animal, d’un principe divin : il ne sera pas figé, parce que notre art est initiatique, et que l’avatar décrit en fait pour nous une enveloppe, un habillage certes très réaliste, mais aussi mouvant, progressif et varié, à l’image de la mécanique symbolique, souple et adaptable. Alors, me direz-vous, si l’avatar présente une « robe » différente suivant les époques, en quoi son sens profond et son mécanisme d’imprégnation culturelle peuvent-ils être à ce point constants ? Je citerai l’exemple du Chevalier Kadosch, 30ème degré du REAA. Au décours de l’initiation au 30e degré, Le rituel nous précise : « Nous n’avons plus d’autre enseignement à vous donner […] Nous n’avons pas de mot d’ordre à vous donner […] Vous êtes désormais le soldat de l’Universel et de l’Éternel » : ce grade confère à l’initié une sorte de fondement inviolable qui va justifier cette capacité a priorid’être au sommet de l’initiation maçonnique.
Non pas parce qu’elle serait simplement l’aboutissement logique des 29 degrés précédents, mais plus surement parce qu’elle coiffe tout cet édifice. Cette action est fondamentale car, en chapeautant, l’enseignement majeur deviendra surtout ici cette capacité à adapter notre nature à l’évènement, et non le contraire. Le Chevalier Kadosch coiffera, plus qu’il ne les complètera, les 29 degrés précédents, la devise « Nec Plus Ultra » (Rien au-delà) signant clairement cet état de fait, et obligeant intrinsèquement à se plier à ce statut : c’est cela qui permet de qualifier d’avatar le Chevalier Kadosch, à savoir qu’en capelant, le grade échappe à la traditionnelle articulation avec un degré précédent, et/ou un degré suivant. Si chaque élément du rituel maçonnique est donc un avatar potentiel, le grade de Chevalier Kadosch symbolise l’avatar dans son essence. Je citerai ce qu’en dit Claude Guérillot : il voit ce grade porté par différents avatars, suivant les époques : il nous parle d’un Kadosch « originel » défini comme tel , qui semble être l’avatar fondateur ( vers 1761) , puis un avatar templier , bien représenté par le Chevalier de l’Aigle blanc et noir du Rite de Perfection ; puis un avatar philosophique du cahier de 1805 ; puis un avatar politique , porté par les rituels du 19ème et début 20ème siècle ( on le sent bien avec les titres distinctifs des aréopages de cette époque : « liberté » , etc…) ,et enfin l’avatar symbolique de notre époque contemporaine.
L’avatar sera le point de jonction, l’interface, l’intercesseur entre 2 mondes qui existent toujours : c’est pourquoi l’avatar est un habillage dynamique, consubstantiel mais séparé des 2 environnements qui en assurent, par leur distinction, la réalité. À partir du moment où cette séparation sera actée, ce sera tout l’Univers qui changera de nature : il deviendra « complet », ce qui signifie que tout ce qui s’y est passé, s’y passe et s’y passera sera susceptible d’être regardé en totalité et en temps réel, par le Chevalier Kadosch. « Son nom fut autre et le même pourtant » soulignera l’indistinction spatiale et temporelle, modalité d’un Univers perçu d’emblée dans sa totalité, dont les avatars jalonnent le tissu. L’expression du 30ème degré « Son nom fut autre, et le même pourtant » qualifiera donc parfaitement ce qu’est l’essence de l’avatar, à savoir une dichotomie ontologique liée à l’ambivalence de ce qui représente un compromis entre transcendance et immanence ; « et le même pourtant » permettra de nous projeter dans cette origine de l’avatar, qui rassemble, en les dominant, toutes les composantes de la Nature, une et indivisible, où tout est « même ».
Lorsque Guérillot parle de Kadosch philosophique, templier, sociétal, etc… Le terme de « séparé », affecté au Chevalier Kadosch sera fondamental, car il impliquera autant une distinction qu’un lien efficient entre les parties. Alors justement, l’avatar n’est pas une chose particularisée, c’est un habillage très étroit, mais néanmoins « séparé » de l’observateur et de l’essence de la chose observée. La séparation n’est pas un clivage ou une césure, qui, eux, marquent une coupure définitive, ladite séparation préservant une mémoire avec l’objet de départ. L’avatar sera alors l’incarnation de cette séparation ontologique qui représentera, au-delà de toute captation culturelle, une forme d’originalité. Cette séparation de l’observé et de l’observateur sera indispensable pour conférer le statut d’avatar, celui-ci possédant toujours une « capacité d’échappement », permettant le renouvellement, à travers les âges et les endroits, de significations dont le corpus constituera le narratif mythique, accointé aux caractéristiques contemporaines de l’initié.
Ces habillages successifs font nous rappeler que le langage symbolique, s’il nous paraît naturel pour expliciter les choses, ne fut pas en toujours en odeur de sainteté, ou même simplement accessible aux époques précédentes. Il faut en effet une certaine souplesse intellectuelle mâtinée d’une solide rationalité pour « laisser vivre le symbole », comme l’on doit « laisser vivre l’avatar », voie ouverte à l’approfondissement de notre sagacité. En fait, cette approche protée correspond à l’élargissement de possibilités mentales et spirituelles qui s’ouvrent à nos esprits. On pourrait même se demander si l’approche symbolique du Chevalier Kadosch aurait pu se développer sans ces « accessits » antérieurs que furent les précédents avatars mis en exergue par Guérillot. On peut donc imaginer qu’une autre lecture sera possible dans les décennies futures, où, par une forme de mimétisme psychosocial, des « algorithmes initiatiques » viendraient appuyer une vision non pas supérieure des choses, mais simplement supplétive. Cette approche particulière, difficile à mettre en œuvre, dépendra d’une « mise en situation » préalable, telle que nous le décrit cette phrase de l’instruction, dès le 5ème degré du REAA, Maître Parfait, qui situe l’initié entre « la volonté de Dieu et l’action donnée au premier corps mouvant ».
C’est l’action imprimée de Dieu à ce corps mouvant qui objectivera sa consistance d’avatar. Le caractère intercessif de l’avatar sera lié à une prise en compte holistique de l’initié maçon, qui verra en lui, comme chez l’alchimiste, l’idée que nous pouvons être, suivant le moment, sujet ou objet. Auquel cas l’avatar, plus qu’un simple réceptacle, deviendra un propitiateur entre 2 états possibles. Cette dynamique intellectuelle pourra nous aider à progresser, même si le sable sur lequel elle a été bâtie est condamné à une mort certaine. Cela me fait penser à ces philosophies asiatiques où l’initié construit, en y mettant toute son âme, une œuvre aussi sublime qu’éphémère, la détruisant aussitôt pour n’en conserver qu’un souvenir indélébile, devenant pour le coup fondateur, car définitivement présent dans son esprit. Le relativisme deviendra ici très concret, faisant d’un biais très humain une force enkystée dans son esprit, ou bien « une corde tendue au-dessus de l’abime ».
Cet aphorisme nietzschéen colle bien à l’esprit de l’avatar, conjonction de cette corde que représente toute tentative de l’humain à comprendre les choses, et donc finalement à s’en émanciper, et l’abime, qu’on ne doit pas percevoir péjorativement comme un vide ou un gouffre, mais comme cet incognoscible qui nous met sur une voie sans préjuger du trajet (« Je ne sais ni lire, ni écrire, je ne sais qu’épeler… »).
Thierry Didier
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