PRIVATION
Mon ami, mon frère je ne peux plus voir ton visage, je suis privé de toi, d’une partie de toi.
Je songe au temps où nous étions libres, le temps où le son des maillets résonnait régulièrement dans nos cœurs. Assis au midi je ne sens pas la chaleur de ton visage trop froid, trop terne. Quand je scrutais ton visage, je voyais des contours de vie, des images de ta vie secrète, un simple battement de cil, le sourire d’une ride, l’émotion.
Aujourd’hui nous avançons masqués solitaires, repliés, désincarnés.
Je songe à toutes les femmes dont on enferme les visages, elles sont paraît-il des prisonnières consentantes ? Je ne sais pas, je ne vois pas leurs sourires.
Il nous reste le regard, l’œil du cœur qui scrute, qui essaye de percer, de transpercer le masque. Le regard intense, le regard de la compassion.
Je songe aux aveugles privés des visages, il leur reste la voix pour traduire les émotions. Avez-vous remarqué comme on écoute mieux, plus intensément les yeux clos, l’on voit presque mieux, plus grand. Un poète aveugle a dit :
« De ma vie je n’ai jamais connu plus beau visage que sa voix. »
La voix est donc aussi un visage. Les intonations de la voix, sont comme des sourires ou des pleurs.
Avez-vous aussi remarqué l’intensité du silence, qui précède la prise de parole. Le silence qui se fait dans la loge quand la vénérable ou le vénérable dit vous avez la parole ma sœur ou mon frère. Le silence ressemble à une infinie précaution, pour accueillir la parole unique, intime, personnelle, vraie celle qui vient de l’intérieur. Elle se termine par j’ai dit, elle respecte, elle ne s’impose pas. Elle est le reflet de notre être, elle est la parole donnée, offerte, sans masque.
Jean-François Guerry.
Pour compléter cette réflexion, une note d’espérance de Stéphane Barsacq extrait de son livre Météores Éditions Corlevour.
MASQUE
« L’empereur voulant marier sa fille à un homme vertueux, envoya chercher un jeune homme portant la sainteté inscrite sur son visage. L’homme choisi fit honneur à son image et rendit la fille de l’empereur heureuse durant toute sa vie. Le jour de sa mort, quelqu’un découvrit sur sa tempe le bord d’un très fin masque doré qui lui recouvrait le visage. Les mandarins s’indignèrent contre l’imposteur. Mais, quand ils lui ôtèrent la preuve de sa supercherie, ils constatèrent que le visage de l’homme était identique à son masque. »