Jean-François Guerry.
Insultes, invectives, empoignades à l'Assemblée Nationale. Étiquette Journal La Nouvelle République.
Où sont donc passées les clés de la République ?
Serions-nous dans un vaudeville à la Feydeau ? Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale annoncée le 9 juin dernier, la scène politique française s’apparente à L’Hôtel du Libre-Échange : les portes claquent, les noms d’oiseaux fusent, les mensonges font florès. On gesticule dans tous les sens et on crie à la trahison. Les projecteurs s’affolent : chacun veut être sous les feux de la rampe. "Le pouvoir, c’est moi !" hurle un homme en grimpant sur une chaise. "Non, c’est moi", rétorque un autre depuis les coulisses. "Non, non, c’est moi", assure un troisième caché dans un placard. Une femme jaillit d’une boîte à ressort et s’époumone : "Ah ! Non, c’est moi, moi, moi." Les poings se lèvent, les torchons volent, les vases s’écrasent en mille morceaux : c’est à celui ou celle qui fera le plus de dégâts et le plus de bruit. Au milieu du chaos s’élève une voix : "Où sont donc passées les clés de la République ?" Les empoignades cessent. Personne ne sait. On se toise, on se soupçonne et les accusations reprennent de plus belle : "Voleurs, canailles, scélérats." Du grand-guignol !
Les arlequins et les polichinelles ne sont pas l’apanage de la France. Souvenez-vous d’un Boris Johnson aussi imprévisible et échevelé que sa mèche. Monsieur Brexit fut au cœur de plusieurs scandales … Mais si les tempêtes n’épargnent pas l’Angleterre, l’île britannique a Shakespeare (cf. La Tempête) : un Prospero apparaît toujours pour rétablir l’harmonie et la concorde en plaçant les hommes devant leurs responsabilités. La sagesse reprend alors ses droits et les folles passions disparaissent. Il faut, en France, trouver notre Prospero.
A Paris l’Assemblée est là, sans majorité. Les extrêmes sont présents et entendent bien le faire savoir. Si le système démocratique nous protège des décisions insensées et désolantes, il n’arrête pas ce lent poison populiste qui se diffuse et envenime les esprits. Quelque chose s’est abîmé depuis les dernières élections. Le collègue, le voisin, l’ami d’hier est suspecté d’avoir "mal" voté. On s’observe avec méfiance, on évite les échanges sur la politique, sujet tabou. Au temps du soupçon évoqué par Raymond Aron, s’ajoute te temps du mépris. La décence et la retenue ont fait place à la violence physique et verbale.
Rien ne semble pouvoir s’opérer chez nous dans la sérénité et le dialogue. Tout n’est qu’affrontement et rupture, confrontation et éclat : on se plaint, on dénonce, on affirme. Le Français grogne par nature, il n’est pas content. Est-ce le pouvoir excessivement vertical qui provoque de telles attitudes ? La culture révolutionnaire irrigue-t-elle à ce point notre pays ?
"Une véritable histoire de France devrait raconter la destinée de la nation française ; son héros serait la nation tout entière" écrivait Augustin Thierry. Raconter la destinée de la nation française au début du 21ème siècle, c’est évaluer son rang, la resituer dans son expérience, évoquer enfin les valeurs qu'elle incarne. La France de 1900 vivait à l’heure de la Belle Époque, sous le double signe de la puissance et de la stabilité. La France de 2025 partage le statut de grande puissance déclassée avec l’Allemagne ou le Royaume-Uni. Elle superpose aux traits communs à une Europe qui décroche une crise nationale qui lui est propre, sans parvenir pour l’heure à se libérer de la spirale déclinante des "Trente Piteuses" : une mondialisation qui clôt le cycle de domination sans partage de l’Occident sur l’économie, la liberté politique et la modernité.
Par bien des aspects de cette nouvelle donne, la France a choisi de se retrancher derrière une pseudo-exception pour refuser le monde du 21ème siècle. D’où le divorce français d’avec la modernité en quatre actes : 1981 et le refus de la sortie de l’ère keynésienne ; 1989 et l’opposition vaine à la nouvelle donne européenne et mondiale issue de l’effondrement du soviétisme ; 2001 et l’ignorance volontaire devant le retour au premier plan de la violence inspirée par la religion ; 2005 et le dos tourné à l’intégration européenne lors du référendum sur le projet de Constitution. D’où le paradoxe d’une nation qui se déchire et stérilise son énergie pour maintenir les concepts et les structures du passé au lieu de s’adapter au monde moderne. Avec à la clé une crise multiforme qui touche : le système politique placé sous la menace permanente des extrémistes et des populistes ; les institutions, peu libérales et faiblement démocratiques ; l’économie happée par une décroissance endogène (croissance, richesse par habitant, gain de pouvoir d’achat et de productivité, chômage et déficit du commerce extérieur qui atteint 56 milliards d’euros en 2023 contre 218 milliards d’excédents pour l’Allemagne). Crise qui touche aussi la nation, minée par l’implosion du modèle social et l’influence diplomatique du pays.
De cette histoire singulière est née une schizophrénie permanente qui fait de la France une nation brillante et dangereuse, écartelée entre des identités contradictoires qui rendent très difficiles la conduite du changement et son gouvernement en temps de crise ; comme l’illustre la lente et interminable descente en vrille du post-gaullisme.
La France a-t-elle définitivement manqué son rendez-vous avec le 21ème siècle ? Pas forcément. La France dispose d’atouts majeurs : une démographie encore dynamique (1,68 enfants par femme en 2023 contre 1,5 pour l’Union européenne), des talents et des cerveaux, une main d’œuvre productive, du capital (taux d’épargne de ménage 17% du revenu disponible), des pôles d’excellence isolés mais présents dans tous les secteurs d’activité, des infrastructures exceptionnelles, un climat, un patrimoine et un art de vivre.
A quelques jours de son suicide, Stefan Zweig achevait ainsi ses Souvenirs d’un Européen : "Mais toute ombre, en dernier lieu, est aussi fille de la lumière, et seul celui qui a connu la clarté et les ténèbres, la guerre et la paix, la grandeur et la décadence, a vraiment vécu." À cette aune, la France a assurément beaucoup et vraiment vécu. Elle n’est certes pas éternelle : aucune nation ne peut y prétendre. Mais elle peut se réformer pour faire vivre les idéaux qu’elle incarne. Rien ne lui est dû, ne lui est acquis ou ne lui sera donné, au moment où les peuples et les superpuissances du Sud reprennent leur place au premier rang du monde. Mais elle dispose de la capacité à parler à tous les hommes, voire pour tous les hommes, si (et seulement si) elle parvient à entrer enfin dans le 21ème siècle. La France se présente ainsi de nos jours comme une idée à réinventer, sous la forme d’une nation à moderniser.
Yann.
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