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l y a plusieurs façons d’établir une transcendance par rapport à un récit : c’est ou bien « détourner » des principes liés au tangible, à savoir, naissance, mort ou généalogie inconnue quant à la nature de l’entité elle-même ; ou bien que cette entité exerce une action dont le périmètre l’éloigne d’une forme de rationalité. Á cet égard, d’autres personnages de la Bible seront susceptibles d’exercer une action qui ira à l’encontre de la flèche du temps, par exemple le combat avec un être putatif pour Jacob : (Gn 32, 27) :"laisse-moi aller, car déjà l’aurore se lève."[Jacob] répondit : "Je ne te laisserai pas sans que tu m’aies béni. » La scène se passe « en pleine nuit », dans un temps relatif sans point de référence claire. Je citerai aussi l’exemple parlant de Josué 10,12-13 : « Alors Josué parla à l'Eternel, le jour où l'Eternel livra les Amoréens aux enfants d'Israël, et il dit en présence d’Israël : Soleil, arrête-toi sur Gabaon, Et toi, lune, sur la vallée d'Ajalon ! Et le soleil s'arrêta, et la lune suspendit sa course, jusqu'à ce que la nation eût tiré vengeance de ses ennemis ».
Dans cet énoncé, ce sera non la nature même de Josué qui sera transcendante, mais son action sur un temps brièvement suspendu. Dans ce cas, c’est l’arrêt, ou la négativation du spatiotemporel qui manifestera une approche du divin. Ces exemples parsèment le récit ordinaire d’incursions pour le moins transcendantes, car échappant au déroulé narratif linéaire ordinaire. Autre exemple, celui du temps sacré défini par Eliade, comme « anhistorique », tentant d’expliquer, par la négativation d’une valeur, ce qui est échappe à l’entendement humain. Ce sera aussi tout le propos de la théologie négative, qui repose sur une forme particulière de Dieu et de ses créatures, en insistant plus sur ce que Dieu n'est pas que sur ce que Dieu est. La transcendance conçue en termes de théologie négative marquera l'histoire de la philosophie juive. Ce sera également le cas des miracles produits par Jésus-Christ, que l’on peut percevoir comme une disruption entre une cause déterminée, et un effet apparemment décalé de ladite cause : un temps ou un espace se met à manquer, témoignant d’une ellipse au sein de la manifestation. Dans le mécanisme du miracle, un événement survient et est perçu dans son caractère substantiel, la Lettre, mais dont l’essence, à savoir la prononciation et donc la manifestation, échappe à l'entendement dudit témoin. C’est ce que nous invite discrètement à considérer le rituel du 13ème degré du REAA : Q.- : « Connaissez-vous la prononciation du Grand Nom ? », R.- : « C'est un nom sacré, j'en connais les lettres, mais j'en ignore la prononciation ». Le 3ème larron, Melchisédech, viendra se greffer sur cette dynamique particulière, où il est considéré soit comme sans ascendance et descendance déclarées, ce qui est la position du Canon ; soit, si l’on en croît certains écrits apocryphes, comme un neveu de Noé : Melchisédech obéit là à cette « stratégie de l’écart » , chère à la psychologue Anne Bourgain, qui nous dit « L’écart est ce pas de côté que propose la pensée quand elle ne se soumet pas à la facilité, au prêt-à-penser, et qu’elle prend le temps de faire les détours nécessaires ».
L’écart, c’est donc la marque de ce qui ne se laisse pas réduire, de ce qui demeure intraduisible et qui est donc dangereux pour le médiocre, c’est-à-dire étymologiquement celui qui reste « au milieu du passage ». Ce « danger » supposé sera la force de l’énergie que mettra en œuvre, nous le verrons plus tard, Melchisédech, afin d’objectiver la transformation d’Abram, « le père-potentialité » en Abraham, « le père de la multitude ». Cette ascendance noachite de Melchisédech le légitimera à la fois comme un personnage « décalé » par rapport à la lignée sémitique, mais aussi ancien par rapport à Abraham. Car Abraham est intimement lié, nous le verrons, à Melchisédech, et vice versa. Melchisédech va, d’une certaine façon, libérer Abram du poids écrasant de sa posture, celle d’être finalement le patriarche premier du peuple hébreu, devenant alors Abraham, le « père des Nations », fécondant Saraï en Sarah en lui donnant Isaac. La patriarchie, c’est-à-dire la gouvernance par le père précèdera ainsi dans la chronologie biblique la hiérarchie, ou gouvernance du sacré qui, elle ne peut s’appliquer que sur le peuple proprement dit, c’est-à-dire, bibliquement parlant, à partir de la « Table des nations ». Ce virage de la hiérarchie est confirmé par l’apparition de prêtres et de Grands Prêtres, qui succèderont aux rois d’Israël et de Juda, défaits respectivement par les assyriens et les babyloniens.
Même si c’est Dieu l’artisan de la transformation d’Abram en Abraham, Melchisédech peut être considéré comme en étant ici le bras armé du divin, sans qui Abram ne serait pas devenu le patriarche premier du peuple hébreu. Tout premier qu’il soit, Abram aura en effet besoin de ce « catalyseur », tel qu’apparaîtra le personnage de Melchisédech. Abram se devra d’obtenir une victoire significative sur ses adversaires avant d’être reconnu par Melchisédech. Melchisédech objectivera ensuite cette transformation par une transsubstantiation qui précédera celle de l’eucharistie du Nouveau Testament par Jésus. Je le redis, la force d’Abram est sa posture initiale de patriarche premier, potentialité écrasante susceptible d’étouffer dans l’œuf ses prérogatives de différenciation. Cette différenciation passera d’abord par l’entérinement d’une victoire martiale sur ses ennemis, puis par la reconnaissance d’une entité à la mesure de son statut, j’ai nommé Melchisédech. Ce schéma général de mise en avant d’un acteur rappelle le 15ème degré du REAA, où Zorobabel, la « semence de Babel » sera assimilable à Abram, « semence d’Abraham », comme lui un temps victorieux, sur le Starbuzanaï, de ses ennemis du moment. Ces changements de noms sont tout sauf anodins car, en nommant, la Bible crée, c’est-à-dire qu’elle « stoppe » temporairement, à la façon dont un barrage retient l’eau pour en faire un usage concret. La Bible observe le flux de la vie, ontologiquement vertical, dynamique et quelque part insaisissable, pour l’interrompre en en agrégeant toutes les forces en un point donné qui constituera, temporairement, une confluence matérialisée par le Nom. Cet agrégat, ce condensat, c’est-à-dire ce héros possèdera alors dans sa chair même à la fois tout le passé signifiant de son ascendance, mais aussi toute la spécificité née de ce qu’il sera en mesure d’exprimer dans l’espace-temps figé de sa création. En fait, les 3 entités concernées représentent, selon moi, des « portions » de l’incarnation de Dieu en Jésus-Christ.
THIERRY DIDIER.
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