Jean-François Guerry
"Un jour vient où les hommes pensent autrement que la veille. Pourquoi n'ont ils pas pensé la veille comme aujourd'hui ? C'est là un obscur et impénétrable mystère.
Rébellion des "gilets jaunes", colère des maires… la fracture territoriale qui affaiblit la France, nation plurielle, nous renvoie une fois de plus au débat sur la décentralisation. Ce débat n'est pas neuf : depuis des siècles, chaque génération le redécouvre avec passion et l'impression d'une originalité inédite pour aboutir ensuite aux mêmes impasses, à la même immobilité.
La France s'est faite par la centralisation dont l'œuvre est un long processus engagé par la monarchie dès le Moyen-Âge. Mais la nostalgie d'un âge d'or qui aurait précédé la dictature du centre n'en subsiste pas moins : il y aurait un droit naturel des collectivités territoriales à être elles-mêmes, que l'hydre de la centralisation aurait peu à peu totalement annihilé par son venin uniformisant, par sa bureaucratie paralysante.
"Marche de va-et-vient de nos révolutions… Au début invariablement une poussée vers la décentralisation … à la fin une extension vers la centralisation… En commençant, on suit la logique de ses principes, en finissant, celle de ses habitudes, de ses passions, du pouvoir. En somme, le dernier mot reste toujours à la centralisation qui, à vrai dire, se fortifie en profondeur alors même qu'on la diminue en apparence". Lumineux jugement de Tocqueville (L'Ancien régime et la Révolution, fragments et notes inédites, NRF, Gallimard, p. 343) sur les rééditions de la convulsion mentale, inutile et vaine, qui agite périodiquement l'opinion en France ainsi qu'en témoigne le petit florilège qui suit.
La Révolution vote des lois de décentralisation dès les 14 et 22 décembre 1789. L'Assemblée constituante, par volonté d'unifier l'anarchie administrative et afin de lutter contre la puissance des seigneurs, décide un découpage départemental qui démantèle les provinces et favorise l'émiettement communal. Elle refuse le projet de Sieyès et Condorcet sur les grandes municipalités. Nos débats sur l'intercommunalité trouvent déjà là leurs prémices.
Mais, malgré la légende, les Girondins n'ont pas été des décentralisateurs. Ils ont seulement voulu que leur gouvernement et l'Assemblée nationale soient protégés par une force publique issue des 83 départements parce que les Montagnards tiraient leur puissance des pressions exercées par la commune insurrectionnelle de Paris. Les Montagnards ont répliqué en les accusant d'être "fédéralistes", ce que les Girondins n'étaient pas, mais c'est la première diabolisation du concept, et elle permet de les envoyer à la guillotine avec le coup d'État du 2 juin 1793 qui déclenche en province un massacre d'élus locaux. Même l'abbé Grégoire réclame à cette occasion l'anéantissement des patois, afin que nul ne puisse échapper à la propagande de Paris. Cette peur que la province ne ressuscite l'Ancien Régime se termine par la dictature absolue et générale de Robespierre.
En 1969, le général de Gaulle propose un important projet de décentralisation qui prévoit d'inscrire la région dans la Constitution. "Ce que l'adoption du projet apportera, en notre époque qui est essentiellement économique et sociale, c'est donc, à l'échelon de la région, une emprise plus directe des Français sur les affaires qui touchent leur existence… (Allocution du 11 mars 1969). Pour lui, la décentralisation est à l'administration ce que la participation est à l'entreprise. On ne l'a pas suivi : le référendum du 27 avril 1969 refuse la réforme proposée par 52,41 % de non. Mais est-ce à cause de ce projet, ou parce qu'à 80 ans il donnait le sentiment d'avoir fait son temps ?
La dernière réforme territoriale sous le quinquennat Hollande relève encore de la décentralisation jacobine. Telles qu'elles ont été fabriquées, les 13 nouvelles grandes régions ne correspondent ni à une création historique, ni à une réalité géographique, ni même parfois à une exigence économique. On s'est cru obligé de fabriquer (c'est bien le mot qui convient) des régions abstraites, théoriques, technocratiques.
La décentralisation n'est si difficile que parce qu'elle s'en prend au cœur d'un système séculaire qui touche plus la réalité quotidienne du pouvoir que la vie immédiate des Français. Le centralisme avait vocation à permettre à la France d'être plus forte : elle est aujourd'hui plus fragile. En France, depuis toujours, tous les moyens de transports convergent vers Paris, au détriment de la province et aussi de la banlieue. Paris s'enrhume, la France entière est malade. Il suffit de paralyser Paris par quelques manifestations pour infléchir la politique de la France. Certes, la proximité géographique des différentes fonctions de la nation a permis bien des synergies. Mais aujourd'hui le risque est celui de la thrombose déjà annoncée par la circulation automobile, l'habitat inadapté, la durée des transports, les difficultés de l'intégration et, d'une manière générale, le mal de vivre que provoque la surpopulation d'espaces restreints. Pourtant, grâce aux technologies nouvelles, les distances peuvent se relativiser et les entreprises savent travailler dans un espace mondialisé.
Le principal obstacle est bien entendu la culture politique séculaire de ce pays. Le centralisme est une sorte de maladie de vieillesse des anciennes nations. Le pouvoir central a toujours profité de l'émiettement des collectivités territoriales et a su organiser l'administration entre fonction publique d'État et fonction publique territoriale à l'avantage de la première et de manière à ne pas permettre réellement le passage de l'une à l'autre. Les administrations centrales ont toujours eu beau jeu d'expliquer que les personnels des collectivités locales étaient loin d'avoir leur niveau de compétence.
La réforme de l'État, toujours réclamée et toujours repoussée, n'a de sens qu'avec la décentralisation. Mais une décentralisation engagée dans le désordre et la précipitation pour des raisons essentiellement idéologiques, ne risquerait-elle pas de devenir un handicap supplémentaire pour l'administration du pays et cela d'autant plus que, pour des raisons purement politiciennes, le pouvoir lui-même se sentira souvent obligé d'empêcher de fonctionner les mécanismes créés par lui ? Si une telle politique de la décentralisation devait se confirmer, la tentation serait en tout cas forte dans quelques années pour les citoyens d'en appeler au pouvoir central afin qu'il mette de l'ordre dans leurs affaires quotidiennes. Ainsi retrouverions-nous, lorsque la décentralisation aurait produit tous ses "effets pervers", les vertus de la centralisation si crûment mises en valeur par Voltaire :" Puisqu'il faut servir, je pense que mieux vaut le faire sous un lion... beaucoup plus fort que moi que sous deux cents rats de mon espèce" (Cité par Tocqueville. L'Ancien régime et la Révolution, Idées, Gallimard, p. 264)
Yann.
Voilà une affaire cousue de fil blanc. Dame Pénélope dont le prénom vient du grec :πηνέλοψ / oie, n’est certes pas une oie blanche, ni son époux un perdreau de l’année. La dame a de grands besoins pour être à la hauteur du standing de son époux, dernier prétendant au trône de Troie. Mais comment s’occuper quand tous vos emplois fictifs vous laissent un temps libre considérable alors que votre coquin, Prince des risettes, court les mers à la poursuite des sirènes du pouvoir ?
Il faudrait être cyclope pour parvenir à surveiller du bon œil la dame. Elle fait tapisserie, montre des airs de minaudière quand, de ses doigts crochus, elle se sert dans la poche de tout ce qui l’approche. La dame se rêve un grand destin ; elle le prépare en se brodant un voile cousu de fil d’or. C’est ainsi qu’elle s'imagine, parée de ce magnifique tissu, tenant son croisé, guerrier de la vraie foi, par le bras et montant les marches du palais d'Ithaque.
Hélas, c’est bien connu : à Ithaque on manque de tact. Pour acheter ses fils d’or, la belle tapissière a besoin de beaucoup d’argent. Le travail lui fait en outre si peur qu’il convient de l’en dispenser : il ne faudrait pas abîmer ses nobles mains ni la fatiguer outre mesure. Elle se doit corps et âme à son coquin. Son époux, partisan d’une journée de travail sans limite, ignore certainement que sa princesse est souffreteuse et que pour elle, il conviendrait de limiter ladite journée à moins d’une heure par jour.
Ne pouvant ainsi partager le travail, Ulysse préfère multiplier les sources de revenus pour que sa belle Pénélope œuvre à sa création sans se salir les mains. C’est donc de l’argent propre qu'il lui remet pour ses menus travaux d’aiguilles. Il monte de toutes pièces des emplois taillés à sa mesure. Le tailleur et la tapissière : il y aurait matière à fable si ce n’était qu’un conte de fées. Mais la dame se fait sorcière et son parangon joue les donneurs de leçons, de celles qui ne s’appliquent jamais à soi-même.
Homère a renoncé à évoquer cet épisode de l’Odyssée présidentielle. Il est vrai que les épisodes précédents étaient si invraisemblables, que notre poète a préféré ne pas les glisser dans son œuvre. Imaginez des galères venues de Libye chargées d’un trésor de guerre pour financer la bataille sous la direction d’un Pygmalion qui se demandait ce qu’il faisait là. Il est préférable d’inventer une Circé capable de transformer les hommes d’équipage en pourceaux que de narrer les exploits de gorets se prenant pour des chefs de guerre.
Il avait bien songé également à évoquer un certain Héraclès arrivant sur les côtes à bord d’un pédalo, en promettant à tous de tondre la Toison d’Or. Mais comme il n’en fit rien, bien au contraire et, qu’avec ses comparses, il continua de se servir au lieu de servir la cause des nations opprimées, Homère cessa d'ajouter foi aux belles paroles de ces guerriers à la petite moralité. Mais Pénélope, quant à elle, crut au mythe de la Toison d’Or et c’est ce qui la mit en action.
L’affaire cependant n’ira pas très loin. Dans ce royaume des princes corrompus et des aventures véreuses, elle ne risque rien. Qui donc irait lui chercher des noises alors que, peu ou prou, ils font tous la même chose ? Faire et affaires, c’est toujours de l’ouvrage et, tant qu’on parle de soi, on ne parle pas des autres. Ulysse l' a bien compris qui va tirer profit de ce bel éclairage.
L'épopée peut continuer. Tant que le peuple n’aura pas dissimulé à l’intérieur du cheval de Troie un Ajax incorruptible, capable enfin de laver plus blanc et de récupérer ce qui ressemble de plus en plus aux écuries d’Augias, nous ne serons pas au bout de nos peines et de notre désespoir. Ce joyeux bazar n’est donc pas près de s’arrêter et le prochain épisode sentira aussi mauvais que les précédents.
Pénélope a besoin de 7 500 euros par mois pour ses travaux d’aiguilles ; son cher époux, quant à lui, veut abaisser le SMIC, réduire le droits des travailleurs, les remboursements médicaux, augmenter la durée du travail et autres joyeusetés. Tout cela n’est que très logique en somme. Ces deux-là vivent dans un monde imaginaire et ignorent tout de la réalité. Il serait même question que nos joyeux drilles mettent en place, à titre expérimental, le revenu universel, cher à l’un des prétendants, uniquement réservé à leurs femmes, concubines, maîtresse, nièces, cousines et oies.
À moins que nous ne donnions un grand coup de pied dans la fourmilière, un autre, tout aussi vérolé, prendra la place. Homère, nous t'en prions, reviens et écris pour nous une belle épopée citoyenne, loin de ces maudits prévaricateurs !
Mythologiquement leur. SOURCE CLUB MEDIAPART
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